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[ 17 mai 2024 ] Imprimer

CEDH : recherche d’équilibre entre l’intérêt supérieur de l'enfant et les droits des parents

 

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a récemment statué dans l’affaire Verhoeven c/ France, offrant une clarification essentielle sur l’application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 et l’équilibre délicat entre les droits des parents et l’intérêt supérieur de l’enfant dans les cas d’enlèvement international d’enfant.

CEDH 28 mars 2024, Verhoeven c/ France, n° 19664/20

En l’espèce, le 27 juin 2007, la requérante, ressortissante française, s’est mariée en France avec un homme, ressortissant japonais. Le couple a vécu au Japon à partir du mois de septembre 2008 et de cette union est issu un enfant, né le 8 juin 2015 au Japon. Souhaitant retourner en France, la requérante quitta le Japon le 17 juillet 2017 avec son fils ; en septembre de la même année, elle informa son époux de son intention de rester en France et demanda le divorce. Une requête en ce sens est alors déposée devant le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance (TGI) de Narbonne le 14 septembre 2017. Le 2 octobre de la même année, le père de l’enfant a saisi le ministre des Affaires étrangères japonais d’une demande d’aide au retour de l’enfant. Le 20 novembre 2017, l’autorité centrale du Japon sollicita la Chancellerie française, en sa qualité d’autorité centrale désignée pour la mise en œuvre de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, pour qu’une décision ordonnant le retour de l’enfant soit rendue.

■ La procédure en droit interne

Le 8 janvier 2018, le Procureur de la République du TGI de Montpellier assigna la mère de l’enfant devant ce tribunal à cette fin.

Par une ordonnance du 8 février 2018, le TGI a estimé que le déplacement de l’enfant était illicite, au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye, puisque les parents exerçaient conjointement l’autorité parentale jusqu’au départ en France. Bien que le père ait semblé accepter que la mère vive en France avec leur fils, cela était conditionné par un retour au Japon pour discuter préalablement, ce qui ne constituait pas un acquiescement clair en France selon l’article 13a), de la Convention de La Haye. De plus, les allégations de violences conjugales n’étaient pas suffisamment étayées pour constituer un risque grave pour l’enfant au sens de l’article 13, b), de la Convention.

La Cour d’appel de Montpellier, dans son arrêt rendu le 12 juillet 2018 (n° 18/00952) a confirmé cette décision en toutes ses dispositions, soulignant notamment que la mère devait faciliter le retour de l’enfant et, si nécessaire, accompagner l’enfant pendant la procédure de séparation : « il appartenait en effet à la requérante de favoriser le retour de l’enfant, et le cas échéant d’y séjourner » (consid. 20).

La mère de l’enfant a alors formé un pourvoi en cassation Dans son arrêt rendu le 22 novembre 2018 (Civ. 1re, 22 nov. 2018, n° 18-20.546), la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel. Elle a estimé que cette dernière n’avait pas examiné si le retour de la mère au Japon avec l’enfant n’allait pas la priver de ses droits parentaux, exposant ainsi l’enfant, âgé de 3 ans et ayant toujours vécu avec elle, à un risque grave de danger psychologique.

La cause a été renvoyée devant la cour d’appel de Toulouse (n° 18/05145), qui a confirmé l’ordonnance initiale du 8 février 2018 et a ordonné le retour de l’enfant. Elle a jugé que l’acquiescement du père au maintien de la requérante avec l’enfant n’était pas établi et que les allégations de danger pour l’enfant auprès de son père n’étaient pas fondées. La Cour a également souligné que l’enfant était né au Japon, y avait toujours vécu et avait des repères identitaires dans ce pays, ce qui ne créait pas de choc psychologique à son retour.

Saisie une seconde fois par la requérante, la Cour de cassation a rendu un arrêt en date du 21 novembre 2019 (Civ. 1re, 21 nov. 2019, n° 19-19.388), considérant que la cour d’appel de renvoi avait statué en prenant en compte l’intérêt supérieur de l’enfant et avait donc légalement justifié sa décision. Elle releva notamment que conformément à l’article 13, b), de la Convention de La Haye, le retour immédiat de l’enfant ne peut être exceptionnel que s’il existe un risque de danger grave ou de création d’une situation intolérable. Les autorités judiciaires doivent tenir compte des informations fournies par l’autorité compétente de l’État de résidence habituelle de l’enfant, en considérant en priorité l’intérêt supérieur de celui-ci. Elle constate en outre que la demanderesse au pourvoi n’avait pas démontré qu’elle ne pourrait plus séjourner au Japon, d’autant plus que des propositions amiables avaient été faites par le père de l’enfant pour qu’elle puisse y résider.

