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Procédure civile
Recevabilité de la tierce opposition formée par la caution solidaire contre la sentence arbitrale déterminant le montant de la dette du débiteur principal
Mots-clefs : Arbitrage, Sentence, Caution, Tierce-opposition, Recevabilité, Controverse, Droit à un procès équitable, Droit à l’accès au juge
La tierce-opposition formée par la caution solidaire contre une sentence arbitrale se prononçant sur le montant de la dette du débiteur principal est recevable, en ce qu'elle participe du droit à l'accès au juge, tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Une filiale cède à une holding les actions qu'elle détient dans une société. Une convention de garantie de passif et une convention de gestion de procès sont souscrites, chacune prévoyant une clause compromissoire, les arbitres recevant pouvoir d'amiable compositeur en dernier ressort. Sans prévoir de recours à l’arbitrage, sa société mère se porte caution solidaire, sans limitation de montant, de ses engagements au profit du créancier. Après qu’une sentence arbitrale a condamné le débiteur à payer au créancier une certaine somme, due au titre de la garantie de passif, ce dernier assigne en paiement la caution, qui forme tierce opposition à l'encontre de cette sentence.
La cour d’appel déclare celle-ci irrecevable, au motif qu'aucune fraude n'était alléguée dans la mise en œuvre du cautionnement lui-même et qu'il résultait des écritures de la caution qu'elle n'invoquait aucun moyen qui lui serait personnel, distinct de ceux que le débiteur, défendeur à la mise en cause de sa garantie de passif devant le tribunal arbitral, aurait pu lui-même faire valoir pour s'opposer, devant les arbitres, aux demandes de son créancier. En outre, la cour retient que la caution n'est pas fondée à prétendre avoir été privée de son droit d'accès au juge, garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l'article 16 de la Déclaration de 1789, d'autant que la caution qui estimerait que le débiteur principal aurait insuffisamment défendu ses droits face au créancier garanti pourrait toujours rechercher la responsabilité du débiteur principal vis-à-vis d'elle.
Une QPC avait alors été soumise à la Haute juridiction afin qu'elle détermine si l'article 1208 du Code civil, fondant l’interdiction faite à la caution solidaire d’exercer un recours contre une sentence arbitrale condamnant le débiteur principal à payer la dette garantie, était contraire à la Constitution.
Dans un arrêt du 27 novembre 2014 (Cass., QPC, 27 nov. 2014, n° 14-16.644), la Cour de Cassation avait cependant refusé de renvoyer la question au Conseil constitutionnel. Rappelant le principe énoncé, elle considère toutefois qu’en l’espèce, le droit à l'accès au juge, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que par l'article 1481 du Code de procédure civile, n’a pas été respecté.
La sentence arbitrale est opposable aux tiers. Il en résulte que comme tout jugement, elle est susceptible de léser les intérêts des tiers, lesquels seront admis à former tierce opposition (C. pr .civ., art. 1501). La tierce opposition est en effet ouverte à toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie, ni représentée à la décision qu'elle attaque.
La détermination de la qualité de tiers ne va toutefois pas sans difficulté, notamment s’agissant de la caution. Doit-elle être considérée comme un tiers à la procédure d'arbitrage opposant le créancier au débiteur cautionné ? La sentence n'oblige pas la caution comme partie à la procédure arbitrale. Pour cette raison, la sentence ne vaut pas titre à son encontre, en sorte que pour obtenir l'exécution de sa créance contre la caution, le créancier devra poursuivre celle-ci devant la juridiction étatique de droit commun, sur le fondement de la sentence condamnant le débiteur.
