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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Quels apports de la nouvelle loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ?
Mots-clefs : État d’urgence, Terrorisme, Libertés, État de droit, Sécurité intérieure
Par ses nouveautés, la loi du 30 octobre 2017 pose les questions d’un possible bouleversement de nos libertés et de notre conception de l’état de droit.
La loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, a été annoncée comme permettant de « sortir » de l’état d’urgence, celui-ci arrivant à son terme le 1er novembre, conformément à l’article 1er de la loi du 11 juillet 2017 qui l’avait prorogé pour la sixième fois depuis son entrée en vigueur. Elle est ainsi le 10e texte en matière de sécurité et de terrorisme adopté en France depuis les attentats du 11 septembre 2001 et le 18e depuis la première loi française en la matière en date du 9 septembre 1986. Annoncée comme essentielle parce que permettant l’introduction de nouveaux moyens de lutte contre le terrorisme dans notre ordre juridique, le caractère de nouveauté de ce texte doit cependant être précisé.
Au titre des nouveautés, on peut noter une nouvelle incrimination (art. 10), des mesures de lutte contre la radicalisation (art. 11) et favorisant la politique des repentis (art. 8), la mise en place d’un fichier type PNR pour les transports maritimes (art. 14) et l’établissement de contrôles dans les zones frontalières (art. 19).
Sans être nouveau dans leur esprit mais relevant plutôt d’une volonté de modifier leur dénomination et leur régime afin de restaurer une forme d’équilibre entre la restriction des libertés et la lutte contre le terrorisme (mais ce n’est que partiellement vrai), on retrouve dans la loi : les zones de protection et de sécurité de l’état d’urgence qui deviennent les « périmètres de protection » (art. 1er), la fermeture des lieux de culte (art. 2) ; les assignations à résidence désormais appelées « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance » (art. 3) tout comme les « anciennes » perquisitions administratives devenues « visites » (art. 4) et enfin, le contrôle des communications et les techniques de renseignements (art. 15).
En revanche, la loi du 30 octobre 2017 acte la fin de l’application de plusieurs mesures de l’état d’urgence : la possibilité de fermeture des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion et l’interdiction de manifester, la dissolution des associations et la remise des armes (respectivement art. 8, 6-1 et 9 de la L. du 3 avr. 1955).
Cela étant dit, la loi du 30 octobre 2017 ne manque pas de laisser songeur car sous couvert d’un voile d’amélioration de l’État de droit, elle s’inscrit dans la même dynamique que la politique suivie par les Gouvernements successifs depuis plusieurs années. Elle conforte, par la même, un profond bouleversement de notre perception de nos libertés et de notre système d’organisation des pouvoirs et confirme un éloignement de la conception idéale de l’État de droit développée depuis la seconde moitié du 20e siècle.
Ce bouleversement s’illustre tout d’abord par une séparation des pouvoirs revue et corrigée de sorte à favoriser un « excès » d’exécutif de manière pérenne. L’autorité administrative se voit en effet investie de larges pouvoirs à travers les articles du 1er chapitre de la loi qui insère de nouvelles dispositions dans le Code de la sécurité intérieure. Ces dernières transposent, avec quelques ajustements, les mesures phares de la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence dans le droit commun (supra). Le déséquilibre entre les pouvoirs (permettant à l’autorité administrative de restreindre les libertés) considéré comme exceptionnel et exclusivement concédé au titre du régime dérogatoire de l’état d’urgence (limité dans le temps pour affronter une menace extraordinaire) dans l’unique but de permettre au plus vite un retour à la « normalité », devient désormais une règle inscrite dans le Code de la sécurité intérieure.
Cette altération de la frontière exception/ordinaire est confirmée par le caractère temporaire du 1er chapitre de la loi (application jusqu’au 31 déc. 2020, art. 5). On retrouve ici la logique empruntée depuis 2001 notamment, qui consiste à atténuer le degré d’exceptionnalité des mesures par une application initialement à durée limitée. Pourtant, les faits démontrent que la prolongation est aisée au moment voulu. D’ailleurs, la loi du 30 octobre 2017 en contient une parfaite illustration : l’article 17 prolonge de deux ans l’application d’un article de la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015.
Enfin, d’autres dispositions du texte contribuent à flouter les frontières et desserrent les limites dans lesquelles chaque pouvoir agit et les libertés s’exercent. Ainsi, alors que la police administrative se veut investie d’une mission de prévention, elle semble désormais détenir un pouvoir de sanction des individus en dehors de tout commencement d’exécution, à travers des mesures qui pourraient être assimilées à des peines (art. 3 sur les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et notion de « raisons sérieuses de penser » qu’un « comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre public »). La durée de ces mesures individuelles (entre 3 et 6 mois, renouvelable dans la limite de 12 mois) et leur étendue (périmètre de la zone à respecter et pointage notamment), remettent en cause in concreto le principe de présomption d’innocence qui tombe sous le coup de cette « sanction » adoptée au titre de la dangerosité d’un individu ; mais aussi la charge de la preuve lorsque le texte ne précise pas les éléments que va devoir avancer l’autorité administrative au soutien de sa décision initiale et de son renouvellement (qui ne peut se faire que sur le fondement « d’éléments nouveaux ou complémentaires » dont on sait que les juges ont déjà permis d’interpréter de manière extensive ou pour le moins aléatoire : Cons. const. 16 mars 2017, M. Sofiyan I., n° 2017-624 QPC puis CE, réf., 19 juin 2017, n° 411587 et 411588 et CE, réf., 7 août 2017, n° 412697) ; enfin, et comme le texte de la loi reprend la durée prévue par le régime de l’état d’urgence, le caractère administratif de la mesure et la durée maximale de 12 mois n’inciteront pas le juge constitutionnel à requalifier ces mesures restrictives de liberté en mesures privatives, les excluant en conséquence au contrôle du juge judiciaire (Cons. const. 22 déc. 2015, M. Cédric D., n° 2015-527 QPC).
Le texte contient encore en germe plusieurs confusions du même ordre. C’est donc avec intérêt qu’il faudra observer les apports concrets de la nouvelle loi en matière de lutte contre le terrorisme mais aussi de conception de la justice pénale et administrative, après plus d’un an et onze mois d’état d’urgence dont l’impact en terme de sécurité a été reconnu pour le moins « limité » par la commission parlementaire en charge de son suivi.
Références
■ Cons. const. 16 mars 2017, M. Sofiyan I., n° 2017-624 QPC : AJDA 2017. 597 ; ibid. 1464, note O. Le Bot ; D. 2017. 1162, note P. Cassia.
■ CE, réf., 19 juin 2017, n° 411587 et 411588.
■ CE, réf., 7 aout 2017, n° 412697.
■ Cons. const. 22 déc. 2015, M. Cédric D., n° 2015-527 QPC : AJDA 2015. 2463 ; D. 2016. 79; ibid. 1461, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; RFDA 2016. 123, note A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2016. 277, chron. F. Lombard; ibid. 100, chron. L. Domingo.
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