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Droit des successions et des libéralités
Prescription de l'action en recel successoral : la Cour de cassation vient de trancher !
Dans le silence légal, la Cour de cassation précise que l’action en recel successoral est soumise au délai quinquennal de prescription de l’article 2224 du Code civil.
Civ. 1re, 5 mars 2025, n° 23-10.360
Le délai de prescription de l’action en recel successoral doit-il être calqué sur celui de l’option successorale ou enfermé dans le délai quinquennal de droit commun ? Telle était la question en l’espèce posée à la Cour de cassation dont la réponse, en l’absence de précision légale, était impatiemment attendue. Répondant aux vœux de la doctrine majoritaire, la Cour de cassation fait le choix de l’application du délai de prescription de droit commun de cinq ans à l’action en recel successoral, ainsi soustraite au délai propre à l’option successorale.
Une femme décède le 15 novembre 2012, laissant pour lui succéder ses deux fils, M. [B] [G] et [Y] [G]. Alors que ces derniers disposaient chacun d’une procuration sur le compte bancaire de leur mère, l’un d’eux avait constaté, à compter du 4 mars 2014, des mouvements suspects l’ayant conduit, en décembre 2014, à consigner une somme de 40 000 euros, correspondant à une part du prix de vente d’un immeuble dépendant de la succession. Le fils suspecté d’être l’auteur de ce recel décède le 9 février 2018, laissant pour lui succéder son épouse, qu’il avait instituée légataire universelle. Par actes des 13 janvier et 17 janvier 2020, son frère, en qualité de cohéritier, avait assigné sa belle-sœur, légataire, en réparation du recel successoral. En cause d’appel, sa demande fut jugée irrecevable comme prescrite, les juges du fond ayant retenu, en l’absence de précision légale, que l’action en recel successoral devait être soumise au délai quinquennal de prescription de droit commun, en l’espèce expiré. Devant la Cour de cassation, le demandeur contestait le choix de ce délai de prescription. Le moyen reprochait à l’arrêt attaqué d’avoir eu recours au droit commun faute de texte spécial régissant la prescription de cette action extinctive, alors que le recel emportant la déchéance du droit d’option des héritiers (d’accepter une succession ou d’y renoncer), l’action exercée pour le sanctionner devrait se prescrire de la même manière que ce droit d’opter, c’est-à-dire au terme d’un délai de dix ans (pour les successions ouvertes après le 1er janvier 2007). La Cour de cassation rejette le pourvoi : elle approuve le recours, par les juges du fond, au droit commun de la prescription et confirme en conséquence l’application du délai quinquennal de l’article 2224 du Code civil à l’action en recel successoral ; celle en l’espèce engagée l’ayant été en janvier 2020 alors que son auteur connaissait depuis le 4 mars 2014 les faits qui lui auraient permis d’agir, cette action intentée plus de cinq ans après avoir eu connaissance des faits litigieux, susceptibles de constituer le recel, se trouvait donc prescrite.
Le principe de l’égalité dans le partage entre les héritiers lors des opérations de compte, de liquidation et de partage d’une succession - hier égalité en nature, et désormais égalité en valeur - constitue une règle impérative édictée par l’article 826 du Code civil. C’est pour protéger ce principe essentiel du droit des successions que le législateur a entendu sanctionner le recel successoral, compris comme toute manœuvre dolosive ou frauduleuse, commise sciemment, ayant pour but de rompre l’égalité du partage, quels que soient les moyens employés pour y parvenir. L’article 778 du Code civil liste les sanctions appliquées au receleur, selon une rédaction reprise de l’ancien article 792 de ce code, auquel le législateur, par la loi du 23 juin 2006 réformant le droit des successions, a ajouté diverses précisions relatives notamment à l’hypothèse de la dissimulation d’une donation rapportable ou réductible. L'héritier receleur se voit sanctionné à un double titre : il est, d’une part, déchu de l'option héréditaire en étant déclaré acceptant pur et simple de la succession - au risque de se trouver contraint de payer sur son propre patrimoine les dettes du défunt ; d’autre part, il est privé de tous droits sur les biens détournés, jusqu’à se trouver tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession.
Reste que le législateur, dans le cadre d’une évolution générale favorable à l'abrégement des délais de prescription (V. Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile), n’a jamais pris le soin de préciser le délai de prescription de l'action en recel successoral. Il était auparavant jugé que cette action se prescrivait « par le laps de temps de trente années, comme se prescrivent en général, toutes actions réelles ou personnelles, aux termes de l’article 2262 du Code civil ». (Civ. 17 avr.1867, DP 1867.1.247). Toutefois, lorsqu’elle fut saisie de successions ouvertes avant le 1er janvier 2007, la Cour avait écarté le fondement du droit commun au profit du délai spécial de prescription du droit d’option héréditaire dont la durée, au demeurant, restait trentenaire (C. civ., anc. art. 789 ; Civ. 1re, 12 févr. 2020, n° 19-11.668, calquant le délai d’action en recel sur celui de l’option successorale). La Cour n’a toutefois jamais eu à connaître de la question du délai de prescription de l’action en recel s’agissant de successions ouvertes après le 1er janvier 2007 soumises, en application de l’article 780 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 23 juin 2006, à un nouveau délai d’option ramené à dix ans à compter de l’ouverture de la succession, ni a fortiori, comme c’est le cas en l’espèce, après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, laquelle a limité à cinq ans le délai de prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil. Dans ces conditions, l’alternative que la Cour était enfin amenée à trancher dans cette affaire était la suivante : soit calquer, en raison du lien existant entre option héréditaire et action successorale, le délai de prescription de l’action en recel successoral sur la prescription du droit d’option désormais de dix ans ; soit, au contraire, soumettre l’action en recel successoral au délai de droit commun de cinq ans de l’article 2224 du Code civil.
