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[ 14 novembre 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Rappel de l’opposabilité aux tiers de la renonciation à un droit contenue dans une transaction

Si l'effet relatif des contrats interdit aux tiers de se prévaloir de l'autorité d'une transaction à laquelle ils ne sont pas intervenus, ces mêmes tiers peuvent néanmoins invoquer la renonciation à un droit que renferme cette transaction.

Civ. 1re, 18 oct. 2023, n° 22-21.358

La solution n’est pas nouvelle (Civ. 1re, 25 févr. 2003, n° 01-00.890 ; Soc. 20 nov. 2013, n° 10-28.582 ; Civ. 1re, 22 févr .2017, n° 16-10.925, inéd.), mais par la publication au bulletin de cette décision, la Cour de cassation entend réaffirmer sa position concernant l’effet de la transaction et son opposabilité aux tiers : malgré l’effet relatif du contrat, elle admet qu’un tiers à une transaction puisse invoquer une renonciation à un droit contenue dans celle-ci.

Au cas d’espèce, une société et un salarié avaient conclu une transaction par laquelle les parties avaient convenu de requalifier le licenciement pour faute grave du salarié en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de liquider diverses indemnités dues à ce dernier pour un montant total de 92 734,36 euros. Cette transaction stipulait une clause de non-recours, aux termes de laquelle les parties ne pouvaient plus, à compter de sa conclusion, faire valoir une nouvelle prétention au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail. Or deux ans après la signature de cette transaction, l’ancien salarié a assigné la société et sa gérante en paiement de la somme de 1 500 000 euros correspondant, selon son estimation, à la moitié de la valeur nette de la société, au motif qu'il en serait devenu associé de fait.

En cause d’appel, la cour retint que par la transaction signée par les parties, celles-ci ont entendu régler définitivement les conséquences pécuniaires de la rupture du contrat et qu’en application de la clause de non-recours stipulée au contrat, le salarié avait ainsi renoncé à invoquer sa qualité d’associé de fait, ce qui rendait sa demande en paiement irrecevable. 

Le salarié continuant de prétendre à cette qualité s’est donc pourvu en cassation, arguant que la gérante de la société n’étant pas partie à la transaction, elle ne pouvait se prévaloir de la chose transigée pour lui opposer la renonciation qui y était insérée.

La Cour de cassation devait ainsi répondre à la question de savoir si malgré sa qualité de tiers au contrat, la gérante de la société pouvait invoquer le contenu de la transaction pour opposer au demandeur sa renonciation au droit d’invoquer sa qualité d’associé de fait. 

Procédant au rappel du principe précité, qu’elle substitue d’office à ceux critiqués par le moyen, la première chambre civile rejette le pourvoi : compte tenu de l’opposabilité aux tiers de la renonciation à un droit contenue dans une transaction, elle confirme l’irrecevabilité de la demande formée par le salarié. En effet, après avoir relevé que les parties à la transaction avaient entendu régler définitivement l'ensemble des conséquences pécuniaires de la rupture du contrat de travail de l’intéressé, prenant notamment en compte ses attributions et responsabilités au sein de la société, la cour d'appel a retenu que la clause de non-recours, qui proscrivait la formulation de toute nouvelle prétention au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail, avait pour effet d'interdire à l’intéressé de remettre en cause la chose transigée, au titre de la même activité exercée au sein de la société, par la contestation de l'existence d'un contrat de travail requalifié en société créée de fait avec la gérante, pour en déduire qu’il était définitivement réputé avoir exercé son activité au sein de la société en qualité de salarié, laquelle est exclusive de celle d'associé de fait.

Il en résultait que le demandeur, ayant ainsi renoncé à son droit d'invoquer la qualité d'associé de fait, était irrecevable à agir contre la société mais également contre la gérante, fondée à invoquer la transaction.

« (S)i l’effet relatif des contrats interdit aux tiers de se prévaloir de l’autorité d’une transaction à laquelle ils ne sont pas intervenus, ces mêmes tiers peuvent néanmoins invoquer la renonciation à un droit que renferme cette transaction » (nous soulignons) : renouvelant une motivation adoptée en 2003 (Civ. 1re, 25 févr. 2003, préc., ayant le premier précisé que « Attendu que si, selon l’article 2051 du Code civil, la transaction faite par l’un des intéressés ne lie point les autres et ne peut être opposée par eux, il en est autrement lorsqu’il renonce expressément à un droit dans cet acte »), le rejet du pourvoi était prévisible. Cette motivation prête cependant à discussion : bien que la distinction entre relativité et opposabilité du contrat s’applique à la transaction, celle ici opérée entre l’autorité de la transaction, dont le tiers ne peut se prévaloir compte tenu de son effet relatif, et l’opposabilité au tiers de la renonciation qu’elle renferme nous semble très théorique. Au cas d’espèce, on pouvait en effet légitimement se demander si la gérante était en droit de se prévaloir du contenu d’un contrat auquel elle n’était pas partie. Outre l’affaiblissement général de la portée désormais conférée à la relativité contractuelle (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 774, n° 671), la volonté de favoriser les modes non juridictionnels de règlement des litiges justifie certainement le choix de la Cour de cassation de renforcer ainsi l’effet extinctif de la transaction par l’assouplissement des conditions de son opposabilité aux tiers, d’autant plus qu’en l’espèce, l’instance à laquelle le tiers était défendeur avait un objet identique à celui de la transaction ayant régi la rupture du contrat de travail signée par le demandeur. Présentant l’intérêt pratique de prévenir le contentieux, la solution ici retenue par la Cour de cassation contourne l’obstacle de l’effet relatif du contrat pour autoriser tout tiers intéressé à la transaction à invoquer la renonciation qu’elle comporte.

Dont acte : le demandeur qui entendrait renoncer à ses engagements transactionnels est susceptible de se heurter à l’irrecevabilité de sa prétention dès lors qu’un tiers intéressé peut invoquer la renonciation incluse dans le contrat.

Références :

 

Auteur :Merryl Hervieu


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