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Droit des obligations
Réception tacite : insuffisance de l’occupation des lieux par le maître de l’ouvrage
En cas de travaux sur un ouvrage existant, la prise de possession permettant, avec le paiement du prix, de faire présumer la réception, ne peut résulter du seul fait que le maître de l'ouvrage occupait déjà les lieux.
Civ. 3e, 23 mai 2024, n° 22-22.938
Dans la décision rapportée, la Cour de cassation revient sur les conditions de la réception tacite de l’ouvrage, de nature à permettre au maître de cet ouvrage l’engagement de la garantie décennale et la garantie d’assurance du constructeur (C. civ., art. 1792 et 1792-6). Reposant sur un principe simple – la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de réceptionner les travaux – la notion de réception tacite reste en pratique difficile à établir. Loin de clarifier le régime de la réception tacite, le présent arrêt en souligne la complexité et confirme, par là même, son inefficacité.
Au cas d’espèce, un maître d’ouvrage avait réglé le paiement des travaux de réparation de la façade de l’établissement qu’il avait fait édifier ; en revanche, les travaux de finition de l’ouvrage n’avaient été ni exécutés ni payés. À la suite des travaux effectués, le maître avait observé l’apparition de nouvelles fissures sur la façade de l’édifice, qui en compromettaient la structure et attestaient de l’inefficacité des travaux de ravalement. En appel, la cour jugea toutefois inapplicable la responsabilité décennale, faute de réception, même tacite, de l’ouvrage. Les juges du fond ont en ce sens relevé que le paiement des travaux déjà réalisés et l’occupation des lieux par le maître de l’ouvrage ne suffisaient pas à établir la volonté non équivoque de ce dernier de le réceptionner. Devant la Cour de cassation, le demandeur soutenait au contraire que ces circonstances emportaient présomption de réception tacite de l’ouvrage. Le moyen est écarté par la Cour de cassation qui juge les circonstances invoquées insuffisantes à présumer la réception tacite et confirme en conséquence l’inapplicabilité de la garantie des constructeurs.
Au cœur du régime du contrat d’entreprise, la réception est l’acte juridique unilatéral par lequel le maître de l’ouvrage approuve les travaux accomplis par l’entrepreneur, reconnaît la conformité de l’ouvrage construit à celui commandé et déclare l’accepter, avec ou sans réserves. Elle s’opère le plus souvent au moment de la livraison mais cette concomitance, eu égard à la distinction entre réception et achèvement de la construction, n’est pas systématique (Civ. 3e, 15 janv. 1997, n° 95-10.549 : la construction de l’immeuble ne doit pas nécessairement être achevée pour que la réception puisse intervenir). Par ailleurs, aucune forme n’est en principe requise : la réception peut donc être tacite, à la condition, au demeurant essentielle, de caractériser une volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage commandé. La difficulté à nouveau illustrée dans la décision rapportée vient de la méthode d’appréciation de cette réception tacite, qui repose sur un faisceau d’indices convergeant vers l’univocité de cette volonté de réceptionner l’ouvrage. De manière constante, la Cour de cassation retient la réception tacite lorsque se trouvent réunis deux critères cumulatifs : la prise de possession de l’ouvrage et le paiement de l’intégralité des travaux (Civ. 3e, 30 janv. 2019, n° 18-10.197 ; Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.260). Hors cette hypothèse, les critères de la réception tacite restent incertains. Le flou est entretenu par la teneur et le nombre d’indices à réunir qui, pris isolément, sont insuffisants à caractériser la réception, ainsi que par la question de savoir si le paiement partiel du prix doit rester un obstacle à la réception tacite ou s’il convient, en cas d’indices supplémentaires d’une volonté de recevoir l’ouvrage, de le contourner. Sur ce dernier point, la troisième chambre civile semble ici revenir sur l’évolution de sa jurisprudence récente l’ayant conduit à admettre la réception tacite malgré un paiement partiel du prix du marché. En effet, alors qu’elle la faisait traditionnellement dépendre du règlement de la totalité du prix, la Cour avait admis de retenir la réception tacite en cas de paiement d’une partie substantielle du prix des travaux, à la condition que ce paiement partiel s’accompagne d’une prise de possession de l’ouvrage. Dans un arrêt remarqué du 15 juin 2022, la troisième chambre civile avait ainsi jugé que « la prise de possession de l’ouvrage et le paiement d’une partie substantielle du coût des travaux caractérisaient la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir en son entier, peu important qu’une partie des travaux de finition du premier étage n’ait pas été achevée » (Civ. 3e, 15 juin 2022, n° 21-15.023). Au cas d’espèce, malgré le paiement des travaux de réparation, soit de la partie substantielle des travaux commandés, elle exclut la réception tacite en l’absence d’exécution et donc de paiement des travaux de finition restant à effectuer (pt 21). Autrement dit, le paiement même substantiel du prix ne suffit pas à présumer la réception tacite par le maître de l’ouvrage et, en l’absence d’indices supplémentaires, la réception de l’ouvrage devait purement et simplement être exclue. En effet, l’achèvement de l’ouvrage n’étant pas une condition de la réception (Civ. 3e, 15 janv. 1997, préc.), la réception de l’ouvrage par tranche est admise mais à la condition, en l’espèce insatisfaite, que les travaux réceptionnés soient inclus dans des tranches de travaux indépendantes (Civ 3e, 16 mars 2022 n° 20-16.829) ; dans le cadre de l’espèce d’un marché unique et indivisible, la possibilité qu’invoquait le demandeur au pourvoi de réceptions partielles et successives de l’ouvrage est écartée (pt 21) ce qui, conjugué au seul paiement partiel du prix, devait conduire à exclure la réception tacite. Enfin, la prise de possession de l’ouvrage qui, à elle seule, ne suffit pas à établir la volonté tacite du maitre de l’ouvrage de réceptionner les travaux (Civ. 3e, 5 janv. 2022 n° 20-22.835), ne peut en conséquence résulter du seul fait que le maître de l’ouvrage occupait les lieux (pt 19). Il s’en déduit que le caractère partiel du paiement, même substantiel, des travaux réalisés « sur l’existant » ainsi que l’occupation des lieux par le maître de l’ouvrage ne forment pas un faisceau d’indices suffisamment concordants pour établir la réception tacite de l’ouvrage.
Signant la complexité du régime de la réception tacite, la solution permet de rappeler que bien qu’elle ne soit pas formalisée, la réception de l’ouvrage doit résulter d’une convergence d’actes concrets matérialisant la volonté du maître de recevoir l’ouvrage réalisé. Sa volonté de réceptionner l’ouvrage doit s’être manifestée sans ambiguïté, ce qui supposait en l’espèce qu’elle puisse être caractérisée autrement que par son occupation des lieux et le paiement des seuls travaux réalisés, même substantiels.
Références :
■ Civ. 3e, 15 janv. 1997, n° 95-10.549 : RDI 1997. 237, obs. P. Malinvaud et B. Boubli
■ Civ. 3e, 30 janv. 2019, n° 18-10.197 : D. 2019. 1269, note J.-P. Storck ; ibid. 1358, chron. A.-L. Collomp, C. Corbel, L. Jariel et V. Georget ; RDI 2019. 216, obs. B. Boubli
■ Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.260 : D. 2017. 1122
■ Civ. 3e, 15 juin 2022, n° 21-15.023
■ Civ 3e, 16 mars 2022 n° 20-16.829 : D. 2022. 605 ; ibid. 1117, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre ; RDI 2022. 289, obs. B. Boubli
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