Optant pour la seconde branche de l’alternative, la Cour de cassation consacre ainsi le caractère autonome du délai d’action en recel successoral, qu’elle refuse donc d’enfermer dans le délai dont dispose le successible pour prendre celle d’héritier acceptant. Elle témoigne de cette façon de son adhésion aux arguments multiples développés en faveur de l’autonomisation du délai de prescription de l’action en recel successoral par rapport au délai d’option et partant, de l’application du délai de prescription quinquennal de droit commun (V. notamment pour l'application du droit commun, F. Terré, Y. Lequette, S. Gaudemet, Droit civil - Les successions, Les libéralités, Dalloz, coll. Précis, 2024, 5e éd, p. 809, nº 842). En premier lieu, il est constant qu’aucun délai de prescription spécial ne trouve à s’appliquer à l’action en recel successoral, le délai de dix ans prévu à l’article 780, en l’espèce invoqué par le demandeur, ne portant que sur la faculté d’option de l’héritier, qui dispose donc d’un délai légal de 10 ans pour prendre parti à défaut de quoi il est réputé renonçant. Mais exercer le droit d’accepter ou de répudier une succession est une chose ; agir en réparation d’un recel successoral en est une autre. Distincte du droit d’option dont elle est simplement une cause de déchéance, l’action en recel successoral doit relever de la prescription de droit commun, soit par trente ans en application de l’ancien article 2262 du Code civil, et désormais par cinq ans en application de l’article 2224 du Code civil. C’est d’ailleurs précisément sur l’absence de texte spécial régissant la prescription de l’action en recel successoral qu’était fondé l’arrêt frappé de pourvoi. En second lieu, il est admis depuis longtemps que le droit d'invoquer le recel n'est pas seulement conféré aux héritiers lésés, mais aussi aux créanciers de la succession (Civ. 28 oct. 1907, DP 1910, 1, Jur. p. 292 : la déchéance de la faculté de renoncer frappant l'héritier receleur « peut être prononcée sur la poursuite des créanciers de la succession comme à la demande des autres héritiers »). Si l’héritier lésé est celui qui exerce le plus fréquemment l’action en recel, l’action ne lui est toutefois pas réservée. Or pour le créancier de la succession, il n’y aurait aucun sens à voir son délai pour agir être calqué sur celui de l’option successorale, à laquelle il n’est naturellement pas soumis. En troisième lieu, les points de départ des délais de prescription de l’option successorale et de l’action en recel diffèrent. Le premier est fixé à la date de l’ouverture de la succession (art. 780) quand le second prend date au moment où la victime du recel a eu ou aurait dû en avoir connaissance des faits susceptibles de le constituer (art. 2224). En écho à l’ouverture de l’action en recel aux créanciers de la succession, ce troisième argument prolonge le second. Il est en effet difficilement concevable d’appliquer le point de départ du délai d’option au créancier, soustrait à cette faculté proprement héréditaire, lorsqu’il exercerait l’action. En outre, il semble justifié de faire bénéficier aussi bien aux héritiers lésés qu’aux créanciers de la succession d’un point de départ retardé. En effet, le choix de la prescription de droit commun permet de ne faire courir le délai de prescription de l’action en recel qu’à compter du jour où la victime en a eu ou aurait dû en avoir connaissance, plutôt qu’à l’ouverture de la succession, ce qui apparaît plus adapté aux actions nées de détournements, par définition occultes, pratiqués dans le huis clos familial. Sur un plan pratique, l’admission du caractère autonome du délai d’exercice de l’action en recel se montre en particulier favorable à l’héritier acceptant, puisqu’elle permet d’éviter de le priver du droit d’agir dans l’hypothèse où il aurait été victime d’un recel commis ou découvert postérieurement à l’expiration de son délai d’option. En quatrième et dernier lieu, l’application du délai de prescription de droit commun présente l’avantage d’unifier les délais de prescription applicables aux recels successoral et de communauté, ce dernier étant déjà soumis à la prescription civile de droit commun, laquelle court au jour où le conjoint victime du recel en a eu connaissance et au plus tard au jour de l'achèvement des opérations de partage.
Références :
■ Civ. 17 avr.1867, DP 1867.1.247
■ Civ. 1re, 12 févr. 2020, n° 19-11.668 : D. 2020. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2020. 365, obs. N. Levillain ; RTD civ. 2020. 436, obs. M. Grimaldi
■ Civ. 28 oct. 1907, DP 1910, 1, Jur. p. 292
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