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Droit de la responsabilité civile
Reconnaissance de la responsabilité de l’auteur du dommage : condition de la réparation d’un préjudice aggravé
S'il résulte de l'article 2226 du Code civil que l'action en indemnisation de l'aggravation du préjudice est autonome au regard de l'action en indemnisation du préjudice initial, en ce qu'un nouveau délai de prescription recommence à courir à compter de la consolidation de l'aggravation, une demande en réparation de l'aggravation d'un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l'auteur prétendu du dommage a été reconnue.
Civ. 2e, 21 mars 2024, n° 22-18.089
Par faveur pour la victime d’un dommage corporel, la jurisprudence fait courir le point de départ de son action indemnitaire à compter du jour de la consolidation du dommage, au lieu du jour de son apparition (Civ. 2e, 4 mai 2000, n° 97-21.731, y compris pour les victimes par ricochet, Civ. 2e, 3 nov. 2011, n° 10-16.036. - Sur le principe selon lequel la prescription de l’action en réparation de l’aggravation de l’état de santé ne court qu’à compter de la manifestation de cette aggravation, Civ. 2e, 15 nov. 2001, n° 00-10.833).
Cependant, le succès d’une demande en réparation d’un préjudice aggravé est conditionné à la reconnaissance préalable de la responsabilité de l’auteur prétendu du dommage. Telle est la limite ici rappelée à la règle de prescription précitée.
Au cas d’espèce, le 16 mai 1980, le requérant chute alors qu’il tente de monter dans un train. Il subit l’amputation de plusieurs membres, ainsi que diverses fractures. Un rapport d’expertise médicale établi le 30 mars 1987 fixe la date de consolidation de son état de santé au 31 décembre 1982.
En 2001, la victime assigne la SNCF en responsabilité et indemnisation. Par un jugement irrévocable du 1er octobre 2003, un tribunal de grande instance déclare irrecevable son action, considérant qu’elle est prescrite. Invoquant ensuite une aggravation de son état de santé, observée en 2008, la victime assigne de nouveau la SNCF, en mai 2010, en responsabilité et indemnisation de son entier préjudice. La cour d’appel confirme l’irrecevabilité de sa demande en réparation.
Devant la Cour de cassation, la victime conteste l’autorité de la chose jugée en première instance que les juges d’appel lui auraient à tort opposée pour refuser de faire droit à sa demande complémentaire en réparation d’éléments de préjudices pourtant non inclus dans la demande initiale. Dans cette perspective, elle ajoute que la notion d’aggravation renvoie à l’existence d’un dommage nouveau, donnant ainsi naissance à un droit à réparation distinct, lui-même susceptible d'être mis en œuvre par l'effet d'une action autonome dont l'exercice n'est pas subordonné à la condition que la responsabilité de l'auteur prétendu du dommage et le préjudice initialement indemnisé aient pu être déterminés.
Pour rejeter le pourvoi, la deuxième chambre civile indique, d’une part, que selon les articles 1351 (devenu 1355) du Code civil et 480 du Code de procédure civile, l’autorité de la chose jugée s’applique à ce qui a fait l’objet d’un jugement et a été décidé dans son dispositif. Dit autrement, une fois qu’une décision judiciaire a été rendue sur un point litigieux, celui-ci ne peut plus être contesté dans le cadre de la même affaire. D’autre part, elle rappelle qu’en vertu de l’article 2226 du Code civil, l’action en indemnisation de l’aggravation d’un préjudice corporel est autonome par rapport à l’action en indemnisation du préjudice initial. Ce qui signifie que si un nouveau délai de prescription commence à courir à partir de la consolidation de l’aggravation, c’est à la condition, au demeurant essentielle, que la responsabilité civile de l’auteur présumé de ce dommage ait été préalablement caractérisée. Une demande de réparation de l’aggravation d’un préjudice ne peut donc être accueillie que si la responsabilité de l’auteur présumé du dommage initial a été antérieurement établie (v. déjà, Civ. 1re, 14 janv. 2016, n° 14-30.086 : « une demande en réparation de l'aggravation d'un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l'auteur prétendu du dommage et le préjudice initialement indemnisé ont pu être déterminés » ; adde, Civ. 2e, 31 mars 2022, n° 20-19.992).
Au cas d’espèce, l’arrêt attaqué constate qu’un jugement irrévocable a déclaré prescrite l’action engagée par la victime cherchant à rendre la SNCF responsable de son accident survenu le 16 mai 1980. En raison de cette prescription, la responsabilité de la SNCF n’a pas été établie et le préjudice initial n’a pas été déterminé avant l’introduction de l’action en aggravation. Par conséquent, l’action en responsabilité et indemnisation, tant du préjudice initial que du préjudice aggravé, est irrecevable car elle porte atteinte à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du 1er octobre 2003 qui a déclaré l’action prescrite.
Références :
■ Civ. 2e, 4 mai 2000, n° 97-21.731 : D. 2000. 166 ; RTD civ. 2000. 851, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2e, 3 nov. 2011, n° 10-16.036 : D. 2011. 2867 ; ibid. 2012. 644, chron. H. Adida-Canac, O.-L. Bouvier et L. Leroy-Gissinger ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2012. 122, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2e, 15 nov. 2001, n° 00-10.833 : D. 2001. 3493, et les obs.
■ Civ. 1re, 14 janv. 2016, n° 14-30.086 : D. 2016. 256, obs. S. Carval
■ Civ. 2e, 31 mars 2022, n° 20-19.992 : D. 2022. 1934, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
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