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Droit des successions et des libéralités
Recel successoral et manœuvre dolosive
Mots-clefs : Successions, Libéralités, Partage, Donation déguisée, Fraude, Manœuvre dolosive, Recel
La manœuvre dolosive commise par la veuve du défunt dans l'intention de rompre l'égalité du partage au détriment des cohéritiers est constitutive d’un recel successoral donnant lieu à la réintégration à la succession de la donation déguisée dont elle a bénéficié.
Une épouse mariée sous le régime de la séparation de biens avait acheté, en son nom, un bien immobilier financé par un emprunt qu’elle avait souscrit et par des fonds déclarés comme personnels. Après la mort de son conjoint, laissant pour lui succéder ses trois enfants dont deux nés d'une précédente union et son épouse, cette dernière avait renoncé à la succession.
Soutenant avoir pris connaissance du jugement portant révision de la prestation compensatoire due par le défunt, dont les motifs révélaient que celui-ci déclarait avoir financé l'achat de l'appartement par un apport initial de capital et le remboursement des échéances de l'emprunt, l'un des enfants du défunt avait assigné sa veuve ainsi que ses deux frères en partage de la succession, demandant aux juges saisis de constater l'existence d'une donation dissimulée et le recel successoral commis par l'épouse. La cour d'appel fit droit à sa demande. La veuve forma un pourvoi en cassation pour contester l’existence, retenue en appel, d’un recel successoral.
Elle n’obtiendra pas gain de cause devant la Cour de cassation, laquelle approuve les juges du fond d’avoir, sans inverser la charge de la preuve, souverainement déduit de présomptions graves, précises et concordantes, qu'aucun des éléments produits par la veuve n’était venu contredire le fait que le défunt avait financé en partie l'achat du bien immobilier de celle-ci, ce qu’elle avait dissimulé en déclarant de façon mensongère dans l'acte de vente que les fonds versés au titre de l'apport initial provenaient de ses fonds personnels, ce financement ayant ainsi enrichi son patrimoine au détriment de celui du défunt, sans contrepartie pour ce dernier. L'intention de s'appauvrir au profit de l'épouse, dans le but de la gratifier, était ainsi caractérisée et l'existence d'une donation déguisée devait en conséquence être retenue.
Rappelons que la donation est considérée comme une donation déguisée lorsque les parties dissimulent sa gratuité sous l’apparence d’un acte onéreux. Si le donateur lui-même peut trouver un intérêt à invoquer l’existence d’une donation déguisée, comme celui de se prévaloir d'une cause légale de révocation telle que l’ingratitude du bénéficiaire de la donation, les héritiers sont également intéressés par la qualification de donation déguisée, dans la mesure où la donation déguisée est rapportable à la succession, ce qui peut entrainer une augmentation de leur part successorale. Mais pour remettre en cause une telle donation et obtenir son rapport à la succession, encore faut-il apporter la preuve de l’existence d’une donation déguisée ce qui suppose, comme y est en l’espèce parvenu le fils du défunt, de démontrer que les actes d’acquisition contenaient des affirmations mensongères sur l’origine des fonds employés par la veuve pour acquérir les biens immobiliers (Civ. 1re, 5 avr. 2005, n° 02-21.011) cette preuve pouvant être librement rapportée par les héritiers, puisqu’ils sont tiers à l’acte, que le déguisement n’est pour eux qu’un simple fait, et que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Le déguisement étant prouvé, restait à démontrer l’intention frauduleuse pour caractériser un recel successoral, laquelle ne peut se déduire de la seule dissimulation de la donation. En l’espèce, les juges du fond l’ont retenue au regard de la déclaration mensongère sur l’origine des fonds dans l’acte d’acquisition, l’absence de déclaration de cette donation au notaire chargé de la succession, le refus de répondre à l’héritier qui l’interrogeait sur l’existence de cette donation et de la rapidité avec laquelle la veuve avait renoncé à la succession. Ainsi la cour d'appel a –t-elle pu retenir, faute pour la veuve d’avoir pu apporter la preuve contraire, l'existence d'une manœuvre dolosive de sa part dans l'intention de rompre l'égalité du partage au détriment des cohéritiers. En cela, la décision rapportée confirme la conception extensive retenue par la jurisprudence de la notion de recel successoral. Si dans les premiers temps, les tribunaux l’interprétaient strictement (Civ., 6 et 13 nov. 1855), ses contours ont très vite été largement définis à l’appui de l'ancien article 792 du Code civil, qui avait eu dès l’origine pour fonction de réprimer toute manœuvre dolosive commise à l’effet de fausser les opérations de partage successoral. Ainsi en est-il de toute fraude commise sciemment dans le but de rompre l'égalité du partage fut-elle sanctionnée, et ce quels que soient les moyens utilisés pour y parvenir (Ch. Req., 13 mars 1882), dès lors que le procédé utilisé tend à priver les cohéritiers d'un bien de la succession (Civ. 1re, 4 mai 1977, n° 76-10.320 ; Civ. 1re, 5 mars 2002, n° 00-16.848 ; Civ. 1re, 3 oct. 2006, n° 04-17.463). La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités paracheva cette évolution. En effet, elle élargit encore davantage les contours de la notion en étendant sa définition à l’omission frauduleuse d’un cohéritier, sanctionnant ainsi « l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession » et celui qui a « dissimulé l'existence d'un cohéritier » (Civ. 1re, 20 sept. 2006, n° 04-20.614).
Civ. 1re, 1er févr. 2017, n° 16-14.323
Références
■ Civ. 1re, 5 avr. 2005, n° 02-21.011, D. 2005. 1176 ; RTD civ. 2005. 598, obs. J. Mestre et B. Fages.
■ Civ., 6 et 13 nov. 1855.
■ Ch. Req., 13 mars 1882.
■ Civ. 1re, 4 mai 1977, n° 76-10.320 P.
■ Civ. 1re, 5 mars 2002, n° 00-16.848.
■ Civ. 1re, 3 oct. 2006, n° 04-17.463.
■ Civ. 1re, 20 sept. 2006, n° 04-20.614, D. 2006. 2969, note D. Jacotot
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