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[ 20 mars 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Quand se faire un coup de pub rend l’objet du contrat illicite…

Faute d’objet licite, le contrat d’achat d’espace publicitaire conclu par un ostéopathe en violation des règles déontologiques applicables à sa profession est nul.

Une ostéopathe avait acheté un espace publicitaire à une société spécialisée afin d'informer le public de son activité. Après qu’elle se fut rétractée, la société l'avait assignée en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution de ce contrat. La cour d’appel rejeta sa demande en se fondant sur le manquement de la société à son devoir d’information qui portait, notamment, sur les règles professionnelles et déontologiques que sa cliente se devait d'observer et que la société, en qualité de prestataire, aurait dû lui rappeler. La Haute Cour rejette le pourvoi que la société avait formé pour contester le défaut d’information que les juges du fond lui avaient reproché, par un motif de pur droit, substitué, selon les modalités de l'article 1015 du Code de procédure civile, à ceux critiqués par le demandeur. Rappelant l’impératif de licéité de l’objet d'un contrat, à peine de nullité, elle déduit de l'article 21 du Code de déontologie des professionnels de l'ostéopathie, interdisant tous procédés directs ou indirects de publicité, que le contrat litigieux, visant à l'insertion d'encarts publicitaires dans un répertoire familial pratique d'urgence, était nul en raison du caractère illicite de son objet.

La volonté des parties n’étant pas sans limites dans le domaine contractuel, ces dernières ne peuvent conclure un contrat dont le contenu serait illicite, qu’il le soit, pour reprendre la terminologie utilisée avant la réforme et en l’espèce conservée, dans son « objet », ou dans sa « cause ». Désormais, selon l’article 1162 du Code civil, la licéité du contrat doit être vérifiée non seulement au regard de ses « stipulations », mais également de son « but ». Réformateur seulement en apparence, ce texte reprend selon des termes renouvelés les acquis de la jurisprudence antérieure, fondés sur le contrôle de la conformité à la loi du contrat sous l’angle du contenu des engagements qu’il contient (objet du contrat), d’une part, et sous celui du mobile ayant déterminé le débiteur à s’engager, contra legem, (cause subjective du contrat), d’autre part.

En effet, comme en témoigne la décision rapportée, le contrôle de la conformité du contrat à la loi et, plus largement, à l’ordre public, est d’abord relatif à l’objet du contrat, ce que le Code vise désormais sous le vocable de « stipulations ». L’hypothèse correspond à celle où la matière même qui forme l’engagement, et que traduit le contenu des engagements pris par les parties, la teneur même des prestations réciproques, se révèle contraire à la loi. Ainsi, en l’espèce, l’achat d’espace publicitaire, qui constitue l’objet du contrat, était en lui-même contraire à une règle déontologique, et partant illicite, quelles que fussent les intentions des contractants. 

Par ailleurs, chaque fois que l’illicéité du contrat se révèle, non dans le contenu des engagements des parties, mais dans le but poursuivi par elles ou même seulement par l’une d’elles, la nullité doit également être prononcée, mais en raison de l’illicéité de la cause du contrat, elle-même fondée sur la notion de cause subjective, créée à l’effet de contrôler les intentions animant les parties lors de la conclusion du contrat, dans des hypothèses où le seul recours à l’objet ne le permettait pas. Par exemple, si la location d’un immeuble pour y effectuer un trafic de drogue n’a pas, en soi, un objet illicite, le bail ayant en effet pour seul objet la mise à disposition d’un local, n’enfreint aucune loi et ne heurte en rien l’ordre public, le « but » poursuivi, comme l’exprime le texte actuel, appelle en revanche une sanction, identique à celle encourue en cas d’illicéité de l’objet : la nullité du contrat.

Il est enfin intéressant de relever qu’en l’espèce, la règle dont la violation a été sanctionnée n’était pas légale, mais déontologique, située, donc, à la frontière du droit et de la morale. Rappelons que de nombreuses professions, notamment libérales, obéissent à un code de déontologie imposant à leurs membres, pour leur activité, des règles de comportement qui vont souvent bien au-delà de celles prévues par le droit, comme par exemple le devoir de confraternité. Cette décision nous enseigne qu’une règle déontologique a été, par l’effet du contrôle de la licéité de l’objet, placée au même rang qu’une règle légale, et même qu’une règle d’ordre public.

Civ. 1re, 6 févr. 2019, n°17-20.463

 

Auteur :Merryl Hervieu

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