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Droit de la famille
Recherche de paternité : l’examen comparé des sangs ne peut être ordonné en référé
Qu’il s’agisse d’établir ou de contester un lien de filiation, une mesure d’expertise biologique fondée sur l’examen comparé des sangs ne peut, au même titre que celle réalisée par une analyse des empreintes génétiques, être ordonnée par le juge des référés.
Un homme avait assigné en référé son père prétendu pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, la réalisation d'un examen comparé des sangs, en soutenant que celui-ci avait entretenu une relation stable et continue avec sa mère à l'époque de sa conception. Sa demande fut accueillie en appel, les juges du fond retenant que si une mesure d'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être ordonnée en référé mais seulement à l'occasion d'une instance au fond relative à la filiation, le juge des référés peut, en présence d'un motif légitime, prescrire un examen comparé des sangs. Cette analyse est écartée par la première chambre civile aux termes d’une motivation particulièrement étayée. Si la Cour de cassation concède qu’elle avait elle-même décidé que le juge des référés pouvait, en application de l'article 145 du Code de procédure civile, ordonner un examen comparé des sangs s'il existait un motif légitime d'y procéder (Civ. 1re, 4 mai 1994, n° 92-17.911), elle souligne cependant que cette jurisprudence avait été rendue antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 16-11 du Code civil créé par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, qui dispose qu'en matière civile, l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides ; ainsi la Cour rappelle qu’elle avait dû délaisser cette jurisprudence, devenue incompatible avec le droit positif, pour juger par la suite qu'une mesure d'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne pouvait être ordonnée en référé sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile (Civ. 1re , 8 juin 2016, n° 15-16.696). Les juges estiment ensuite que, dans la mesure où les expertises biologiques en matière de filiation poursuivent une même finalité et présentent, grâce aux évolutions scientifiques, une fiabilité similaire, la jurisprudence précitée doit être étendue aux examens comparés des sangs, ce qui justifie la cassation de la décision de la cour d’appel.
L’article 145 du Code de procédure civile s’applique à toutes les matières dont la connaissance appartient, quant au fond, aux tribunaux civils, dès lors qu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant le procès la preuve dont pourrait dépendre l’issue du litige. De surcroît, en matière de filiation, le système de la liberté de la preuve s’applique, l’établissement comme la contestation de celle-ci pouvant être apportés par tous moyens de preuve. Enfin, l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, à moins qu’un motif légitime de ne pas y procéder justifie d’empêcher sa réalisation. Toutefois, dans le cadre d’un référé probatoire, la mesure d’expertise ne peut porter sur des empreintes génétiques, ces dernières ne pouvant être ordonnées que par le juge saisi d’une instance au fond relative à la filiation, conformément à l’article 16-11 du Code civil et au principe de respect de l’intégrité et de l’inviolabilité du corps humain qu’il contient.
La Cour de cassation l’avait déjà jugé dans la décision à laquelle elle fait, conformément à sa nouvelle méthode, expressément référence dès son premier attendu de solution : en effet, dans cet arrêt rendu le 8 juin 2016 par la même première chambre civile, celle-ci avait jugé que la cour d’appel saisie avait à bon droit retenu qu’il résultait du cinquième alinéa de l’article 16-11 du Code civil qu’une mesure d’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne pouvait être ordonnée en référé mais seulement à l’occasion d’une instance au fond. Aussi avait-elle, dans cette affaire, considéré les dispositions de ce texte conformes à celles du droit supranational protégeant les droits de l’enfant comme le droit au respect de la vie privée et familiale de ceux dont la paternité est recherchée. La conventionnalité du texte fut ainsi affirmée en réponse à la thèse du pourvoi, fondée sur la violation de l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 et du droit à la vie privée protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La première chambre civile avait alors motivé sa décision par le fait que le texte de l’article 16-11 ne privait pas le père prétendu de son droit d’établir un lien de filiation avec l’enfant ni de contester une paternité qui pourrait lui être imputée, de même qu’il ne portait pas atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale ni au droit de l’enfant de connaître ses parents et d’être élevé par eux.
Dans la décision rapportée, prolongeant la précédente, l’analyse des juges du fond repose sur une interprétation purement littérale du texte de l’article 16-11 qui, certes, interdit qu’une mesure d’expertise biologique soit réalisée sur des empreintes génétiques mais ne s’oppose pas, du moins expressément, à ce qu’elle le soit sur la base de prélèvements sanguins.
Procédant différemment à une analyse à la fois téléologique et analogique du même texte, la Cour, qui complète ainsi sa décision de 2016, juge que la finalité comme la fiabilité des expertises biologiques prévues et encadrées par les dispositions du texte précité étant identiques, sa dernière jurisprudence doit être étendue aux prélèvements sanguins. Autrement dit, selon la Cour, l’examen comparé des sangs constitue tout autant une expertise biologique que l’analyse des empreintes génétiques des personnes intéressées. En conséquence, il n’était pas admissible en l’espèce d’ordonner en référé une expertise biologique par voie de comparaison sanguine destinée à vérifier l’existence ou non d’un lien de filiation, en l’absence de toute action engagée au fond par le demandeur en expertise tendant à l’établissement d’un lien de filiation paternelle avec son père prétendu.
Bon sang pourtant ne saurait mentir…
Civ. 1re, 12 juin 2018, n° 17-16.793
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Filiation (Établissement judiciaire)
■ Civ. 1re, 4 mai 1994, n° 92-17.911 P : D. 1994. 545, note J. Massip ; ibid. 1995. 113, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 1994. 575, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re , 8 juin 2016, n° 15-16.696 P : Dalloz Actu Étudiant, 5 juill. 2016 ; D. 2016. 1310 ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2016. 388, obs. M. Saulier ; RTD civ. 2016. 597, obs. J. Hauser.
■ Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989
Article 7
« 1. L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.
2. Les Etats parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride. »
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8
« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
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