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Droit pénal spécial
Qualifier un juge d'« irresponsable » relève de l'injure et non de la diffamation
Mots-clefs : Diffamation (éléments constitutifs, imputation d'un fait précis, non, requalification, contrôle de la Cour de cassation), Injure
Le terme d'irresponsable, attribué au premier président de la cour d'appel de Paris, pour qualifier une initiative procédurale d'un juge d'instruction, s’il caractérise l’expression d'une opinion injurieuse, ne contient pas l'imputation d’un fait précis.
Par un arrêt du 13 avril 2010, la chambre criminelle revient sur la définition respective de la diffamation et de l'injure, pour rappeler qu'en l'absence d'articulation de faits précis, c'est la seconde qualification qui s'applique. En l'espèce, un magistrat avait fait citer directement devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public (art. 29 et 31 L. 29 juill. 1881), le directeur de publication d'un hebdomadaire, en raison de la publication d'un article intitulé « Les juges qui agacent l'Élysée », faisant état de décisions de juges d'instruction perçues comme des provocations et contenant le passage suivant : « Patrick R. [...] a lancé des mandats d'arrêt contre cinq personnalités marocaines dans l'affaire Ben Barka juste avant le voyage officiel de Nicolas Sarkozy à Rabat. Le premier président de la cour d'appel de Paris, Jean-Claude M., a qualifié "d'irresponsable" cette deuxième initiative ».
Pour déclarer le prévenu coupable du délit poursuivi, les juges du fond ont estimé que l'emploi du terme « irresponsabilité », prêté au supérieur hiérarchique du magistrat, était de nature à porter atteinte à la considération de ce dernier en lui imputant des intentions dépassant le cadre légal de ses investigations en sa qualité de juge d'instruction pour interférer dans la politique étrangère de la France. Une interprétation censurée par la chambre criminelle qui rappelle, au visa de l'article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, que « pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ».
Faute d'articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, l'expression litigieuse relevait de la seule injure (art. 29, al. 2, L. 9 juill. 1881 ; v. déjà, par ex., Crim. 3 déc. 1963 ; 17 févr. 1981 ; 14 févr. 2006). On rappellera qu'il appartient à la Cour de cassation, en matière d'infractions à la loi sur la liberté de la presse, de contrôler le sens et la portée des propos incriminés, ainsi que les appréciations des juges du fond quant aux éléments du délit, tels qu'ils s'en dégagent (v. not. ss. Crim. 28 avr. 1998).
Crim. 13 avr. 2010, n° 09-82.389, F-P+F
Références
« Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective, qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis. Dans la mesure où elle n’est pas précédée de provocations, l’injure est un délit lorsqu’elle est publique, et une contravention lorsqu’elle n’est pas publique. »
« Allégation ou imputation d’un fait, constitutive d’un délit ou d’une contravention selon son caractère public ou non, qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps constitué. »
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.
■ Loi du 29 juill. 1881 sur la liberté de la presse
« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »
« Sera punie de la même peine, la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un ministre de l'un des cultes salariés par l'État, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition.
La diffamation contre les mêmes personnes concernant la vie privée relève de l'article 32 ci-après. »
■ Crim. 3 déc. 1963, Bull. crim. no 345.
■ Crim. 17 févr. 1981, Bull. crim. no 64.
■ Crim. 14 févr. 2006, Bull. crim. no 40 ; D. 2006. IR 886 ; ibid. 2007. Pan. 1038, obs. Dupeux et Massis ; Dr. pénal 2006. Comm. 99.
■ Crim. 28 avr. 1998, Dr. pénal 1998. 131, obs. Véron.
■ J. Françillon, obs. ss Crim. 30 sept. 2003, RSC 2004. 122.
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