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Droit des obligations
Recel de la chose assurée : l’assureur demeure tenu d’indemniser le souscripteur !
L’assuré entré frauduleusement en possession de la chose sinistrée demeure en droit d’être indemnisé.
Civ. 2e, 31 août 2022, n° 20-16.701
Après en avoir pris possession le 29 septembre 2015, l’acquéreur d’un véhicule d’occasion avait laissé s’écouler un délai de trois mois avant de le faire immatriculer et de l’assurer. Trois jours plus tard, à la suite d’un accident survenu sur la voie publique, son véhicule avait été incendié. L’assureur avait refusé de l’indemniser, motif pris que l’assuré était receleur du véhicule, détourné au préjudice d’une société de location étrangère puis cédé à l’assuré pour un prix très en-deçà de celui du marché. La cour d’appel jugea légitime son refus « d’indemniser la perte d’un véhicule acquis dans des conditions frauduleuses, sur lequel son assuré aurait des droits éminemment contestables » (Bastia, 12 févr. 2020, n° 19/00027). La Cour de cassation censure cette décision ayant les faveurs du Bulletin. Rappelant qu’il résulte des articles L. 121-1, alinéa 1, et L. 121-6, alinéa 1, du code des assurances que l’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité et que toute personne ayant intérêt à la conservation d’une chose peut la faire assurer, et de l’article 1134, devenu 1103, du code civil, que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, la deuxième chambre civile juge inopérant le motif tiré des vices de possession du souscripteur-assuré sur le véhicule sinistré pour maintenir l’obligation indemnitaire dont l’assureur était tenu envers celui-ci.
Même entré frauduleusement en possession de la chose assurée, un souscripteur demeure donc en droit de solliciter l’exécution du contrat d’assurance et d’obtenir le versement de ses indemnités. Immorale mais textuellement justifiée, la décision rapportée confirme la possibilité pour un fraudeur, en l’espèce receleur, (v.déjà, pour le voleur d’un véhicule, Civ. 2e, 15 janv. 2015, n° 13-27.109), de faire assurer un bien illégalement obtenu. En effet, la Cour admet en l’espèce la conclusion d’un contrat d’assurance portant sur une chose recelée pour contraindre l’assureur à son exécution. Autrement dit, il ressort de cette solution que le recel de la chose assurée ne s’oppose ni à la conclusion du contrat d’assurance, ni à son exécution.
■ La conclusion du contrat - Autorisant « toute personne ayant intérêt à la conservation d’une chose » à la faire assurer, quel que soit son titre, l’article L. 121-6, alinéa 1er, du code des assurances visé par la Cour permet à tout utilisateur d’un bien, qu’il en soit le propriétaire, le possesseur ou même le simple détenteur, à souscrire un contrat d’assurance dès lors qu’il a intérêt à savoir le bien conservé ce qui est, en pratique toujours le cas puisque « l’utilisateur d’un véhicule, et de manière plus générale d’un bien », est objectivement « exposé au risque de ne plus pouvoir utiliser le bien si un événement l’affectant survient» (A. Pélissier, RGDA 2015.160, note ss Civ. 2e, 15 janv. 2015, préc.). Exclusif, ce critère économique tiré de l’intérêt d’assurance chasse l’exigence de la titularité d’un droit, réel ou personnel, du candidat à l’assurance sur la chose : l’existence d’un lien de droit entre la personne et la chose est ici indifférente, l’intérêt d’assurance n’étant considéré qu’au regard de la situation économique de l’assuré, qui sera obérée chaque fois que la survenance d’un sinistre le privera de la chose assurée. Ainsi, en l’espèce, dès lors qu’il en allait de son intérêt, le simple possesseur du véhicule pouvait prétendre à la souscription d’un contrat d’assurance. De surcroît, la légitimité de cet intérêt d’assurance n’est pas requise par l’article L.121-6, si bien que la possibilité de souscrire un contrat d’assurance reste inchangée même si la chose assurée provient d’un recel, ou d’un vol. Reste à l’assureur la possibilité d’obtenir ultérieurement la nullité du contrat pour illicéité de son contenu, à la condition de rapporter la preuve de la fraude. En l’espèce plausible (circonstances suspectes d’acquisition, décalage entre la prise de possession et l’assurance du véhicule, survenance du sinistre trois jours seulement après la souscription de cette assurance) malgré le fait non débattu du caractère accidentel du sinistre, la fraude de l’assuré n’avait aucunement été prouvée par l’assureur, en sorte que le contrat d’assurance devait être considéré comme ayant été valablement conclu.
■ L’exécution du contrat - Justifient également la solution l’article 1134, devenu 1103, du code civil, relatif à la force obligatoire des conventions, et l’article L. 121-1 du code des assurances, relatif à l’exécution du contrat d’assurance de dommages, emportant l’obligation pour l’assureur d’indemniser son assuré en cas de sinistre. L’intérêt d’assurance pouvant être illégitime, les vices de possession de la chose recelée sont jugés indifférents (v. déjà, Civ. 1re, 25 avr. 1990, n° 88-17.699 : « les qualités de la possession sur le véhicule litigieux étaient indifférentes, dès lors que [le possesseur de celui-ci], ayant intérêt à sa conservation, avait fait assurer à son propre bénéfice ce véhicule »). C’est la raison pour laquelle en l’espèce, le possesseur d’une chose recelée est néanmoins autorisé à obtenir l’exécution du contrat, et partant, le versement de son indemnité d’assurance. Cette indemnité ne saurait par ailleurs être réclamée par le propriétaire de la chose assurée, dont la qualité de tiers au contrat d’assurance le prive d’une action en revendication sur l’indemnité d’assurance (Civ. 1re, 9 déc. 1997, n° 95-17.544 ; v. égal. sur ce point, A. Pélissier, note préc.). Celle-ci sera donc conservée par l’assuré en contrepartie des primes qu’il aura effectivement versées à l’assureur, conformément à l’économie du contrat d’assurance.
En définitive, la solution ici rendue reflète la conception économique du contrat d’assurance adoptée en droit français au mépris de l’adage « fraus omnia corrumpit ».
Références :
■ Civ. 2e, 15 janv. 2015, n° 13-27.109
■ Civ. 1re, 25 avr. 1990, n° 88-17.699 : D. 1991. 20, obs. A. Robert
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