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Procédure pénale
Quelles conséquences en cas de délai déraisonnable d’une procédure pénale ?
La méconnaissance du délai raisonnable et ses éventuelles conséquences sur les droits de la défense sont sans incidence sur la validité des procédures. La juridiction de jugement qui constate le caractère excessif de la durée de la procédure doit examiner l’affaire au fond, et dispose pour cela de plusieurs voies de droit lui permettant de prendre en compte cette situation.
Crim. 9 nov. 2022, n° 21-85.655 B
Le 26 juin 2002, le procureur de la République ouvrit une information des chefs de corruption et trafic d’influence après un signalement de la DDCCRF des Hauts-de-Seine concernant les conditions du renouvellement, en 2000, de la délégation de service public de production et de distribution du chauffage du quartier de la Défense. Par la suite, plusieurs réquisitoires supplétifs furent délivrés pour des faits de recel, abus de biens sociaux et complicité, favoritisme et entente et recel de ces infractions, faux et usage. Au total, six personnes furent mises en cause, dont l’ancien sénateur et maire de Puteaux, mis en examen en 2007 mais décédé en 2019. Par jugement en date du 11 janvier 2021, le tribunal correctionnel de Nanterre (TJ Nanterre, 11 janv. 2021, n° 01194045395), constatant la durée excessive de la phase préparatoire (15 ans et 3 mois d'information judiciaire pour une procédure ayant duré 19 ans et 7 mois), refusa de statuer au fond et annula l’ensemble de la procédure d’enquête et d’instruction. Le 15 septembre 2021, la cour d’appel de Versailles (Versailles, 15 sept. 2021, n° 21/300), saisie par le parquet et les parties civiles, confirma l’annulation des poursuites sur le volet corruption de cette affaire dite de la « chaufferie de la Défense ».
La chambre criminelle était notamment interrogée par le procureur général qui, contestant l’annulation de ces poursuites, invoquait la violation des articles préliminaire, 427, 591, 593 et 802 du Code de procédure pénale. Selon son pourvoi (4e moyen), le non-respect du droit à être jugé dans un délai raisonnable ne compromettait pas nécessairement le caractère équitable du procès (1re branche), et l'impossibilité d'interroger personnellement des témoins à charge ou des co-prévenus ne portait pas nécessairement atteinte aux droits de la défense (2e branche).
Statuant au visa des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme (garantie générale du droit à un procès équitable), préliminaire (posant les principes directeurs de la procédure pénale) et 802 du Code de procédure pénale (relatif aux nullités), la Haute juridiction casse et annule l’arrêt d’appel, renvoyant la cause et les parties devant la cour de Versailles autrement composée, estimant, au terme d’une démonstration s’appuyant sur la jurisprudence européenne et les dispositions législatives internes permettant de s’y conformer, que la cour d’appel « a déduit faussement de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article préliminaire du code de procédure pénale qu'elle devait annuler les poursuites » (§ 33) et « n'a pas statué sur le bien-fondé de la prévention au regard des éléments qui lui étaient soumis conformément à l'article 427 du code de procédure pénale » (§ 34).
L’article 6 § 1 de la Conv. EDH, qui définit le cadre du droit à un procès équitable et en énonce les garanties générales, dispose expressément que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue […] dans un délai raisonnable […] ». La Convention pose ainsi une exigence de célérité de la procédure (civile ou pénale selon qu’elle porte sur la contestation de droits et d’obligations de caractère civil ou le bien-fondé d’une accusation en matière pénale) qui est particulièrement importante car elle participe de la crédibilité de la justice et de son efficacité (v. J.-F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, LGDJ, 9e éd., n° 391). Comme le rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, cette exigence « trouve son assise dans la nécessité de veiller à ce qu'un accusé ne demeure pas trop longtemps dans l'incertitude de la solution réservée à l'accusation pénale qui sera portée contre lui » (§ 9, faisant référence à CEDH 8 juill. 2008, Kart c/ Turquie, n° 8917/05, § 68). La Cour européenne déduit de l’article 6 § 1 l’obligation positive des États de s’organiser pour que leurs juridictions garantissent effectivement à tout justiciable le droit d’être jugé dans un délai raisonnable (J.-F. Renucci, préc.).
Le pourvoi posait la question du dépassement du délai raisonnable et de ses conséquences sur la validité de la procédure pénale. Dès lors il s’agissait pour la Cour de cassation, quelques mois seulement après la condamnation de la France dans l’arrêt Tabouret (CEDH 12 mai 2022, Tabouret c/ France, no 43078/15) pour non-respect du délai raisonnable (sur le volet civil d’une affaire pénale), et alors même qu’une « fronde » avait été lancée par des juridictions du fond dans le sillage du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Nanterre et le contexte de crise des moyens de la justice (exposant que « les juridictions sont à l’agonie par manque de moyens », v. M. Pugliese, « Délai raisonnable, peut-on annuler le temps perdu ? », AJ pénal 2022. 350), de s’interroger sur la sanction dans l’ordre juridique interne de cette exigence conventionnelle.
Par son arrêt, la chambre criminelle conforte sa jurisprudence aux termes de laquelle une durée excessive ne saurait entraîner une annulation (§ 11 à 14), s’employant à démontrer la conventionalité de cette solution (§ 16 à 21). Et elle précise l’office du juge lorsque celui-ci se trouve saisi du jugement d’une affaire dont la durée a été excessive.
