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[ 18 juin 2018 ] Imprimer

Procédure civile

Quelques indications utiles relatives à la procédure de saisie conservatoire

Les créanciers qui sollicitent du juge l’autorisation de faire pratiquer une saisie conservatoire ne sont pas tenus de communiquer aux débiteurs les pièces invoquées à l’appui de leur requête qui ne peut être déclarée irrecevable de ce simple fait. Le fait que la créance revendiquée au fond soit d’un montant bien inférieur à celui pour lequel des créanciers ont été autorisés à pratiquer une saisie conservatoire ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété des débiteurs qui ne peuvent que demander la mainlevée partielle de la mesure et non obtenir du juge que soit prononcée sa caducité.

En septembre 2015, plusieurs associés d’une société conclurent un contrat de cession de la totalité de leurs actions. En mars 2016, à la demande des cédants qui considéraient que la cession n'avait pu être réalisée en raison des manquements des acquéreurs malgré la levée des conditions suspensives, le président du tribunal de commerce de Paris rendit une ordonnance autorisant les premiers à faire pratiquer des saisies conservatoires sur les biens des seconds pour sûreté et conservation d’une créance de 7 025 000 euros, correspondant au prix des parts sociales cédées à ces derniers. Les cessionnaires tentèrent alors de contester l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce afin d’obtenir la mainlevée des saisies effectuées. Ils furent cependant déboutés de leurs demandes tant par le juge des référés du tribunal de commerce que par la cour d’appel qui confirma l’ordonnance de référé qui lui était déférée. Fut alors formé par les acquéreurs un pourvoi devant la Cour de cassation.

● Recevabilité de la requête

Premier moyen. Dans un premier moyen, les cessionnaires reprochaient aux juges d’appel d’avoir déclaré recevable la requête par laquelle les cédants avaient demandé l’autorisation de pratiquer des saisies conservatoires sans avoir répondu aux conclusions par lesquelles ils faisaient valoir que l’absence de communication de certaines pièces invoquées portait atteinte au principe du contradictoire en violation des articles 494 et 16 du Code de procédure civile.

*Pas d’obligation de communication des pièces invoquées à l’appui de la requête. La partie qui fait état d’une pièce s’oblige en principe, conformément à l’article 132 du Code de procédure civile, à la communiquer aux autres parties à l’instance. Cependant, tel n’est pas le cas dans le cadre d’une procédure sur requête comme l’est celle prévue à l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution visant à obtenir du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur. Cette procédure particulière permet au créancier de saisir le juge de manière non contradictoire, ce qui s’explique au regard de l’objectif poursuivi : l’efficacité d’une telle mesure conservatoire repose sur l’effet de surprise et impose que le bien puisse être saisi sans que le débiteur ait le temps de le soustraire (N. Cayrol, Droit de l’exécution, LGDJ, Précis Domat droit privé, 2e éd., 2017, n° 209.). Aussi l’article 494 du Code de procédure civile impose-t-il certes, entre autres conditions de forme, que la requête présentée au juge mentionne avec précision les pièces invoquées à son appui, mais celles-ci n’ont pas à être communiquées au débiteur dont on entend saisir les biens.

*Le juge d’appel non tenu de répondre à des conclusions inopérantes. C’est, en l’espèce, ce que rappellent les juges de cassation pour en déduire l’absence d’incident au sens de l’article 133 du Code de procédure civile en vertu duquel il peut être demandé au juge d’enjoindre une partie à communiquer des pièces qui ne l’auraient pas été. Les pièces à l’appui de la requête n’avaient pas été communiquées, mais elles n’avaient pas à l’être ! Les conclusions des demandeurs qui se bornaient à alléguer ce défaut de communication des pièces étaient donc inopérantes et l’on ne saurait reprocher à la cour d’appel de ne pas y avoir répondu (V. en ce sens, Civ. 1re, 26 sept. 2007, n° 06-15.954). Ce premier moyen est dès lors rejeté.

●Conditions de validité de la saisie conservatoire

Second moyen. Dans un second moyen, les demandeurs élevaient la contestation sur deux points. Ils considéraient qu’avaient été méconnues, d’une part, les conditions requises en amont pour que le juge autorise le créancier à pratiquer une saisie conservatoire (6e et 7e branches) et, d’autre part, les conditions relatives aux diligences devant être entreprises en aval, une fois cette autorisation judiciaire accordée (1re et 2e branches).

* Conditions requises en amont

Nécessité d’une créance apparemment fondée en son principe. Commençons par indiquer qu’aux termes de l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution, deux conditions cumulatives sont nécessaires pour qu’un créancier puisse solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur : il faut que « la créance paraisse fondée en son principe » et que le requérant « justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ». S’agissant de la créance, la condition posée est nécessaire mais suffisante : le créancier doit seulement justifier que la créance est apparemment fondée (V. par ex. Com. 15 déc. 2009, n° 08-19.432) et le juge n’a pas à rechercher si la créance est certaine, ne serait-ce que dans son principe (Civ. 1re, 2 févr. 1999, n° 96-16.718).

