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[ 2 octobre 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

Réception de l’ouvrage : la fin du contrat d’entreprise

Avec ou sans réserves, la réception de l’ouvrage met fin au contrat d’entreprise en sorte que la société cessionnaire des contrats clients du constructeur initial, placé en liquidation judiciaire, ne peut être condamnée à la levée des réserves émises lors de la réception de l’ouvrage.

Un maître d’ouvrage avait confié la construction d’une piscine à une société spécialisée. Il avait accusé réception de l’ouvrage, à son achèvement, avec des réserves. Après le placement en liquidation judiciaire du constructeur, un jugement avait ordonné la cession des activités de ce dernier à une autre société, que le maître de l’ouvrage avait assignée en référé à l’effet de voir ordonner l’exécution des travaux ordonnés. La cour d’appel condamna, sous astreinte, la société cessionnaire à procéder à la levée de la totalité des réserves au motif que l’ensemble des contrats clients conclus par la société placée en liquidation ayant été cédés à la société cessionnaire, dont celui la liant désormais au maître d’ouvrage, ce contrat devait être considéré comme toujours en cours des lors que les réserves émises lors de la réception des travaux n’avaient toujours pas été levées. Cette décision est cassée au visa de l’article 1792-6 du Code civil ; par un attendu de principe aussi bref qu’assertif, la troisième chambre civile juge qu’en statuant ainsi alors que le contrat d’entreprise prend fin à la réception de l’ouvrage, avec ou sans réserves, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Le contrat d’entreprise constitue la catégorie générique des contrats de service. Sa définition est, à ce titre, particulièrement large : contrat par lequel l’une des parties, l’entrepreneur, s’engage à faire quelque chose pour l’autre, le maître de l’ouvrage, moyennant un prix convenu entre elles (C. civ., art. 1710). La caractéristique essentielle du contrat d’entreprise réside dans la dualité de son objet : débiteur d’une obligation de faire, l’entrepreneur génère toujours une valeur, qu’il transmet. A la fourniture d’un travail, créateur de valeur, succède la fourniture du résultat de ce travail ; c’est-à-dire de l’ouvrage achevé. 

C’est la raison pour laquelle la réception de l’ouvrage est, dans le processus contractuel de cette convention spéciale, capitale. Elle est définie comme « l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves ». Elle constitue l’une des obligations principales du maître de l’ouvrage, essentiellement tenu de prendre réception de l’ouvrage achevé. La force de cette obligation tient aux conséquences majeures qu’elle emporte. En effet, cet acte juridique par lequel le maître constate la correcte exécution des travaux et la conformité de l’ouvrage réalisé à celui commandé, rend tout à la fois le prix exigible, couvre les vices apparents sur lesquels n’ont été émis aucune réserve et, enfin, réalise le transfert de propriété et de risques de l’ouvrage au maître. 

La Haute cour complète cette liste d’effets liés à la réception de l’ouvrage en affirmant que la réception des travaux, même avec des réserves, met fin au contrat d’entreprise. Autrement dit, l’émission de réserves par le maître à la réception de l’ouvrage ne peut avoir pour effet de maintenir le contrat en cours. En effet, dans ce cas d’une réception de l’ouvrage avec réserves, la loi (C. civ., art. 1792-6) prévoit l’application d’une garantie spécifique, la garantie de parfait achèvement. Celle-ci oblige le constructeur à garantir, pendant le délai d’un an à compter de la réception, tous les désordres signalés par le maître de l’ouvrage, soit lors de la réception au moyen des réserves émises, soit postérieurement à celle-ci mais au cours de ce délai d’un an, par voie de notification écrite. Le maître de l’ouvrage peut donc exiger de l’entrepreneur qu’il procède aux travaux de réparation et, en cas de défaillance, faire exécuter ces travaux par un autre aux frais du débiteur. Précisons que cette faculté de remplacement non judiciaire n’est ouverte qu’après une mise en demeure restée infructueuse pendant 90 jours pour les désordres signales lors de la réception et durant 60 jours pour les autres. 

Prévue à l’effet d’accroître la protection des maîtres d’ouvrage (sur ce point, V. P. Puig, Contrats spéciauxDalloz, n° 901), cette garantie spécifique n’a pourtant pas pu, en l’espèce, bénéficier au demandeur au pourvoi. En effet, pour obtenir la levée des réserves, le maître de l’ouvrage ne peut agir que dans le cadre de cette garantie dont la mise en œuvre continue d’obliger contractuellement l’entrepreneur concernant les travaux réservés. Partant, seul le constructeur initial, soumis à une procédure collective, aurait pu théoriquement être appelé en garantie, si ses obligations contractuelles n’avaient pas pris fin du fait de la réception des travaux. En conséquence, la société cessionnaire ne pouvait être en l’espèce condamnée à procéder à la levée des réserves émises auprès du premier constructeur, libéré de son obligation de garantie. 

Civ. 3e, 6 sept. 2018, n° 17-21.155

 

Auteur :M. H.


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