■ La situation après le retour de l’enfant au Japon

Le 26 décembre 2019, l’enfant a été remis à son père selon un ordre de remise du procureur de la République. Le 20 juillet de l’année suivante, le ministère de la Justice a conseillé à la requérante de saisir les services compétents pour organiser son droit de visite. Et le 9 novembre 2020, le tribunal de Narbonne a constaté que les époux avaient accepté le principe de la rupture du mariage sans considération des faits à l’origine de celle-ci, et a fixé la résidence de l’enfant chez son père, accordant à la mère un droit de visite en France pendant certaines périodes de vacances.

La requérante saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme en soutenant que le retour de son fils au Japon viole l’article 8 de la Convention (droit au respect de la vie privée et familiale).

Le point décisif consistait à savoir si le juste équilibre devant exister entre les intérêts en concurrents en jeu (ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public) a été ménagé, dans les limites de la marge d’appréciation dont jouissent les États en la matière, en tenant compte toutefois que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la principale considération.

La Cour rappelle qu’elle ne remplace pas l’appréciation des juridictions nationales mais qu’elle vérifie simplement la conformité du processus décisionnel avec les droits des intéressés. Elle souligne que les autorités internes ont une obligation procédurale spéciale : les juges doivent examiner sérieusement les objections au retour de l’enfant et motiver leur décision en conséquence. Cette prise en compte doit être circonstanciée, conforme aux exceptions prévues par la Convention de La Haye et non automatique. Le Cour rappelle également que l’exception pour « risque grave » ne concerne que les situations dépassant ce que l’enfant peut raisonnablement supporter (CEDH 18 juin 2019, Vladimir Ushakov c/ Russie, n° 15122/17, § 97).

La CEDH constate que les décisions des juridictions françaises ordonnant le retour de l’enfant au Japon constituent une ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa vie familiale, protégée par l’article 8 de la Convention. Cependant, cette ingérence est prévue par la loi, poursuit un but légitime visant à protéger les droits et libertés du père de l’enfant et est considérée comme nécessaire dans une société démocratique. Elle ajoute également que les tribunaux internes n’ont pas ordonné le retour de l’enfant de manière automatique ou mécanique, mais ont pris en compte les allégations de la requérante de manière adéquate, dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon la Cour, les juridictions internes ont écarté tout risque grave pour l’enfant, notamment en considérant la possibilité d’une rupture des liens familiaux. Ainsi, la CEDH estime que le processus décisionnel a respecté les exigences de l’article 8 de la Convention et donc qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition.

Notons que cet arrêt soulève des questions importantes sur les droits parentaux et les procédures de retour des enfants dans le cadre de la Convention de La Haye, notamment dans les cas où l’un des parents est ressortissant d’un autre pays que celui où réside l’enfant. Une majorité de la doctrine souligne dans cette affaire qu’il s’agissait moins d’établir le droit étranger que de s’assurer de sa mise en œuvre par les juridictions étrangères (v. nota. D. actu., 4 avr. 2024, note P. Gondard, ici). Cette analyse doit se faire au cas par cas, en tenant en compte des difficultés réellement rencontrées dans l’État étranger. En l’espèce, les propositions amiables formulées par le père, à la mère, laissaient entendre une volonté de maintien effectif des relations entre la mère et son enfant. Cette nécessité de prendre en compte les circonstances de chaque affaire permet d’éviter une opposition systématique à toute décision de retour sur la seule base d’un risque présumé.

Références :

■ Montpellier 2 juill. 2018, n° 18/00952

■ Civ. 1re, 22 nov. 2018, n° 18-20.546 Rev. crit. DIP 2021. 799, Variété C. Chalas.

■ Toulouse 4 juill. 2019, n° 18/05145

■ Civ. 1re, 21 nov. 2019, n° 19-19.388 D. 2020. 1340, note E. Gallant ; AJ fam. 2020. 74, obs. K. Bihannic ; Rev. crit. DIP 2021. 799, Variété C. Chalas.

■ CEDH 18 juin 2019, Vladimir Ushakov c/ Russie, n° 15122/17 AJ fam. 2019. 540, obs. N. Nord.

 

Auteur :Sawsen Marsit


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