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[ 17 mars 2014 ] Imprimer

Droit des obligations

Reconnaissance de dette : la cause est présumée

Mots-clefs : Reconnaissance de dette, Présomption de cause, Charge de la preuve, Objet de la preuve

La convention est valable quoique la cause n'en soit pas exprimée car celle-ci étant alors présumée ; il incombe à celui qui invoque son inexistence de renverser cette présomption.

Si le droit français reste, malgré les critiques adressées à la notion, attaché à la cause, cela ne signifie pas pour autant que la cause doit être explicitement précisée dans l’acte. En effet, la loi présume l’existence de la cause (C. civ., art.1132), en sorte que celui qui prétend le contraire a la charge de le démontrer.

Par l’arrêt rapporté, la Cour de cassation rappelle en ce sens qu’une reconnaissance de dette demeure valable même si sa cause, présumée, n’est pas précisée dans l’acte, sauf à ce que celui qui entend combattre cette présomption apporte la preuve de son inexistence.

En l’espèce, une héritière avait assigné ses frères et sœurs en ouverture des opérations de comptes, de liquidation et de partage de la succession de leur mère, en sollicitant la désignation d’un expert chargé de déterminer si la reconnaissance de dette née d’un prêt consenti par la défunte correspondait bien à une dette existante. En appel, les juges conclurent à son inexistence en s’appuyant sur diverses circonstances de fait, notamment sur la production d’un nombre important de factures dont la date se révélait très largement postérieure à celle de la reconnaissance de dette.

Cette analyse est censurée par la première chambre civile au visa des articles 1315 et 1132 du Code civil. Certes, la reconnaissance de dette n’apparaissait pas causée. Cela ne suffisait toutefois pas à remettre en cause son existence comme sa validité, l’article 1132 du Code civil prévoyant expressément dans ce cas que l’acte « n’est pas moins valable, quoique la cause n’en soit pas exprimée ».

Relevant en principe du seul droit commun des contrats, l’article 1132 du Code civil, qui fonde une présomption que la cause de l’obligation invoquée existe, est depuis longtemps étendu par la Haute cour à la reconnaissance de dette (Civ. 1re, 25 oct. 1967) : en vertu de ce texte, la cause de l’acte, même non exprimée, est présumée et c’est alors à celui qui entend renverser cette présomption d’établir son inexistenceEn outre, la jurisprudence est constante sur ce point. Ainsi la première chambre civile avait-elle déjà jugé qu’il appartient aux signataires d’une reconnaissance de dette qui prétendent, pour contester l’existence de la cause de celle-ci, que les sommes qu’elle mentionne ne leur ont pas été remises, d’apporter la preuve de leurs allégations (Civ. 1re, 14 janv. 2010 ; v. égal. Civ. 1re, 21 juin 2005). Aussi, récemment, la même chambre avait-elle réaffirmé le principe selon lequel la reconnaissance de dette demeure valable quoique la cause n'en soit pas exprimée car celle-ci étant alors présumée, il incombe au souscripteur qui se prétend libéré d'apporter la preuve de son inexistence (Civ. 1re, 3 juill. 2013).

Dans la décision rapportée, la demanderesse soutenait que la reconnaissance de dette souscrite par sa défunte mère n’était pas fondée sur une dette existante et constituait une donation déguisée. L’existence de la cause de l’obligation de remboursement, autrement dit de la remise des fonds, étant présumée, pesait alors sur la demanderesse la charge de prouver que la reconnaissance de dette était en réalité causée par l’intention libérale de sa souscriptrice. Or à tort, la cour d’appel l’en avait dispensé, déduisant elle-même de certaines incohérences chronologiques l’inexistence de la cause invoquée et partant, celle de la reconnaissance de dette. Ainsi la Cour confirme-t-elle le renversement de la charge de la preuve qui s’opère, par le jeu de la présomption d’existence de la cause, en présence d’une reconnaissance de dette.

Rappelons enfin la nature simple de cette présomption, laquelle est donc susceptible d’être combattue par la preuve contraire. La difficulté que les juges du fond avaient permis, à l’héritière, d’éviter apparaît alors d’emblée : la charge de prouver un fait négatif, l’absence de cause. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Cour de cassation limite l’objet de la preuve à l’absence de remise des fonds (Civ. 1re, 7 avr. 1992). « Ce faisant, elle évite d’ériger la preuve de l’absence de cause en preuve impossible » (v. Fabre-Magnan).

Civ. 1re, 19 févr. 2014, n°12-35.311

Références

■ Code civil

Article 1132

« La convention n'est pas moins valable, quoique la cause n'en soit pas exprimée. »

Article 1315

« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. 

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »

■ Civ. 1re, 25 oct. 1967.

 Civ. 1re, 14 janv. 2010, n°08-18.581.

 Civ. 1re, 21 juin 2005, n°04-10.673.

■ Civ. 1re, 3 juill. 2013, n°12-16.853, Dalloz Actu Etudiant 25 sept. 2013.

 Civ. 1re, 7 avr. 1992Bull. civ. I, n°114, n°90-19.858.

■ M. Fabre-Magnan, Les obligations, PUF, 2004, n°144, p. 373.

 

Auteur :M. H.


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