Appréciation souveraine des juges du fond. Il faut également noter, comme le rappelle ici la Cour de cassation, que les deux circonstances nécessaires pour être autorisé à pratiquer une saisie conservatoire sont appréciées souverainement par les juges du fond (Civ. 2e, 3 sept. 2015, n° 14-22.182 (pouvoir souverain du juge qui apprécie l’existence d’une créance apparemment fondée); Civ. 2e, 12 mai 2016, n° 15-17.722 (pouvoir souverain du juge qui apprécie les menaces pesant sur le recouvrement de la créance). Par conséquent, les juges de cassation, s’ils vérifient que les juges du fond ont caractérisé ces deux éléments, ne contrôlent pas l’appréciation qu’ils en ont eue. Le juge dispose donc d’une relative latitude lorsqu’il apprécie le bien-fondé apparent d’une créance.

En l’espèce, la cour d’appel avait retenu l’existence du « principe d’une créance indemnitaire causée par la non réalisation de la cession, même sous conditions suspensives » et indiqué « que ce principe de créance, dont seule l'apparence est requise, concernait autant la société cessionnaire que les personnes physique et morales qui participent à sa gestion, et donc à la prise des décisions ». Aussi les associés cédants étaient-ils autorisés à faire pratiquer des saisies conservatoires sur les biens de la société cessionnaire, mais aussi sur les biens de ses sociétés-mères et dirigeants. C’est ce que contestaient les demandeurs au pourvoi : en retenant que ces derniers étaient tenus par les engagements de la première, la cour d’appel aurait, selon eux, entaché sa décision d’un manque de base légale, faute d’avoir caractérisé l’immixtion trompeuse ou la fictivité des sociétés-mères et l’engagement personnel ou la faute détachable du dirigeant. La Cour de cassation balaie ces arguments, considérant qu’ils ne « tendaient qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par la cour d’appel d’une apparence de créance fondée en son principe contre les sociétés-mères et le dirigeant ».

* Diligences à entreprendre en aval

Diligences à entreprendre à peine de caducité. Une fois obtenue l’autorisation judiciaire de pratiquer une saisie conservatoire, un certain nombre de diligences doivent être entreprises par le créancier dans des délais assez restreints.

Première idée : la mesure conservatoire, pour être efficace, doit être exécutée rapidement. Comme l’indiquent les professeurs Perrot et Théry, « si pour obtenir l’autorisation souhaitée, le créancier a convaincu son juge que l’insolvabilité du débiteur était menaçante au point de devoir prendre une mesure conservatoire, il a le devoir de la mettre en œuvre sans tarder » (R. Perrot, P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Dalloz, 3e éd., 2013, n° 1151). Aussi dispose-t-il d’un délai de trois mois à compter de l’ordonnance pour ce faire, à peine de caducité de l’autorisation (CPCE, art. R. 511-6).

Deuxième idée : la mesure conservatoire, qui constitue une emprise sur le patrimoine du débiteur au vu d’une simple apparence de créance, doit rester temporaire et il doit être mis un terme à cette situation provisoire aussi rapidement que possible, soit que le débiteur procède au paiement, soit qu’une décision de justice vienne statuer définitivement sur la créance litigieuse (R. Perrot, P. Théry, Procédures civiles d’exécution, Dalloz, 3e éd., 2013, n° 1151). Le créancier est donc tenu d’engager ou poursuivre une procédure lui permettant d’obtenir un titre exécutoire – s’il n’en possède pas – dans un délai d’un mois à compter de l’exécution de la mesure, à nouveau à peine de caducité (CPCE, art. L. 511-4 et R. 511-7). C’est cette caducité qu’entendaient faire reconnaître les demandeurs au pourvoi, constatant que la créance revendiquée pour l’obtention du titre exécutoire était inférieure au montant pour lequel la mesure conservatoire avait été prise. Pour ce faire, ils faisaient valoir deux arguments.

Validité de l’assignation au fond des débiteurs. Les demandeurs au pourvoi considéraient, en premier lieu, que les associés, en cherchant à obtenir un titre exécutoire pour une créance d’un montant moindre que celle dont ils avaient prétendu être créancier – 2 305 340 euros contre 7 025 000 euros – avaient méconnu les articles L. 511-4 et R. 511-7 du Code des procédures civiles d’exécution. Ils estimaient par conséquent que la cour d’appel aurait dû prononcer la caducité des saisies conservatoires pratiquées.

