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Droit des obligations
Rappel de la condition de certitude du préjudice réparable
Pour être réparable, le préjudice doit être certain. Tel n'est pas le cas du préjudice invoqué par un investisseur, toujours titulaire de ses titres, dont la valeur liquidative est susceptible de variations à la hausse ou à la baisse.
Com. 27 mai 2021, n° 19-17.275
Une société de conseil en financement dans le domaine de l'hôtellerie avait proposé à des particuliers un investissement leur permettant de réduire leurs impôts en participant à la création d'un hôtel. Ils avaient à cet effet souscrit des parts dans une société civile chargée de gérer leurs apports. À la suite d’opérations effectuées par la première société avec plusieurs sociétés ayant également contribué au projet, plusieurs investisseurs avaient recherché sa responsabilité, excipant d’un manquement à ses obligations d'information et d'exécution de bonne foi des conventions conclues.
Sur le fondement du dol et du devoir de bonne foi dans l’exécution du contrat, l’un d’eux reprochait notamment à cette société d’avoir effectué des opérations de fusion-absorption ayant eu pour effet de provoquer une dilution de ses droits, au point qu’il serait devenu détenteur de parts dont la valeur sur le marché boursier était inférieure de plus de 90 % du montant de son investissement initial.
La cour d’appel rejeta sa demande au motif de l’incertitude du préjudice allégué, dès lors qu’il était toujours titulaire de ses titres, dont la valeur liquidative était susceptible de variations, à la hausse comme à la baisse. Devant la Cour de cassation, l’investisseur affirma au contraire que la dilution de ses droits consécutive aux opérations de fusion effectuées constituait un préjudice actuel, certain et définitif.
Son pourvoi est rejeté, la Cour de cassation approuvant l’analyse de la cour d’appel ayant déduit à bon droit de ces constatations que le préjudice invoqué, présentant un caractère incertain, n'était pas caractérisé.
■ La réparabilité du préjudice en droit commun
Le préjudice est l’une des conditions de la responsabilité civile, gouvernée par le principe selon lequel tout type de préjudice, de nature patrimoniale ou extrapatrimoniale, peut être indemnisé, à la condition toutefois de présenter certains caractères. Dès lors, l'indemnisation du préjudice financier ne devrait pas poser de difficultés : comme le droit de la responsabilité civile n'établit pas de liste préétablie des préjudices indemnisables, le préjudice financier devrait être nécessairement indemnisable, d’autant plus qu’il semble pouvoir intégrer naturellement la catégorie des préjudices patrimoniaux.
Mais pour qu’un préjudice soit réparable, encore faut-il qu’il soit tout à la fois certain, direct, légitime et personnel. Selon un auteur, la condition de la certitude du préjudice serait la plus décisive : « elle est de l’essence même du concept du préjudice indemnisable » (X. Pradel, Le préjudice dans le droit civil de la responsabilité, LGDJ 2004, p. 213). Déterminante, cette condition empêche la réparation du préjudice éventuel dont le caractère hypothétique ne permet pas de constater que le dommage allégué s’est réalisé de manière certaine. La victime ne peut donc obtenir réparation du préjudice qu’à la condition que son existence ne prête pas au doute. C’est notamment la raison pour laquelle les juges n’admettent d’indemniser la perte de chance, qui s’analyse comme la disparition d’une éventualité favorable, qu’à la condition que cette perte soit certaine : ils examinent donc les faits pour savoir si une chance réelle existait, et si elle a été perdue.
■ La réparabilité du préjudice financier : particularité du contexte
Le contexte financier ne se plie pas facilement aux conditions requises en droit commun : en particulier, le caractère certain du préjudice qui se trouvait au cœur de l’arrêt rapporté s’accorde mal avec la fluctuation constante de la valeur d’un titre ou d’un actif financier, supports invariables de tout investissement dont l’objet réside dans un bien caractérisé par son rattachement aux marchés financiers (A-V. Le Fur, « La protection de l’investisseur par le droit des biens. La notion de bien financier », in L’appréhension par le Droit du risque financier, juin 2010, RDBF, déc. 2010).
C’est alors tout l’intérêt de la présente décision de préciser les modalités d’application de cette condition de certitude au préjudice éprouvé en matière financière, dont dépendra le droit à réparation de sa victime.
Cet arrêt permet de définir les critères d'évaluation du préjudice subi par un investisseur ayant participé à une opération de défiscalisation dont le résultat, par essence aléatoire, est susceptible de se traduire par une moins-value préjudiciable à l’investisseur. En effet, l’investissement en instruments financiers est caractérisé par l’existence d’un risque.
