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[ 14 juin 2017 ] Imprimer

Droit pénal général

Quand la schizophrénie mène à l’apologie …

Mots-clefs : Terrorisme, Apologie, Élément matériel, Infraction, Manifestation

Le comportement consistant, lors d’un rassemblement public, à arborer une pancarte sur laquelle est écrit d’un côté « je suis Charlie » et de l’autre « je suis Kouachi » constitue une apologie du terrorisme car il revient à manifester une égale considération pour des victimes d’actes de terrorisme et l’un de leurs auteurs à qui l’on s’identifie.

L’apologie d’actes de terrorisme est un délit que le législateur a récemment « extrait » de la loi spéciale sur la liberté de la presse (L. du 29 juill. 1881) pour en faire un délit de droit commun. L’article 421-2-5 du Code pénal prévoit donc, depuis la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, que « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende », ces peines étant portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende quand les propos auront été diffusés sur internet, « en utilisant un service de communication en ligne ». Le législateur n’a donc pas défini en quoi consistait l’apologie (ce que certains plaideurs ont dénoncé par voie de QPC, que la chambre criminelle a cependant refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel, V. Crim. 1er déc. 2015, no 15-90.017) mais la doctrine considère qu’elle rejoint « l’approbation, ou à tout le moins, la légitimation d’un acte, voire de son auteur » (E. Dreyer, Rép. pén. Dalloz, vo Apologie publique de certaines infractions, no 40).

Pour savoir quels actes (ou auteurs) sont concernés par les propos apologétiques, il faut se reporter aux articles 421-1 et suivants du Code pénal qui répriment toute une série de comportements qui constituent des actes de terrorisme. On rappellera ici qu’il n’existe pas une incrimination unique de terrorisme mais plusieurs infractions de droit commun qui deviennent des infractions terroristes « lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » (C. pén., art. 421-1), auxquelles s’ajoutent des infractions terroristes autonomes, c’est-à-dire des incriminations spécifiques comme le terrorisme écologique ou biologique (C. pén., art. 421-2), la participation à un groupement formé en vue d’actes terroristes (art. 421-2-1), l’entreprise individuelles terroriste, issue de la loi du 13 novembre 2014 précitée (art. 421-2-6), ou encore la consultation habituelle de sites internet terroristes (art. 421-2-5-2), créée par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale et récemment retoquée par le Conseil constitutionnel (V. Dalloz Actu Étudiant, 27 mars 2017).  

Pour être constituée, l’apologie de l’article 421-2-5 suppose matériellement que les propos aient été proférés publiquement (par référence à l’art. 23 de la loi du 29 juill. 1881 qui vise les « écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics », les « placards ou […] affiches exposés au regard du public » ainsi que « tout moyen de communication au public par voie électronique »). Psychologiquement, elle exige que l’auteur des propos qu’il ait pleinement conscience de valoriser un acte de terrorisme ou son auteur et de transmettre ce message à un public indéterminé de personnes (Rép. pén. préc., n° 80).

En l’espèce, un individu avait arboré au cours d’un rassemblement organisé au Sables-d’Olonne, le 11 janvier 2015, en hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo et de l’hypercasher, une pancarte sur laquelle était écrit, d’un côté, « je suis humain - je suis Charlie », et de l’autre, « je suis la vie », avec la représentation d’un cœur, et « je suis Kouachi ». Poursuivi pour apologie d’actes de terrorisme, il avait été déclaré coupable par le tribunal correctionnel. Puis la cour d’appel de Poitiers avait infirmé ce jugement pour défaut d’élément intentionnel dès lors que, selon elle, le « comportement décalé » du prévenu (qui s’était présenté de lui-même au commissariat pour s’expliquer) avait eu pour « but de rapprocher des personnes autour d’un débat sur les attentats terroristes, sans aucune volonté de légitimer ceux-ci ou d’en faire l’apologie ». 

Saisie du pourvoi formé par le procureur général, la chambre criminelle casse et annule cet arrêt, au visa de l’article 421-2-5 du Code pénal. Précisant en attendu que « le délit d’apologie d’actes de terrorisme […] consiste dans le fait d’inciter publiquement à porter sur ces infractions ou leurs auteurs un jugement favorable », elle estime que « le prévenu, par son comportement lors d’un rassemblement public, a[vait] manifesté une égale considération pour des victimes d’actes de terrorisme et l’un de leurs auteurs à qui il s’identifiait », ce qui caractérisait le délit poursuivi. Pour la Haute Cour, l’élément intentionnel était donc bien présent, et ce en dépit du comportement quelque peu ambigu – voire schizophrène ? – du prévenu. On rappellera que l’« humoriste » Dieudonné avait lui-même été condamné pour apologie du terrorisme pour avoir posté sur le message suivant sur les réseaux sociaux « ce soir, je me sens Charlie Coulibaly » (V. TGI Paris, 18 mars 2015). 

Crim. 25 avril 2017, n° 16-83.331

Références

■ Crim. 1er déc. 2015, no 15-90.017.

■ TGI Paris, 18 mars 2015, no 15012000640.

■ E. Dreyer, Rép. pén. Dalloz, vo Apologie publique de certaines infractions.

 

Auteur :S. L.

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