Il en résulte qu’en sa qualité de tiers, la caution devrait pouvoir contester la sentence rendue par la tierce opposition. Pourtant, la jurisprudence est depuis longtemps, sur ce point, divisée. Certains arrêts le lui ont refusé (Cass. req., 3 janv. 1938; Cass. req., 11 déc. 1934) quand d'autres, à l’inverse, l’ont jugé au contraire recevable (Civ., 1er juill. 1924 ; Com., 16 oct. 1956). Dans un arrêt du 6 juin 1981 (Civ. 3e, 6 juin 1981), la Cour de cassation a cependant fait le choix d’ouvrir la tierce opposition à la caution dès lors que celle-ci faisait valoir un moyen qui lui était propre, c'est-à-dire « un moyen qui n'avait pas été soulevé par le débiteur devant les arbitres ». Elle avait ensuite répété cette solution, limitant la recevabilité de la tierce opposition aux seuls cas où des « moyens personnels » peuvent être invoqués par la caution, moyens définis comme ceux « que les débiteurs n’auraient pu invoquer eux-mêmes ». Concrètement, la caution était ainsi seulement admise à contester, par la tierce opposition, son contrat de cautionnement, à l'exclusion de tout autre point jugé sur le rapport juridique liant le débiteur principal au créancier (Com., 4 oct. 1983, n° 82-12.415).
La solution, ici reprise par la cour d’appel, est contestable dans la mesure où elle limite la recevabilité de la tierce opposition formée par la caution à ce que la sentence attaquée n'a pu par hypothèse juger, ce qui est contraire à la fonction de cette voie de recours, qui est de « remet(tre) en question, relativement à son auteur, les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit » (C. pr. civ., art. 582, al. 2). Cependant, tout tiers ne pouvant être admis à former tierce-opposition, il eût même été concevable de fermer cette voie de recours à la caution qui a non seulement pour fonction de couvrir le risque de la condamnation du débiteur et qui dispose, en outre, d'un recours contre le débiteur. Ce fut d’ailleurs l’un des motifs avancés par la cour d’appel pour déclarer, en l’espèce, la tierce-opposition irrecevable. Mais le droit fondamental à l’accès au juge, fondé sur celui du droit au procès équitable garanti par le droit européen des droits de l’homme (Sur cette notion, v. notam. Cass., ass. plén., 21 déc. 2006, n° 00-20.493), justifie la cassation de leur décision.
Com., 5 mai 2015, n° 14-16.644
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 6
« Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
■ Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
Article 16
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »
■ Code civil
Article 1208
« Le codébiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer toutes les exceptions qui résultent de la nature de l'obligation, et toutes celles qui lui sont personnelles, ainsi que celles qui sont communes à tous les codébiteurs.
Il ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles à quelques-uns des autres codébiteurs. »
■ Code de procédure civile
Article 582
« La tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque.
Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit. »
Article 1481
« La sentence arbitrale contient l'indication :
1° Des nom, prénoms ou dénomination des parties ainsi que de leur domicile ou siège social ;
2° Le cas échéant, du nom des avocats ou de toute personne ayant représenté ou assisté les parties ;
3° Du nom des arbitres qui l'ont rendue ;
4° De sa date ;
5° Du lieu où la sentence a été rendue. »
Article 1501
« La sentence arbitrale peut être frappée de tierce opposition devant la juridiction qui eût été compétente à défaut d'arbitrage, sous réserve des dispositions du premier alinéa de l'article 588. »
■ Cass., QPC, 27 nov. 2014, n° 14-16.644.
■ Cass. req., 3 janv. 1938, Gaz. Pal. 1938, 1, p. 396.
■ Cass. req., 11 déc. 1934, DP 1935, 1, p. 60.
■ Civ., 1er juill. 1924 : S. 1924, 1, p. 392.
■ Com., 16 oct. 1956, Bull. com., n° 240.
■ Civ. 3ème, 6 juin 1981, Bull. civ. III, n° 258.
■ Com., 4 oct. 1983, n° 82-12.415, Bull. com., n° 245.
■ Cass., ass. plén., 21 déc. 2006, n° 00-20.493, D. 2007. 835, note P. Morvan ; RTD civ. 2007. 72, obs. P. Deumier ; ibid. 168, obs. P. Théry.
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