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[ 27 juin 2014 ] Imprimer

Droit de la consommation

Quand la force majeure prémunit contre l’abus

Mots-clefs : Force majeure, Déséquilibre significatif (non)

N’est pas abusive au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, la clause d’un contrat de location de véhicule réservant au preneur, qui invoque l’impossibilité d’assurer les restitutions les clés et les documents de la voiture dans le délai convenu, la faculté d’opposer la force majeure pour échapper au paiement de la franchise.

Depuis longtemps, la jurisprudence considère comme abusive la clause prévoyant, dans un contrat d’enseignement, le versement définitif de la totalité du prix, quel que soit le motif de l'annulation du contrat, une telle clause procurant à l'école un avantage excessif en imposant le paiement des frais de scolarité, même en cas d'inexécution du contrat imputable à l'établissement ou causé par un cas fortuit ou de force majeure (Civ. 1re, 10 févr. 1998). C’est la généralité de ce type de clauses qui les rend abusives. La décision rapportée de la Cour de cassation procède de la même analyse, mais pour cette fois écarter l’abus d’une clause de déchéance de garantie stipulée dans un contrat de location automobile.

En l’espèce, un particulier avait loué une voiture à une société spécialisée, une garantie de rachat partiel de la franchise d’assurance en cas de vol du véhicule ayant été souscrite. Cinq jours plus tard, le preneur avait déclaré aux services de police le vol avec violences du véhicule. Quelques mois plus tard, la société l’avait assigné en paiement d’une somme correspondant au montant de la franchise après déchéance de la garantie souscrite en raison de la non-restitution des clefs et des documents du véhicule dans les 48 heures du vol.

Pour rejeter cette demande, la cour d’appel retint que la clause de déchéance invoquée par la société était abusive et devait, en conséquence, être réputée non écrite dès lors qu’elle attachait des conséquences excessives à la non-restitution des clés et de la carte grise du véhicule dans le délai convenu, en privant le preneur non fautif, victime d’un vol avec violences, du bénéfice de la garantie souscrite.

Cette décision est cassée par la Cour de cassation, qui reproche aux juges du fond d’avoir violé, par fausse application, l’article L. 132-1 du Code de la consommation dès lors que la clause litigieuse réservait au preneur, qui invoquait l’impossibilité d’assurer les restitutions requises dans le délai convenu, la faculté d’opposer la force majeure pour échapper au paiement de la franchise.

Contrairement à la décision précitée, dans laquelle la clause litigieuse pêchait par sa généralité, la réserve en l’espèce prévue au contrat — l’hypothèse d’un cas de force majeure — contredit l’abus de la clause que le demandeur au pourvoi invoquait.

Rappelons que pour être considérée comme abusive, une clause doit avoir « pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat » (C. consom., art. L.132-1). Le critère de l’abus réside donc dans l’existence d’un déséquilibre objectif, peu important, au demeurant, que ce déséquilibre soit avéré ou non (le déséquilibre significatif pouvant tout aussi bien être l’objet de la clause que l’effet qu’elle produit).

L’abus s’apprécie au moment de la conclusion du contrat, en se référant aussi bien aux termes de la clause contestée qu’à toutes les autres clauses du contrat, ainsi qu’à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion. 

En l’espèce, les termes mêmes de la clause litigieuse, excluant la déchéance de la garantie en cas de force majeure, ont suffi à tempérer le déséquilibre créé par cette clause entre les droits et les obligations des contractants. A contrario, si la clause avait prévu de déchoir le preneur de la garantie souscrite en toutes hypothèses, celle-ci aurait très certainement été considérée comme abusive et à ce titre, sanctionnée par la Haute cour.

Civ. 1re, 4 juin 2014, n°13-14.717

Références

■ Civ. 1re, 10 févr. 1998, n°96-13.316 ; D. 1998. 539, note D. MazeaudCCC 1998, comm. 70, obs. L. Leveneur ; JCP G 1998, 10124, note G. Paisant.

■ Article L. 132-1 du Code de la consommation

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la commission instituée à l'article L. 534-1, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.

Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.

Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161,1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre.

Les clauses abusives sont réputées non écrites.

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.

Les dispositions du présent article sont d'ordre public. »

 

Auteur :M. H.


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