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Procédure pénale
Quelques rappels en matière de prescription des infractions de presse
Aux termes de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, la prescription en matière de délits de presse ne peut être interrompue que par des actes de poursuite ou d'instruction réguliers survenant dans le délai de trois mois à compter des faits ou du dernier de ces actes s'il en a été fait. En outre, avant l'engagement des poursuites, seules des réquisitions aux fins d'enquête articulant et qualifiant l'infraction à raison de laquelle l'enquête est ordonnée sont interruptives de prescription.
Crim. 10 janv. 2023, n° 22-82.838
Le 12 juillet 2020, le premier adjoint au maire d’une localité corse déposa plainte contre une personne qui l’avait mis en cause sur Facebook, prétendant qu’il avait déjà été condamné pour des violences conjugales. Le 15 juillet, le parquet d'Ajaccio transmit la procédure pour compétence au procureur de Versailles qui, le 3 août 2020, saisit le commissaire de police compétent localement pour procéder à l'audition de l’internaute auteure du post, laquelle intervint le 27 octobre 2020.
Les premiers juges condamnèrent la prévenue pour diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public. Puis la cour d’appel de Versailles, le 13 avril 2022, confirma ce jugement. Dans son pourvoi, la défense contestait cette condamnation (à 500 € d’amende avec sursis) sur le fondement de la prescription de l’action publique, estimant que celle-ci avait été acquise dès le 12 octobre 2020, soit trois mois après le dépôt de plainte du 12 juillet précédent. Saisie de ce moyen fondé sur les alinéas 1er et 2 de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la chambre criminelle ne peut que constater l’acquisition de la prescription. L’occasion lui est donnée de rappeler, de manière très pédagogique, l’alpha et l’oméga de la prescription de l’action publique en matière de délits de presse, car si l’article 65 de la loi sur la presse a bien été méconnu et que l’arrêt d’appel doit être cassé sur ce fondement (cassation ayant d’ailleurs lieu sans renvoi, la Cour de cassation mettant fin au litige en appliquant la règle de droit), le moyen l’invoquait maladroitement et faisait erreur en ce qui concerne la computation de ce délai.
L’article 65 de la loi sur la presse institue un délai de prescription extrêmement court (le plus court en droit français) pour les infractions de presse, qui est de trois mois. Il s’agit du piège le plus redoutable pour les plaideurs, et le présent arrêt en fournit une nouvelle illustration. Ce délai est tout à fait original puisqu’il s’applique quelle que soit la gravité de l’infraction de presse (l’infraction de presse étant celle qui est définie par la L. du 29 juill. 1881, et l’art. 65 inclut expressément les « crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi »), par exception aux conséquences traditionnelles de la classification tripartite des infractions. En outre, il concerne tant l’action publique que l’action civile. Il est traditionnellement justifié par la fugacité du trouble à l’ordre public qui est causé (une information en chasse vite une autre), en réalité il contribue très largement à garantir la liberté d’information (certains diront l’impunité) des organes de presse.
La Cour de cassation a refusé de transmettre une QPC portant sur l’article 65, estimant que ce délai de trois mois « procéd[ait] d’un juste équilibre entre le droit d’accès au juge [pour la victime] et les exigences de conservation des preuves propres aux faits que réprime la loi sur la presse » (Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-25.290). On constate néanmoins que ce délai, sans doute trop court, est de plus en plus contourné par le législateur lui-même qui instaure des délais dérogatoires (1 an pour certains délits de presse tels que les injures ou diffamations publiques racistes ou discriminatoires ; v. L. 29 juill. 1881, art. 65-3) ou fait le choix de « déspécialiser » certaines infractions pour les soumettre au droit commun de la prescription (ainsi le délit d’apologie du terrorisme qui a été transféré en 2014 vers le Code pénal et pour lequel la prescription de droit commun de 6 ans s’applique ; v. C. pr. pén., art. 8).
Comme le précise le premier alinéa de l’article 65, ce délai de 3 mois court à compter de la réalisation de l’infraction (les infractions de presse sont instantanées et se consomment avec la première mise à disposition du public, quel que soit le support utilisé) puis du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait. Ainsi il faut agir dans les 3 mois de la publication, et ensuite qu’un acte de poursuite ou d’instruction régulier intervienne tous les 3 mois. On précisera que le premier acte interruptif est soumis aux conditions (spéciales là encore) résultant des articles 50 et 53 la loi du 29 juillet 1881 : ainsi le réquisitoire introductif, la plainte avec constitution de partie civile et la citation directe doivent articuler (c’est-à-dire préciser), qualifier juridiquement le fait dénoncé et indiquer le texte de loi applicable (c’est-à-dire le texte de pénalité), et ce à peine de nullité. L’alinéa 2 de l’article 65 précise quant à lui qu’avant l'engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d'enquête qui articulent et qualifient les faits à raison desquels l’enquête est ordonnée sont interruptives de prescription.
C’est ainsi que la chambre criminelle note d’abord, dans cette affaire qui concernait le délit de diffamation envers un citoyen chargé d’un mandat public (L. 29 juill. 1881, art. 31), que le point de départ du délai devait être fixé à la date de la publication litigieuse, soit le 10 juillet 2020. Et elle précise ensuite, contrairement à ce que prétendait le pourvoi, que la prescription trimestrielle « n'a été interrompue ni par la plainte simple […] du 12 juillet 2020, ni par la transmission de la procédure au procureur de Versailles le 15 juillet suivant, ni par le soit-transmis de ce dernier mandatant le commissaire de police pour procéder à l'audition de Mme [W] le 3 août 2020 dès lors que ces réquisitions n'articulent et ne qualifient pas les faits conformément aux prescriptions de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 » (Comp. récemment, pour le soit-transmis aux fins d’enquête non interruptif, faute de qualifier les faits, Crim. 29 nov. 2022, n° 22-81.814). Ainsi, aucun acte interruptif de prescription n’étant intervenu à compter de la publication, la prescription était acquise le 10 octobre 2020 (à minuit), et la cour d’appel aurait dû relever d’office cette exception d’ordre public.
Références :
■ Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-25.290 P : D. actualité, 25 avr. 2012, obs. S. Lavric ; D. 2012. 1588, note C. Bigot ; ibid. 2013. 457, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2012. 284 et les obs. ; ibid. 371, comm. P. Guerder ; Constitutions 2012. 641, obs. D. de Bellescize.
■ Crim. 29 nov. 2022, n° 22-81.814 B : D. actualité, 13 déc. 2022, obs. S. Lavric ; D. 2022. 2163 ; AJ pénal 2022. 589 et les obs. ; Légipresse 2022. 664 et les obs.
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