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Droit des obligations
Quand le manque de forme conduit à toucher le fond
Les formalités légales relatives au cautionnement d’un bail sont prescrites afin d’assurer la validité et non la preuve de l’acte de cautionnement.
La personne physique qui se porte caution de l’engagement d’un preneur à bail d’habitation doit signer le contrat de cautionnement qui doit, en outre, impérativement stipuler le montant du loyer et les conditions de sa révision tels qu'ils figurent, à l’identique, dans le contrat de bail garanti. Cette mention manuscrite doit traduire de façon explicite et non équivoque la connaissance qu’a la caution de la nature et de l'étendue de l'obligation qu'elle contracte, de même que la mention, que la caution doit également rédiger, reproduisant le texte de loi lui conférant un droit de résiliation unilatérale lorsque la durée du cautionnement est omise ou indéterminée. Enfin, le bailleur doit remettre à la caution un exemplaire du contrat de bail. L’ensemble de ces formalités sont prescrites à peine de nullité du cautionnement (L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 22-1, al.5, et par renvoi, al. 4, JO 8 juill.).
Dans un arrêt du 23 janvier 2020, la Cour de cassation a rappelé, en conformité avec le texte précité, que ces formalités sont prescrites afin d’assurer la validité et non la preuve de l’acte de cautionnement.
En l’espèce, une personne physique s’était porté caution, solidairement, de l’engagement locatif pris par un preneur à bail d’habitation. Après que ce dernier eut cessé le paiement de ses loyers, les propriétaires du logement loué avaient assigné la caution en exécution de son engagement. Celle-ci leur avait alors opposé la nullité de l’acte de cautionnement, faute d’avoir rédigé elle-même, le locataire l’ayant fait à sa place, la mention manuscrite requise par la loi.
La cour d’appel condamna la caution à s’exécuter, au motif que l'exigence de la mention manuscrite litigieuse s'analyse en une règle de preuve et qu’à supposer établi le fait que le preneur l’ait rédigé à la place de la caution, il n'était en aucun cas démontré par la caution qu'elle n'avait pas eu connaissance ni conscience de la nature et de la portée de son engagement, qu’elle avait signé et souscrit en présence du locataire à la signature, concomitante à celle du cautionnement, du contrat de bail. Ainsi, à défaut de preuve contraire, le contrat de cautionnement devait donc être considéré comme valable.
La Cour de cassation censure cette décision au visa de l’article 22-1, alinéa 5, précité, de la loi du 6 juillet 1989, affirmant que les formalités édictées par ce texte n’ont pas vocation à prouver la réalité de l’acte de cautionnement, mais à en assurer la validité. Ces formalités n’ayant pas, en l’espèce, été respectées, le cautionnement devait, en conséquence de cette irrégularité, être annulé et celui qui l’avait souscrit, libéré de son engagement.
De manière générale, les écrits irrégulièrement constitués comprennent d’abord les actes, authentique ou sous seing privé, non signés, mais également les actes sous seing privé pour lesquels des formalités légales impératives n’ont pas été respectées, ou bien encore les actes authentiques dressés par une personne incompétente ou instrumentés en méconnaissance de certaines formes légalement prescrites. Les conséquences de telles irrégularités varient, comme le rappelle la décision rapportée, selon que la formalité requise l’était pour établir la preuve de l’acte juridique (formalisme ad probationem) ou pour en garantir la validité (formalisme ad validitatem) (v. sur ce point, A. Marais, Introduction, Vuibert, 5e éd., n°282).
La méconnaissance d’une formalité exigée à titre de preuve affecte la validité, non pas de l’acte juridique lui-même (le negotium), mais de l’instrument de preuve (instrumentum) qu’il constitue. L’irrégularité formelle qui l’entache prive alors l’acte de la force probante qui lui aurait été reconnue si le formalisme légal avait été respecté. Cette irrégularité demeure toutefois sans incidence sur la validité de l’acte : ainsi, l’acte sous seing privé non signé ou qui omet certaines mentions impératives, échappant alors à la nullité, pourra servir de commencement de preuve, à compléter ultérieurement pour établir la réalité de l’acte juridique dont le plaideur réclame en justice l’exécution. Selon la même logique, l’acte authentique signé mais irrégulier pourra tout de même valoir comme acte sous seing privé.
