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Droit du travail - relations individuelles
Rappel de l’exigence de loyauté dans l’administration de la preuve
Mots-clefs : Licenciement, Faute grave, Preuve, Loyauté, Enregistrement téléphonique, Irrecevabilité
L’enregistrement par dictaphone d’une conversation au sein de l’entreprise n’est pas un mode de preuve recevable pour justifier le licenciement du salarié qui l’a réalisé.
Ni la ruse, ni le stratagème ne constituent un mode de preuve loyal (Soc. 18 mars 2008). L'indiscrétion subit la même sentence, du moins lorsqu’elle est le fait de l’employeur ; tel est l'enseignement que l'on doit tirer de l'arrêt reproduit. Une salariée engagée en qualité d'attachée de direction a été licenciée pour faute grave pour avoir enregistré des conversations au sein de la société à l'aide d'un appareil de type dictaphone. Pour juger le licenciement fondé sur une faute grave, l'arrêt retient notamment que l’employeur, qui avait découvert le dictaphone de la salariée en mode enregistrement dans les locaux de l'entreprise, était en droit de s’en servir et d’en écouter immédiatement le contenu, même en l'absence de la salariée, contrebalancée par la présence de plusieurs témoins.
La preuve d’une faute grave, tirée de l'enregistrement d'une conversation téléphonique effectué à l'insu du salarié, auteur des propos invoqués, est-elle recevable ? À cette question, la chambre sociale répond par la négative. Selon elle, la cour d'appel a violé les articles 9 du Code de procédure civile, 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe de loyauté dans l'administration de la preuve ; en effet, l'employeur ne pouvait, d’une part, procéder à l'écoute des enregistrements réalisés par la salariée sur son dictaphone personnel en son absence ou sans qu'elle ait été dûment appelée ; d'autre part, les enregistrements litigieux ayant été détruits, la salariée avait été mise dans l'impossibilité d'apporter une preuve contraire aux attestations qu'il produisait.
Ici applicable, le système de la liberté de la preuve, que l’on dénomme aussi celui de la preuve morale, admet tous les moyens de preuve. Il ne conduit pas pour autant à admettre la production de preuves obtenues de façon déloyale. Pour le dire autrement, la preuve morale n’évacue pas la morale de la preuve. Cette exigence a une portée générale : elle s’applique dans tous les domaines où la preuve est libre : en droit social donc, mais aussi en droit civil, en droit commercial, en droit administratif. Expressément rappelée par la Cour de cassation, l’exigence de loyauté dans l’administration de la preuve interdit, notamment, d’opposer à une personne une preuve obtenue à son insu. La loyauté d’un mode de preuve se caractérise par son éventuelle connaissance par la personne à qui on entend l’opposer. C’est la clandestinité, l’opacité du procédé, qui le rend déloyal ; ainsi l’article 9 du Code de procédure civile ici visé interdit-il tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images, de paroles ou de textes, réalisé à l’insu de celui à qui on l’oppose. Le juge social rappelle régulièrement cette interdiction. De nouveau mis à l'honneur par la chambre sociale, ce principe aurait-il été exprimé aussi solennellement devant les autres chambres de la Cour de cassation ? Nous le pensons, notamment à la lecture d'un arrêt remarqué de la chambre commerciale, déclarant déloyale (et donc irrecevable) la preuve tirée de 'enregistrement d'une conversation téléphonique effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués (Com. 13 oct. 2009). En revanche, la chambre criminelle considère que des enregistrements de conversations privées sont des modes de preuves recevables, même lorsque celles-ci relèvent du secret professionnel (Crim. 31 janv. 2012). La vérité en matière pénale n’aurait donc pas la même intensité qu’en matière civile ? L’enjeu d’un procès en matière pénale serait tel que l’on pourrait plus facilement s’accommoder de l’exigence de loyauté. Pourtant, si comme le souligne l’arrêt rapporté, la loyauté dans la preuve est un élément du droit au procès équitable, l’intensité de cette exigence ne devrait donc pas varier en fonction de la nature du procès : en effet, l’article 6 de la CEDH vise, sans distinction, toute procédure. De surcroît, la différence de positions entre la chambre criminelle et les autres chambres est regrettable en ce qu’elle conduit à des résultats contestables dans toutes les hypothèses où, comme dans l’espèce commentée et dans la plupart des affaires précédemment évoquées, les faits sur lesquels il est statué sont également constitutifs d’une infraction pénale.
Soc. 23 mai 2012, n°10-23.521
Références
■ Soc. 18 mars 2008, n°06-40.852.
■ Com. 13 oct. 2009, n°08-19.525.
■ Crim. 31 janv. 2012, n° 11-85.464, Dalloz Actu Étudiant 16 févr. 2012.
■ Article 9 du Code de procédure civile
« Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »
■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
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