Appréciation souple de la jurisprudence. Il faut ici indiquer que n’importe quelle assignation ne remplit pas les conditions des articles L. 511-4 et R. 511-7du Code des procédures civiles d’exécution. La jurisprudence exige une corrélation entre la requête en autorisation de pratiquer une saisie conservatoire et l’assignation au fond visant à obtenir un titre exécutoire, laquelle doit avoir pour objet de faire statuer sur l'existence et la liquidité de la créance invoquée au soutien de la requête (Civ. 2e, 21 nov. 2002, n° 01-02.705). La condition est néanmoins comprise avec une certaine souplesse. En effet, la haute juridiction a déjà eu l’occasion de retenir que la condition de mise en œuvre d'une procédure destinée à l'obtention d'un titre exécutoire dans les délais impartis était remplie alors même que l'assignation au fond visait non pas le paiement du prix du contrat comme c’était le cas dans la requête mais l’attribution d’une réparation en conséquence de l'annulation de ce même contrat. Il en résultait que la créance invoquée dans l’assignation et celle ayant justifié l’autorisation de la mesure conservatoire avaient un objet et une cause différents. Pourtant, la Cour de cassation avait considéré que la corrélation entre les deux créances était suffisante dès lors qu’elles avaient une « unique cause factuelle », précisant qu'il importait peu « que le fondement juridique de la demande de condamnation contenue à l'acte d'assignation diffère de celui invoqué par la société créancière à l'appui de sa créance dans sa requête » (Civ. 2e, 26 sept. 2013, n° 12-23.234).

En l’espèce, c’est cette même argumentation que retiennent les juges de cassation pour réfuter l’argumentation des demandeurs au pourvoi. Peu importe que le montant de la créance invoquée dans l’assignation au fond en vue d’obtenir un titre exécutoire ne soit pas le même que celui de la créance ayant justifié l’autorisation de procéder à la saisie. Les juges d’appel avaient constaté que ces deux créances étaient fondées sur une cause factuelle unique, à savoir la non-réalisation du contrat de cession : l’assignation au fond satisfaisait donc aux exigences des articles L. 511-4 et R. 511-7 du Code des procédures civiles d’exécution. 

Absence d’atteinte disproportionnée au droit de propriété des débiteurs saisis. Les débiteurs saisis arguaient, en second lieu, de ce que la saisie conservatoire pratiquée, en ce qu’elle avait été autorisée pour une créance d’un montant largement supérieur à celui de la créance revendiquée pour l’obtention du titre exécutoire, portait une atteinte disproportionnée à leur droit de propriété. Cet argument est également rejeté par la Cour de cassation qui rappelle que « la saisie conservatoire rend indisponible les biens qui en sont l’objet sans toutefois en attribuer la propriété au saisissant ». Autrement dit, les débiteurs conservant leur droit de propriété sur les biens saisis, ils ne pouvaient se plaindre d’une atteinte disproportionnée à celui-ci.

Possibilité de demander la mainlevée partielle. Cela étant, il faut préciser ici que les mesures conservatoires doivent effectivement respecter un principe de proportionnalité, l’article L. 111-7 du Code des procédures civiles d’exécution disposant que leur exécution « ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l’obligation ». Néanmoins, si la saisie conservatoire pratiquée s’avère disproportionnée au regard de la créance revendiquée pour l’obtention du titre exécutoire, ce n’est pas la caducité de la mesure que le débiteur saisi devra solliciter. Celui-ci devra faire usage des possibilités qui lui sont offertes par l’article L. 512-1 du Code des procédures civiles d’exécution qui indique, d’une part, « que le juge peut donner mainlevée de la mesure conservatoire s'il apparaît que les conditions prescrites par l'article L. 511-1 ne sont pas réunies » et, d’autre part, que le juge peut, à la demande du débiteur, « substituer à la mesure conservatoire initialement prise toute autre mesure propre à sauvegarder les intérêts des parties ». Aussi, lorsque la saisie semble disproportionnée, le juge peut ordonner sa mainlevée pour la partie de la créance qui ne paraît plus fondée en son principe. C’est sur ce terrain qu’auraient pu s’engager les demandeurs, comme vient le rappeler la Cour de cassation en l’espèce.

Civ. 2e, 12 avr. 2018, n° 17-15.527

Références

 Civ. 1re, 26 sept. 2007, n° 06-15.954 P : Gaz. Pal., 21 nov. 2008, p. 52, note V. Hazout et J. Casey.

■ Civ. 1re, 2 févr. 1999, n° 96-16.718 P : Procédures, 1999, n° 61, obs. R. Perrot.

■ Civ. 2e, 3 sept. 2015, n° 14-22.182: Procédures 2015, comm. 324, obs. L. Raschel.

■ Civ. 2e, 12 mai 2016, n° 15-17.722 P: Dalloz actualité, 24 mai 2016, note F. Mélin. 

■ Civ. 2e, 21 nov. 2002, n° 01-02.705 P : D. 2002. 3246. 

■ Civ. 2e, 26 sept. 2013, n° 12-23.234 P : D. 2014. 1466, obs. A. Leborgne ; RTD civ. 2014. 166, obs. R. Perrot; Dalloz actualité, 10 oct. 2013, note V. Avena-Robardet.

 

Auteur :Flavien Dreno


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