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[ 24 mars 2016 ] Imprimer

Droit des obligations

Qui ne combat pas perd tout !

Mots-clefs : Bail, Réparations locatives d’immeuble, État des lieux, Charge de la preuve, Présomption simple, Renversement (non), Risque de la preuve

S’il n’a pas été fait d’état des lieux du bien loué, le preneur est présumé l'avoir reçu en bon état de réparations locatives, et doit le rendre comme tel, sauf à en rapporter la preuve contraire.

Locataire d'une maison, un couple avait, après avoir quitté les lieux, demandé au propriétaire la restitution du dépôt de garantie et ce dernier, par voie reconventionnelle, avait sollicité leur condamnation au paiement de diverses réparations. La cour d’appel fit droit à la demande du bailleur, jugeant que le coût des remises en état devait être laissé à la charge des locataires dès lors qu’ils sont légalement présumés avoir reçu le bien loué en bon état de réparations locatives, et doivent rendre le bien comme tel, sauf preuve contraire laquelle, en l’espèce, n’avait pas été rapportée. A l’appui de leur pourvoi en cassation, les locataires tentèrent de soutenir que si par principe, le locataire est présumé avoir reçu le bien loué en bon état de réparations locatives, il appartient néanmoins au bailleur, en cas de contestation, de démontrer que les lieux n'ont pas été restitués en bon état et de justifier des réparations auxquelles il a dû procéder et de leur coût pour en imputer la charge au locataire.

Cette analyse est rejetée par la Cour : les juges du fond ayant constaté qu'aucun état des lieux d'entrée ni de sortie n'avait été dressé, relevé que l'existence des désordres était établie par les factures de réparations produites par le bailleur et souverainement retenu que les locataires ne renversaient pas la présomption pesant sur eux en application de l'article 1731 du Code civil, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, sans inverser la charge de la preuve, que le coût des remises en état devait être laissé à leur charge.

Texte fondateur de la détermination de la charge de la preuve, l’article 1315 du Code civil pose un principe qui connaît des exceptions. Par principe, la charge de la preuve incombe au demandeur : le demandeur qui avance une prétention supporte la charge de prouver le fait qu’il allègue à l’appui de sa prétention. Le défendeur, quant à lui, n’a rien à prouver. Cette solution est fondée sur l’idée que le demandeur, en ce qu’il entend remettre en cause une situation normalement établie, doit supporter le fardeau de la preuve. Ainsi, en l’espèce, le bailleur, parce qu’il demandait le paiement de réparations locatives, aurait dû être tenu de la charge de rapporter la preuve de sa créance.

Cependant, le principe précité n’est pas absolu et, notamment, peut être tempéré par l’établissement légal ou judiciaire de certaines présomptions. Selon l’article 1349 du Code civil, les présomptions sont « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu ». Autrement dit, la preuve du fait inconnu est déduite du fait connu. Outre les présomptions posées par le magistrat, dites présomptions du fait de l’homme, les présomptions peuvent aussi, comme en l’espèce, être légalement prévues. Et parmi ces présomptions dites légales, certaines déplacent simplement l’objet de la preuve quand d’autres opèrent un véritable renversement de la charge de la preuve. Les premières ont donc simplement pour effet d’alléger la charge de la preuve, qui continue d’incomber au demandeur puisque ce dernier devra tout de même prouver le fait connu pour établir le fait inconnu. Par exemple, la présomption de paternité édictée à l’article 312 du Code civil (« l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ») permet à l’enfant qui souhaite établir son lien de filiation de n’avoir qu’à rapporter la preuve d’un fait établi – sa conception ou sa naissance durant le mariage de ses parents – pour que puisse être déduit un fait incertain mais vraisemblable : la paternité du mari.

Quant aux secondes, celles opérant un renversement de la charge de la preuve, elles présument un fait, en sorte que le demandeur n’a rien à prouver et que le défendeur voit par exception peser sur lui la charge d’établir que le fait présumé n’existe pas. Ainsi la présomption posée à l’article 1731 du Code civil, au cœur de la décision commentée, relève-t-elle de cette seconde catégorie : sous la réserve qu’un état des lieux ait été établi, le bailleur n’a, pour obtenir le paiement des réparations, rien à prouver, le texte affirmant expressément que le preneur est présumé avoir reçu les lieux en bon état de réparations locatives. C’est donc bien ce dernier qui supporte la charge de prouver le mauvais état des lieux.

Toutefois, si certaines présomptions, irréfragables, ne peuvent être renversées, d’autres, comme celle prévue par le texte précité, peuvent être combattues par la preuve, contraire, que le fait présumé n’existe pas. Parmi ces présomptions qualifiées de réfragables, certaines peuvent être renversées par tous moyens tandis que d’autres ne peuvent l’être que par certains modes de preuve. Celle prévue par l’article 1731 est simple, comme le rappelle ici la Cour, relevant que les locataires n’ont par aucun moyen réussi à la combattre. C’est le fameux risque de la preuve : faute pour celui qui assume la charge de la preuve de combattre la présomption établie en faveur de celui qui ne l’endosse pas, il perd le procès (Sur cette question, V. A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, n° 234 s.).

Civ. 3e, 25 févr. 2016, n° 15-13.056

 

Auteur :M. H.

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