En l’espèce, la nature de l’investissement réalisé permet de situer le contexte particulier dans lequel le préjudice a été éprouvé. Le fonctionnement même des marchés financiers se caractérise par la présence d’un aléa, défini comme « le risque qui découle pour les parties de l'incertitude où elles se trouvent quant au résultat de l'opération » (A. Bénabent, Contrats aléatoires, J.-Cl. Civil Code, art. 1964, Fasc. A.). L’existence de l’aléa ou du risque financier rend le résultat des opérations financières incertain, parce que ce résultat dépend de la fluctuation de la valeur des instruments financiers. L’investissement dans des instruments financiers – soit directement, soit en devenant porteur de parts d’organismes de placement collectif, crée toujours un risque. La personne qui réalise un investissement intervient donc volontairement dans un domaine marqué par l’aléa boursier. Cette caractéristique de l’investissement tend d’ailleurs à qualifier d’aléatoires les contrats financiers visés à l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier qui les intègre, conjointement aux titres eux-mêmes, à la catégorie plus large des instruments financiers. Leur valeur est alors « fonction de la possibilité effective de cession sur un marché » en même temps que cette valeur sera, logiquement, « déterminée par le fonctionnement du marché » (G. Parléani, « L’actif financier, un concept simple et opérationnel ? », in Les concepts émergeants en droit des affaires, ss la dir. E. Le Dollay, LGDJ, 2010, p. 359, n° 10).
Les instruments financiers présentant tous un aléa lié à la fluctuation de leur valeur dans le temps, la condition de certitude du préjudice susceptible de subvenir dans ce contexte semble difficile à caractériser.
■ La réparabilité du préjudice financier : articulation avec le préjudice certain de droit commun
En dépit de la spécificité du contexte dans lequel il est susceptible de se réaliser, le préjudice financier, comme tout autre, doit remplir la condition de certitude requise par le droit commun. Si le préjudice est purement hypothétique, il ne sera pas indemnisé : l’exigence d’un préjudice certain est maintenue. La jurisprudence y ajoute les qualificatifs « actuel » et « direct » : le caractère direct doit cependant être étudié à part, en ce qu’il renvoie davantage au lien de causalité entre la faute et le préjudice. Quant à l’exigence d’actualité, elle ne sert qu’à renforcer celle de la certitude (Flour, Aubert et Savaux, Les obligations, t. 2, Le fait juridique, Dalloz Sirey, 12e éd., n° 136).
En matière financière en général et dans le cas particulier d’une opération de défiscalisation, la question se pose alors en ces termes : lorsqu’un investisseur acquiert des titres et se prétend victime d’une faute à la suite de laquelle il a acquis des titres, peut-il prétendre que son préjudice est certain s’il n’a pas cédé les titres acquis ?
Dans le cas de l’espèce où l’investisseur n’a pas cédé ses titres, cette absence de cession ne permet pas d’identifier un préjudice final, c’est-à-dire une perte financière certaine. Le préjudice que l’on peut appeler final est la perte financière subie par l’investisseur du fait de la perte totale de l’investissement ou de son amoindrissement du fait de la baisse de la valeur de l’actif dans lequel les fonds ont été investis. Ce qui correspond à la perte subie (damnum emergens). Or celle-ci ne peut être constatée qu’en cas de cession, par comparaison des prix d’achat et de cession. Par exemple, le préjudice de l’investisseur qui cède à perte des titres acquis après la diffusion d’une fausse information remplit la condition de certitude du préjudice réparable. En revanche, l’investisseur qui n’a pas cédé les titres acquis ne subit pas de perte certaine, ni même une perte de chance car restant libre de céder ses titres, il pourrait bénéficier, le cas échéant, d’une augmentation ultérieure des cours, et ainsi même réaliser un gain : l’évolution constante des cours fait que la chance n’est jamais perdue tant que les titres acquis n’ont pas été cédés.
Certes, il serait possible d’objecter qu’il est injuste de faire dépendre l’indemnisation du préjudice financier subi par un investisseur de la cession de ses titres. Toutefois, un argument propre à la matière financière, directement exploité par la Cour dans cette affaire, justifie le refus de constater un préjudice certain en l’absence de cession effective des titres : de manière permanente, le cours des titres cotés sur les marchés financiers fluctue dans le temps, à la hausse ou à la baisse. Si à un moment donné, leur détenteur subit une moins-value, son préjudice ne pourra pas être jugé certain, en l’absence de cession, dès lors qu’il n’est jamais possible de savoir si la tendance baissière du cours va perdurer. Tant qu’il conserve ses titres, son préjudice financier ne pourra donc jamais être établi avec la certitude requise, en sorte qu’il n’ouvrira pas droit à réparation.
Ce refus est légitime : le détenteur de titres n’est nullement obligé de les céder au moment où la tendance du cours est baissière : il peut très bien attendre un meilleur moment pour céder ses titres. Si le cours remonte ou revient à un niveau égal à celui du prix d’acquisition, aucun préjudice ne sera finalement subi.
Conformément à cette analyse, la Cour de cassation refuse donc en l’espèce de réparer le préjudice financier de l’investisseur au motif qu’il était toujours titulaire de ses titres, par nature variables. Associée à leur variabilité intrinsèque, la conservation des titres litigieux entre les mains du demandeur rendait ainsi son préjudice incertain et partant, irréparable.
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