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Droit pénal général
Quand le rap dérape...
Mots-clefs : France, Haine, Injure raciale, Chanson, Délit, Infraction, Liberté d’expression, Rap
Les délits de provocation à la haine et d’injure raciale sont caractérisés par les propos d’une chanson désignant, à travers les références constituées par la représentation symbolique de la République, le drapeau français et l’hymne national, des personnes appartenant à la nation française.
Selon l’article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, « ceux qui, par l’un des moyens [de publicité] énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 45 000 euros ou de l’une de ces deux peines seulement ». Quant à l’article 33, alinéa 3, de la même loi, il fait encourir six mois d’emprisonnement et de 22 500 € d’amende en cas d’injure publique proférée « envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ; on précisera que l’injure correspond à « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis », et qu’en sa forme « simple », elle est assortie d’une peine d’amende d’un montant de 12 000 euros (L. 29 juill. 1881, art. 29, al. 2, et 32, al. 2).
Se posait, dans cette affaire, la question de la caractérisation de ces deux délits, s’agissant des paroles suivantes d’une chanson : « Nique la France ; nazillons ; bidochons décomplexés ; gros beaufs qui ont la haine de l'étranger ; Ton pays est puant, raciste et assassin ; Petit donneur de l'çons, petit gaulois de souche, arrête ton arrogance, arrête d'ouvrir ta bouche ; Et c'que je pense, de leur identité nationale, de leur Marianne, de leur drapeau et de leur hymne à deux balles, j'vais pas te faire un dessin, ça risque d'être indécent, de voir comment je me torche avec leurs symboles écœurants ; Genre, tu découvres, que tu vis chez les gros cons, chez les rastons qui n'ont jamais enlevé leur costume trop long ; Le racisme est dans vos murs et dans vos livres scolaires, dans vos souv'nirs, dans votre histoire, dont vous êtes si fiers. Omniprésents, il est banal et ordinaire, il est dans vos mémoires et impossible de s'en défaire », « Ils veulent l'intégration par la Rolex ou le jambon, ici on t'aime quand t'es riche et quand tu bouffes du cochon, quand t'adhère à leur projet, quand tu cautionnes leurs saloperies, leurs lois, leurs expulsions et leur amour de la Patrie ».
Estimant que la communauté des « Français blancs dits de souche » était visée, une association (l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne dite l’AGRIF) porta plainte et se constitua partie civile dans les trois mois de la publication des propos, comme l’exige l’article 65 de loi sur la presse. L’auteur du texte fut renvoyé devant le tribunal correctionnel pour injures publiques raciales et provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion ou une nation déterminée. Les premiers juges prononcèrent sa relaxe et déboutèrent l’AGRIF de ses demandes. La cour d’appel de Paris confirma ce jugement, en retenant que si le terme de « français », se référant précisément à l’appartenance à une nation, remplissait bien l’un des critères prévus par la loi, il n’en était pas de même pour les appellations « Français de souche » ou « blancs », qui, non comptant de poser de sérieuses questions de définitions, ne permettaient pas de savoir à quelle catégorie de Français elles pouvaient s’appliquer.
Saisie par la partie civile, la chambre criminelle casse et annule cet arrêt, renvoyant la cause et les parties devant la cour d’appel de Lyon. Au visa des articles 24, alinéa 7, et 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la Haute Cour rappelle que « les délits de provocation et d’injure prévus et réprimés par lesdits articles sont caractérisés si les juges constatent que, tant par leur sens que par leur portée, les propos incriminés sont tenus à l’égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Et elle estime que la cour d’appel a méconnu ces dispositions dès lors que « les propos litigieux, qui seuls permettent, indépendamment de la plainte, la détermination du groupe visé, désignent, à travers les références constituées par la représentation symbolique de la République, le drapeau français et l’hymne national, des personnes appartenant à la nation française ».
Pour être constitués, les délits poursuivis exigent des propos injurieux ou incitant à la haine qu’ils « expriment nettement un rejet absolu d’une personne ou d’un groupe de personnes pour des raisons tenant exclusivement à l’un des éléments énumérés » par la loi (Traité de droit de la presse et des médias, n° 845), c’est-à-dire l’origine, l’appartenance ou non à une ethnie, une race, une nation ou une religion, de façon à ce qu’un lien puisse être établi entre leur auteur et l’idéologie raciste ou discriminatoire (ibid.). C’est cette condition qui faisait ici débat, la chambre criminelle estimant que l’appartenance à la nation française permettait de déterminer la « cible » visée, et que ce seul constat, indépendamment de l’appellation « Français de souche » dénoncée dans la plainte, permettait aux juges du fond d’entrer en voie de condamnation (Comp., pour des propos visant les immigrés de religion musulmane, Crim. 20 sept. 2016, n° 15-83.070 ; V. égal. pour des propos visant les « réactionnaires » anti-IVG qui ne sauraient correspondre aux catholiques dans leur ensemble, T. corr. Paris, 3 juin 2016, n° 15021000202).
Crim. 28 févr. 2017, n° 16-80.522
Références
■ Rép. pén. Dalloz, vo Injures publiques et non publiques, par E. Dreyer.
■ Rép. pén. Dalloz, vo Provocation, par J.-Y. Lassalle.
■ B. Beignier, E. Dreyer et B de Lamy, Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis, 2009, n° 845
■ Crim. 20 sept. 2016, n° 15-83.070 P, Dalloz actualité, 3 oct. 2016, obs. S. Lavric ; D. 2016. 1931 ; ibid. 2017. 181, obs. E. Dreyer.
■ T. corr. Paris, 3 juin 2016, n° 15021000202, Dalloz actualité, 9 juin 2016, obs. S. Lavric.
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