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[ 23 septembre 2016 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Quand l’exécution d’une demande d’extradition devient illusoire

Mots-clefs : Citoyen de l’Union ; Extradition ; Mandat d’arrêt européen ; Non-discrimination ; Traitements inhumains et dégradants ; Droit de séjour ; Espace de liberté, de sécurité et de justice

La Cour de justice limite drastiquement les hypothèses d’exécution d’une demande d’extradition d’un citoyen européen vers un pays tiers à l’Union européenne. Si la Cour reconnaît l’importance de cette procédure pour lutter contre l’impunité criminelle, elle impose aux États membres de privilégier le recours au mandat d’arrêt européen afin que l’auteur des actes soit jugé au sein d’un État membre et demeure ainsi dans l’Union européenne. C’est uniquement si le mandat n’est pas envisageable que la demande d’extradition peut être exécutée sous réserve du respect par l’État tiers de l’interdiction de la peine de mort, de la torture et des traitements inhumains et dégradants conformément à l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La Cour de justice entend limiter les hypothèses dans lesquelles un citoyen de l’Union pourrait être privé de la jouissance de ses droits, y compris si celui-ci s’est rendu coupable de faits graves. Dans cette perspective, l’exécution d’une mesure d’extradition émanant d’un pays tiers à l’Union ne peut être regardée comme une voie privilégiée dès lors que l’Union européenne dispose de moyen pour lutter contre l’impunité de l’individu visé.

A l’origine du contentieux se trouve une demande d’extradition formulée par la Russie à l’encontre d’un ressortissant estonien pour trafic de stupéfiants. La particularité de l’affaire résulte du lieu de résidence de l’individu en cause, la Lettonie. Les juges lettons se sont posé la question de savoir si cette demande pouvait être exécutée sans violer le principe de non-discrimination entre les citoyens. En effet, il n’est pas possible pour la Lettonie d’extrader l’un de ses ressortissants vers un État tiers.

La Cour de justice retient cette exigence de non-discrimination en fonction de la nationalité qui découle de l’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) dès lors que la personne se trouve dans le champ du droit de l’Union. Or les juges précisent que ce principe s’applique en l’espèce, le citoyen estonien ayant fait usage de sa mobilité, conformément à l’article 21 TFUE. Peu importe que les conventions internationales relèvent du champ de compétence des États membres, ce droit à l’égalité de traitement découle directement de la circulation et du séjour dans un autre État membre. 

La Cour de justice constate logiquement que le principe de non-discrimination est violé, au regard du droit letton, par l’instauration d’une différence de traitement selon que l’extradition concerne des nationaux ou des ressortissants des autres États membres. En effet, si les premiers ne peuvent être extradés, les seconds peuvent faire l’objet d’une extradition, affectant leur liberté de circuler.

Cependant, la liberté de circuler et de séjourner n’est pas inconditionnelle, la Cour de justice admet ainsi que cette différence de traitement peut être justifiée par des considérations objectives d’intérêt général. En l’espèce, la Cour s’appuie sur la lutte contre la criminalité, qui fait partie intégrante de la réalisation de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. L’effectivité de cet objectif est garantie par de nombreux instruments dont l’extradition. 

L’identification d’un objectif n’est néanmoins jamais suffisante pour la Cour de justice, la mesure devant en outre être nécessaire et proportionnée. Les juges admettent sans mal la nécessité de recourir à l’extradition lorsque l’auteur des faits ne peut pas être poursuivi dans son État de résidence, ici la Lettonie. Cette situation peut résulter de l’absence de lien de rattachement avec l’infraction, la victime ou l’auteur. En revanche, les juges écartent la condition de la proportionnalité. La Cour juge que le mandat d’arrêt européen constitue une mesure moins restrictive et tout aussi efficace. En effet, la juridiction de l’Union indique que le mandat permet de préserver les droits de circuler et de séjourner, le citoyen ne risquant pas d’être envoyé vers un pays tiers, s’il réside dans un autre État membre, tout en faisant l’objet de poursuite. 

Dans l’hypothèse où le mandat d’arrêt ne peut être mis en œuvre, l’extradition est admise comme solution secondaire sous réserve du respect de l’article 19 de la Charte relatif à la lutte contre la peine de mort, la torture et les traitements inhumains et dégradants. La Cour entend garantir une pleine protection à la dignité humaine, corollaire de l’article 19 de la Charte et qui revêt un caractère absolu selon la formule retenue dans l’arrêt. 

Il revient cependant d’en faire la démonstration, les conditions étant moins strictes que celles retenues par la Cour pour mettre en échec le mandat d’arrêt européen (CJUE, 5 avr. 2016, Aranyosi et Robert Caldararu, n° C-404/15 et C-659/15 PPU). L’extradition ne doit pas être réalisée si l’État membre peut se fonder sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés en provenance de juridictions internationales démontrant l’existence d’un risque général. Ces éléments ne peuvent pas être de simples allégations. Toutefois, la Cour n’exige pas que soit démontré, comme pour le mandat d’arrêt européen, que ce risque existe concrètement pour l’individu en cause, au travers de motifs sérieux et avérés. 

La Cour de justice instaure ainsi une différence de régime juridique entre les États membres et les États tiers, favorisant l’exécution du mandat d’arrêt européen et renforçant l’identité de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

CJUE, gr. ch., 6 septembre 2016, Aleksei Petruhhin, n° C-182/15

Références

■ CJUE, gr. ch., 5 avr. 2016Aranyosi et Robert Caldararu, n° C-404/15 et C-659/15 PPU, Dalloz Actu Étudiant, 28 avr. 2016AJ Pénal 2016. 395, note M. E. Boursier, AJDA 2016. 1059, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser, D. 2016. 786, Dalloz Actualité, 9 mai 2016, note N. Devouèze.

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 18

« Dans le domaine d'application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu'ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.

Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent prendre toute réglementation en vue de l'interdiction de ces discriminations. »

Article 21

« 1. Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application.

2. Si une action de l'Union apparaît nécessaire pour atteindre cet objectif, et sauf si les traités ont prévu des pouvoirs d'action à cet effet, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent arrêter des dispositions visant à faciliter l'exercice des droits visés au paragraphe 1.

3. Aux mêmes fins que celles visées au paragraphe 1, et sauf si les traités ont prévu des pouvoirs d'action à cet effet, le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, peut arrêter des mesures concernant la sécurité sociale ou la protection sociale. Le Conseil statue à l'unanimité, après consultation du Parlement européen. »

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Article 19 

« Protection en cas d'éloignement, d'expulsion et d'extradition1. Les expulsions collectives sont interdites.

2. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu'il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d'autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

 

Auteur :V. B.

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