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[ 25 janvier 2018 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Qui qualifie bien, licencie bien !

Mots-clefs : Licenciement, Faute grave, Maladie professionnelle, Lettre de licenciement, Qualification juridique

Le juge ne peut aggraver la qualification de la faute retenue par l’employeur.

Le présent arrêt illustre l’importance de la motivation des actes patronaux en droit du travail, spécialement du licenciement. Il fait application d’une solution jurisprudentielle établie depuis 2013 selon laquelle le juge ne peut aggraver la qualification de la faute retenue par l’employeur dans la lettre de licenciement (Soc. 26 juin 2013, n° 11-27.413). 

Voici en l’espèce comment un employeur a rédigé le courrier notifiant la rupture de son contrat à un salarié :  

« (…) Nous avons été informés le 29 juillet 2011 des faits suivants :

- Vous avez agressé verbalement et physiquement à plusieurs reprises, une collègue intérimaire, qui est venue relater ces faits auprès de votre responsable hiérarchique.

- Le 22/ 07/ 2011 vous avez passé votre main sous le tee-shirt de Mme Y... et en l'agrippant, l'avez embrassée dans le cou alors qu'elle vous avait signifié qu'elle ne voulait pas être embrassée par vous.

Toujours le 22/ 07/ 2011 vous vous êtes approché de son poste et, en lui jetant une banane, vous lui avez dit (je cite) " vous n'avez qu'à vous la mettre dans le cul ".

- Un témoin vous a vu au milieu de la semaine 29 au moment de la pause de 6 h, avoir des gestes équivoques envers Mme Y... (baisers forcés, vous asseoir à califourchon sur elle contre son gré).

Les explications recueillies auprès de vous, au cours de l'entretien, ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet. Vos agissements sont intolérables et inacceptables, aussi, nous avons décidé de vous licencier pour cause réelle et sérieuse. »

Les faits reprochés, s’ils sont avérés, sont accablants pour le salarié. L’employeur, dans cette lettre, précise bien la nature des actes qu’il reproche à son subordonné, leurs dates, circonstances et éléments de preuve. Mais il commet aux yeux de la Cour de cassation une erreur impardonnable, celle de parler d’un « licenciement pour cause réelle et sérieuse ». La conséquence en sera la nullité de ce licenciement. Il se trouve en effet que le salarié était, lors de la procédure de licenciement, en congé pour maladie professionnelle. Or, dans une telle situation, l’article L. 1226-9 du Code du travail prévoit que l'employeur ne peut rompre le contrat de travail de l’intéressé « que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie ». Cet article institue une protection particulière au bénéfice des salariés, restreignant les raisons d’agir de l’employeur, comme il le fait également à propos des femmes ayant révélé leur état de grossesse (pas de licenciement sans faute grave) ou encore à propos des salariés grévistes (pas de licenciement sans faute lourde). Dans ces différentes situations, l’existence d’une simple « cause réelle et sérieuse » de licenciement n’est donc pas suffisante. Il faut davantage. En l’espèce, l’employeur ayant seulement invoqué une cause réelle et sérieuse, les juges auraient dû considérer qu’aucune faute grave n’était retenue à l’encontre du salarié. 

C’est la première fois que la Cour de cassation retient ce raisonnement à propos d’une faute grave et d’un licenciement en cours de congé pour maladie professionnelle. Les arrêts précédents, du 26 juin 2013 et du 18 mars 2014, concernaient la qualification de faute lourde nécessaire pour justifier le licenciement d’un gréviste (Soc. 26 juin 2013, préc. ; Soc. 18 mars 2014, n° 12-26.326). Rappelons qu’on distingue classiquement quatre types de fautes en droit du travail :

● la faute légère, qui appelle une sanction, sans pour autant justifier un licenciement ;

●la faute sérieuse, qui constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement ;

● la faute grave, définie par la Cour de cassation comme celle qui « rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise » (Soc. 27 sept. 2007, n° 06-43.867) ;

● la faute lourde qui suppose l’intention de nuire à l’entreprise (Soc. 31 mai 1990, n° 88-41.419). 

Il est admis que le juge n’est pas tenu par la qualification de la faute donnée par l’employeur et qu’il peut ainsi atténuer cette dernière. En présence d’un licenciement prononcé pour faute grave, le juge peut estimer que la faute n’est qu’une cause sérieuse de licenciement, sans pour autant être grave. L’article 12 du Code de procédure civile fonde ce pouvoir de requalification du juge, en énonçant que ce dernier « doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux ». Mais ce qu’il peut faire dans un sens, le juge n’est pas autorisé à le faire en sens inverse. La Cour de cassation condamne en effet la « requalification in pejus » comme l’a nommée le professeur Jean Mouly (note ss. Soc. 26 juin 2013, préc.). 

Il faut relever cependant que dans les arrêts précédemment cités, de 2013 et 2014, l’employeur avait explicitement nommer la faute comme constituant une « faute grave », et prononcer ainsi un « licenciement pour faute grave » au lieu et place d’un « licenciement pour faute lourde ». Dans le présent arrêt, l’employeur se contente de dire qu’il licencie le salarié « pour cause réelle et sérieuse ». L’expression utilisée demeure générique, et vise la justification du licenciement en tant que telle. Il n’est pas du tout convaincant d’affirmer comme le font les magistrats de la Cour de cassation que l’employeur a par ici qualifié la faute elle-même reprochée au salarié. Et cette qualification transparaît davantage dans la formule « Vos agissements sont intolérables et inacceptables », d’où il résulte que l’employeur avait bien l’intention de licencier pour faute grave, et non pour une faute seulement sérieuse. 

Reste qu’on peut rétorquer que ce qui est sanctionné, c’est bien l’absence par l’employeur de qualification expresse de la faute grave. On peut relever à ce propos que le récent décret du 29 décembre 2017, établissant des lettres-types de licenciement, prévoit à propos du licenciement disciplinaire que l’employeur précise s’il s’agit d’un licenciement pour faute sérieuse, grave, ou lourde (Décr. n° 2017-1820 du 29 déc. 2017 établissant des modèles types de lettres de notification de licenciement, annexe I). 

Soc. 20 décembre 2007, n° 16-17.199

Références

■ Soc. 26 juin 2013, n° 11-27.413 P : D. 2013. 1692 ; Dr. soc. 2013. 757, obs. J. Mouly.

■ Soc. 18 mars 2014, n° 12-26.326.

■ Soc. 27 sept. 2007, n° 06-43.867 P : D. 2007. 2538 ; RDT 2007. 650, obs. G. Auzero.

■ Soc. 31 mai 1990, n° 88-41.419 P.

 

Auteur :Benoit Geniault


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