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[ 29 juin 2010 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Question préjudicielle v. QPC : réponse de la CJUE

Mots-clefs : Question prioritaire de constitutionnalité, Question préjudicielle, Contrôle de conventionnalité, Contrôle de constitutionnalité (articulation)

Par un arrêt du 22 juin 2010, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) répond à la Cour de cassation s'agissant de l'articulation entre question préjudicielle et question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ; elle estime, par ailleurs, que le contrôle d'identité aux frontières dit « Schengen » est contraire au droit communautaire.

Dire que l'arrêt de la Cour de justice était attendu relève de l'euphémisme…. La réponse apportée, pourtant, risque ne pas apaiser les débats entre les « supporters » de la QPC et leurs adversaires. En effet, en substance, la Cour de Luxembourg valide la QPC pour autant qu'elle ne prive pas le juge national de poser une question préjudicielle à tout moment et qu'elle lui permette de laisser inappliquée la disposition législative nationale en cause s'il la juge contraire au droit de l’Union.

Par deux arrêts du 16 avril 2010 (Cass., QPC, 16 avr. 2010), la Cour de cassation, saisie d'une QPC qui invoquait la contrariété de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale, à la liberté d'aller et venir, garantie à la fois par la Constitution et par l'article 67 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), avait décidé d'interroger la CJUE sur la conformité du mécanisme de la QPC au droit communautaire (art. 267 TFUE).

Dès le 12 mai, profitant de l'examen de la loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, le Conseil constitutionnel avait répondu à cette question (Cons. const., 12 mai 2010). Il avait affirmé que l'autorité qui s'attache à ses propres décisions ne limite pas la compétence des juridictions pour faire prévaloir les engagements européens et internationaux de la France sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution, que le juge qui transmet une QPC peut prendre toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires (et suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l'Union), et que l'article 61-1 de la Constitution et les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ne privent pas le juge de son pouvoir de poser une question préjudicielle à la CJUE, y compris lorsqu'il transmet une QPC.

Le Conseil d'État était également revenu, à l'occasion d'un pourvoi de l'Office français de protection des réfugiés (OFPRA) concernant une décision de la commission des recours des réfugiés, sur l'articulation du contrôle de conventionnalité et de la QPC (CE 14 mai 2010, M. B…). Tempérant à son tour l'importance de la priorité donnée à l'exception d'inconstitutionnalité par le législateur organique, il avait alors indiqué que les nouvelles dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne faisaient pas obstacle à ce que le juge administratif assure l'effectivité du contrôle de conventionnalité, au terme de la procédure d'examen de la QPC ou à tout moment, lorsque l'urgence le commande, afin de faire cesser immédiatement tout effet éventuel de la loi contraire au droit de l'Union, ajoutant que le juge administratif pouvait, à tout instant, poser une question préjudicielle à la CJUE sur le fondement de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Dans son arrêt du 22 juin, la CJUE indique, dans un premier temps, que le système de coopération entre la Cour de justice et les juridictions nationales instauré par l'article 267 TFUE « nécessite que le juge national soit libre de saisir, à tout moment de la procédure qu'il juge approprié, et même à l'issue d'une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de justice de toute question préjudicielle qu'il juge nécessaire » (§ 52), et exige que le juge « soit libre, d'une part, d'adopter toute mesure nécessaire afin d'assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union et, d'autre part, de laisser inappliquée, à l'issue d'une telle procédure incidente (de contrôle de constitutionnalité), ladite disposition législative nationale s'il la juge contraire au droit de l'Union » (§ 53). Elle précise que, s'agissant d'une loi nationale de transposition des dispositions impératives d'une directive, « la question de savoir si la directive est valide revêt, eu égard à l'obligation de transposition de celle-ci, un caractère préalable » (§ 56). Elle conclut que : « l'article 267 TFUE s’oppose à une législation d’un État membre qui instaure une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales, pour autant que le caractère prioritaire de cette procédure a pour conséquence d’empêcher, tant avant la transmission d’une question de constitutionnalité à la juridiction nationale chargée d’exercer le contrôle de constitutionnalité des lois que, le cas échéant, après la décision de cette juridiction sur ladite question, toutes les autres juridictions nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur obligation de saisir la Cour de questions préjudicielles. En revanche, l’article 267 TFUE ne s’oppose pas à une telle législation nationale, pour autant que les autres juridictions nationales restent libres : de saisir, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, et même à l’issue de la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de toute question préjudicielle qu’elles jugent nécessaire, d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la législation nationale en cause au principal peut être interprétée conformément à ces exigences du droit de l’Union ».

La CJUE censure, dans un second temps, les dispositions nationales relatives aux contrôles d'identité fondés sur l'article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale ; elle estime ainsi que « l'article 67, paragraphe 2, TFUE ainsi que les articles 20 et 21 du règlement n° 562/2006 s’opposent à une législation nationale conférant aux autorités de police de l’État membre concerné la compétence de contrôler, uniquement dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre de cet État avec les États parties à la Convention d'application de l'accord de Schengen, l’identité de toute personne, indépendamment du comportement de celle-ci et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévues par la loi, sans prévoir l’encadrement nécessaire de cette compétence garantissant que l’exercice pratique de ladite compétence ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières ».

CJUE 22 juin 2010, aff. C-188/10 et C-189/10, Melki

 

Références

■ Article 78-2 al. 4 du Code de procédure pénale

« Dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté l'identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsque ce contrôle a lieu à bord d'un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des vingt kilomètres de la frontière. Toutefois, sur celles des lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale et présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut également être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des cinquante kilomètres suivants. Ces lignes et ces arrêts sont désignés par arrêté ministériel. Lorsqu'il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée à la première phrase du présent alinéa et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu'à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté. Le fait que le contrôle d'identité révèle une infraction autre que celle de non-respect des obligations susvisées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. »

■ Article 61-1 de la Constitution

« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. 

Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

■ Articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 267

« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

a) sur l'interprétation des traités,

b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais. »

Article 67

« 1. L'Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres.

2. Elle assure l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière d'asile, d'immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l'égard des ressortissants des pays tiers. Aux fins du présent titre, les apatrides sont assimilés aux ressortissants des pays tiers.

3. L'Union œuvre pour assurer un niveau élevé de sécurité par des mesures de prévention de la criminalité, du racisme et de la xénophobie, ainsi que de lutte contre ceux-ci, par des mesures de coordination et de coopération entre autorités policières et judiciaires et autres autorités compétentes, ainsi que par la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale et, si nécessaire, par le rapprochement des législations pénales.

4. L'Union facilite l'accès à la justice, notamment par le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires en matière civile. »

■ Cass., QPC, 16 avr. 2010D. 2010. AJ 1079 ; ibid. 2010. Édito 1137 ; ibid. 2010. Jur. 1254, note Levade ; ibid. Chron. 1229, obs. Fombeur ; ibid. Chron. 1234, obs. Cassia et Saulnier-Cassia ; JCP 2010. act. 464, obs. Mathieu ; AJDA 2010. 1023, note Manin.

■ Cons. const., 12 mai 2010, n° 2010-605 DCD. 2010. Jur. 1321, note Levade.

■ CE 14 mai 2010M. B…, req. n° 312305.

 

Auteur :S. L.


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