La méconnaissance d’une formalité exigée à titre de validité entraîne plus drastiquement la nullité non seulement de l’instrumentum, mais également du negotium. L’acte juridique lui-même sera donc invalidé, sans qu’il soit donc possible d’en rapporter la preuve autrement. Le texte de loi qui fonde la cassation de la décision rapportée nous en fournit un exemple, le formalisme requis l’étant ad validitatem, donc sous peine de nullité de l’acte, à l’effet de garantir à la caution profane la conscience éclairée de la nature et de l’étendue de son engagement par l’indication impérative du montant du loyer garanti, ainsi que des conditions de sa révision. Cette règle propre au cautionnement des baux d’habitation reflète celle, mieux connue, prévue à l’article L. 331-1 du Code de la consommation, sanctionnant le non-respect de la mention manuscrite à renseigner par la caution personne physique, simple (Com., 5 juin 2012, n° 11-19.627), et a fortiori solidaire (Com., 8 mars 2011, n° 10-10.699 ; Com., 10 mai 2012, n° 11-17.671), et même lorsque, de surcroît avertie, elle souscrit un cautionnement commercial, par la nullité automatique du cautionnement (Com., 10 janv. 2012, n° 10-26.630), indépendamment de tout préjudice éventuel en résultant pour la caution (Com., 5 juin 2012, n° 11-19.627), sous réserve cependant que les irrégularités, devant être significatives, ne puissent être jugées indifférentes (Civ. 1re, 10 avr. 2013, n° 12-18.544 ; Civ. 1re, 11 sept. 2013, n° 12-19.094). Etant précisé cependant qu’en droit de la consommation, la mention manuscrite supplémentaire spécialement prévue à l’effet de protéger la caution solidaire par l’article L.331-2 relève, quant à elle, d’un formalisme ad probationem dont la méconnaissance n’emporte pas la nullité de l’acte dès lors que celui, ad validitatem, édicté par le texte qui le précède a été par ailleurs respecté ; ainsi cette mention devant contenir à la fois l’engagement de solidarité de la caution et sa renonciation au bénéfice de discussion ne conduit qu’à l’impossibilité pour la banque de se prévaloir de cet acte irrégulier de cautionnement qui demeure cependant valable en tant que cautionnement simple (Com., 8 mars 2011, préc.).
Ainsi les diverses législations spéciales applicables au cautionnement s’unissent-elles pour protéger les intérêts de la caution par un formalisme de validité qui peut sembler pointilleux sauf à considérer, comme Victor Hugo, que « la forme, ce n’est que le fond qui remonte à la surface ».
Civ. 1re, 23 janv. 2020, n° 18-23.900
Références
■ Com., 5 juin 2012, n° 11-19.627, P, D. 2012. 1604, obs. X. Delpech ; ibid. 2548, chron. J. Lecaroz, H. Guillou et F. Arbellot ; ibid. 2013. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD com. 2012. 603, obs. D. Legeais
■ Com., 8 mars 2011, n° 10-10.699, P, D. 2011. 1193, obs. V. Avena-Robardet, note Y. Picod ; RTD civ. 2011. 375, obs. P. Crocq ; RTD com. 2011. 402, obs. D. Legeais
■ Com., 10 mai 2012, n° 11-17.671, P, D. 2012. 1324
■ Com., 10 janv. 2012, n° 10-26.630, D. 2012. 276, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 1573, obs. P. Crocq ; Rev. sociétés 2012. 286, note I. Riassetto ; RTD com. 2012. 177, obs. D. Legeais
■ Civ. 1re, 10 avr. 2013, n° 12-18.544, D. 2013. 1460, obs. V. Avena-Robardet, note J. Lasserre Capdeville et G. Piette ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; RDI 2013. 359, obs. H. Heugas-Darraspen
■ Civ. 1re, 11 sept. 2013, n° 12-19.094, D. 2013. 2164, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2014. 563, chron. C. Capitaine et I. Darret-Courgeon ; RDI 2013. 585, obs. H. Heugas-Darraspen
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