■ Le dépassement du délai raisonnable est sans incidence sur la procédure
La Cour réaffirme ici le principe suivant lequel « le dépassement du délai raisonnable défini à l’article 6 §1 de la conv. EDH est sans incidence sur la validité de la procédure » et « ne saurait conduire à son annulation » (§ 11 ; solution expressément posée par Crim. 3 févr. 1993, n° 92-83.443 et confirmée depuis par Crim. 20 mars 2002, no 01-83.543 ; 16 oct. 2002, no 01-88.381 ; 24 avr. 2013, no 12-82.863 ; Cass., ass. plén., 4 juin 2021, no 21-81.656 ; pour le refus de transmission de 2 QPC, v. aussi Crim. 14 déc. 2011, nos 11-90.099, 11-90.100, 11-90.101, 11-90.102 ; 3 déc. 2013, n° 13-90.027). Elle énonce que la violation de cette garantie « ne constitue pas la violation d’une règle d’ordre public » et « ne constitue pas davantage la violation d'une règle de forme prescrite par la loi à peine de nullité, ni l'inobservation d'une formalité substantielle au sens de l'article 802 du code de procédure pénale » (§ 12), semblant réduire à néant tout espoir d’une « remise à plat de la théorie des nullités permettant […] d'y inclure le non-respect du délai raisonnable en lien avec la violation automatique des droits de la défense » (R. Parizot, préc.).
La chambre criminelle justifie de la conventionalité d’une telle position. Elle relève ainsi que la CEDH « n'a jamais estimé qu'une méconnaissance du droit d'être jugé dans un délai raisonnable constituait une atteinte aux droits de la défense » (§ 17) et qu’elle juge effectifs au sens de l’article 13 Conv. EDH, les recours internes permettant soit une décision plus rapide soit une réparation appropriée pour les retards d’ores et déjà accusés (citant CEDH 24 janv. 2017, Hiernaux c/ Belgique, no 28022/15, § 45). Elle énumère alors les dispositions légales qui permettent de remédier à un délai déraisonnable, soit a priori pendant l’instruction (par la saisine de la chambre de l’instruction – C. pr. pén., art. 221-1 à 221-3 et 220 – ou la demande de clôture formulée auprès du juge d’instruction – C. pr. pén., art. 175-1), soit a posteriori par l’engagement de la responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice (COJ, art. L. 141-1).
■ L’office du juge en cas de durée excessive de la procédure
Si la méconnaissance du délai raisonnable « ne compromet pas en elle-même les droits de la défense » et ne fait pas obstacle à l’examen au fond de l’affaire, « ses éventuelles conséquences sur l'exercice de ces droits d[oi]v[e]nt en revanche être prises en compte au stade du jugement au fond » (§ 12). C’est ainsi que la chambre criminelle précise l’office du juge, en présentant les différentes « voies de droit lui permettant de prendre la situation en compte » (§ 23). Trois voies sont exposées, par référence à la théorie générale de la preuve pénale, au statut de l’action publique en cas d’impossibilité pour le prévenu de comparaître et au principe d’individualisation des peines. La chambre criminelle rappelle d’abord qu’il appartient à la juridiction de jugement de prendre en compte l’éventuel dépérissement des preuves dans le cadre de son examen de la valeur probante des éléments qui lui sont soumis et débattus contradictoirement devant elle, en application de l’article 427 du Code de procédure pénale. Ainsi l’éventuel dépérissement des preuves peut conduire à une relaxe. Elle rappelle ensuite qu’une suspension de l’action publique est possible lorsqu’il est constaté que l'état mental ou physique du prévenu rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d'exercer sa défense (C. pr. pén., art. 10 in fine). Enfin, les critères d’individualisation de la peine prévus par l’article 132-1 du Code pénal (à savoir les circonstances de l’infraction et la personnalité de son auteur) permettent de prendre en compte la durée excessive de la procédure, laquelle peut même entraîner une dispense de peine (C. pén., art. 132-39).
Ainsi la chambre criminelle partage le constat dressé par les juges du fond d’une durée excessive de la procédure dans ce dossier (le caractère déraisonnable du délai ayant été apprécié conformément aux critères posés par la jurisprudence européenne, à savoir la complexité de l’affaire, le comportement des autorités et celui des parties), mais elle censure les conséquences qu’ils en ont tirées, leur reprochant de ne pas avoir statué sur le bien-fondé des poursuites en application de l’article 427 précité. En somme, il fallait pour eux accepter de juger mais relaxer au besoin et ne pas déduire du délai déraisonnable une impossibilité absolue de statuer conformément aux canons du procès équitable.
Références :
■ TJ Nanterre, 11 janv. 2021, n° 0119404539 : D. actu. 19 janv. 2021, obs. J. Mucchielli
■ Versailles, 15 sept. 2021, n° 21/3005 : D. actu. 22 sept. 2021, obs. S. Fucini.
■ CEDH 8 juill. 2008, Kart c/ Turquie, n° 8917/05 : AJDA 2008. 1929, chron. J.-F. Flauss.
■ CEDH 12 mai 2022, Tabouret c/ France, no 43078/15 : D. actu. 9 juin 2022, obs. H. Diaz.
■ Crim. 3 févr. 1993, no 92-83.443 P : D. 1993. 515, note J.-F. Renucci.
■ Crim. 20 mars 2002, no 01-83.543
■ Crim. 16 oct. 2002, no 01-88.381
■ Crim. 24 avr. 2013, no 12-82.863 P: D. 2013. 1139 ; ibid. 1993, obs. J. Pradel.
■ Cass., ass. plén., 4 juin 2021, no 21-81.656 : D. 2021. 1136, et les obs. ; Rev. sociétés 2021. 650, note H. Matsopoulou ; RSC 2022. 337, obs. H. Matsopoulou.
■ Crim. 14 déc. 2011, nos 11-90.099, 11-90.100, 11-90.101, 11-90.102
■ Crim. 3 déc. 2013, no 13-90.027
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