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Droit de la famille
Reconnaissance de paternité tardive : contrariété à l’intérêt supérieur de l’enfant
Mots-clefs : Intérêt supérieur de l’enfant, Filiation, Adoption plénière, Organisme autorisé pour l’adoption, Conseil de famille, Reconnaissance
Il est contraire à l’intérêt supérieur d’un enfant de le priver de l’environnement familial stable que peut lui conférer le placement en vue d’adoption dans l’attente d’une hypothétique reconnaissance, intervenue dix-sept mois après sa naissance, sans manifestation antérieure d’intérêt.
Un enfant, dont l’acte de naissance ne comportait aucune filiation, avait été remis par sa mère de naissance à un organisme autorisé pour l’adoption (OAA). Le conseil de famille ayant consenti à son adoption, l’enfant a été confié à des époux qui ont par la suite déposé une requête en adoption plénière. Une expertise génétique a ultérieurement conclu à la paternité d’un homme, qui a alors reconnu l’enfant dix-sept mois après sa naissance et quinze mois après son placement chez le couple adoptant. La tutrice de l’enfant, désignée par le conseil de famille, et l’OAA ont alors assigné le père en annulation de la reconnaissance. Ils ont obtenu gain de cause devant les juridictions du fond. De son côté, le père a exercé un recours contre le jugement ayant prononcé l’adoption plénière de l’enfant.
C’est ainsi que la Cour de cassation s’est prononcée, le 1er juin 2011, par deux arrêts. D’une part, elle a annulé la reconnaissance du père (n° 10-19.028). D’autre part, elle a entériné l’adoption plénière de l’enfant (n° 10-20.554).
Les arguments invoqués par le père pour contester l’annulation de sa reconnaissance et l’adoption plénière de l’enfant étaient identiques : Ils visaient notamment à contester la régularité de la procédure d’adoption. Plus précisément, ils tendaient à faire admettre à la Cour de cassation qu’en application de l’article 347 du Code civil, qui énumère les enfants adoptables, un OAA a interdiction de recueillir, donc de placer en vue de l’adoption, un enfant dont la filiation n’est pas établie.
De fait, les enfants visés par l’article 347 sont ceux pour lesquels un consentement familial a été donné (art. 347, 1° C. civ.), les pupilles de l’État (art. 347, 2° C. civ.), et ceux qui ont été déclarés abandonnés (art. 347, 3° C. civ.). Les enfants sans lien de filiation juridiquement établie recueillis par les OAA ne correspondent donc à aucun de ces cas.
Refusant de s’arrêter à des considérations purement textuelles, la Cour de cassation rejette cette argumentation. Ce faisant, elle admet que, lorsqu’un enfant est recueilli par un OAA, il y a lieu d’ouvrir une tutelle. Le conseil de famille, qui en est l’organe de fonctionnement, est alors constitué par des membres de l’OAA. Il peut, en tant que tel, consentir à l’adoption de l’enfant. L’enfant recueilli par un OAA est alors un enfant adoptable au sens de l’article 347, 1°.
Le père estimait par ailleurs que l’annulation de sa reconnaissance et l’adoption plénière de son enfant étaient contraires à l’intérêt supérieur de celui-ci. Il invoquait une violation de l’article 7, § 1er, de la convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant et de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme. Selon le premier de ces textes, l’enfant a « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par ses parents ». Le second prévoit quant à lui le droit au respect de la vie privée et familiale.
Ces arguments ne sont pas davantage retenus par la Cour de cassation. Plusieurs enseignements s’évincent de sa solution :
- Tout d’abord, elle confirme implicitement que l’article 7, § 1er, de la convention de New York est directement invocable devant le juge, sans qu’il soit par conséquent nécessaire que ces prévisions aient été transposées en droit interne (V. Civ. 1re, 7 avr. 2006) ;
- ensuite, elle considère que l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant relève du pouvoir souverain des juges du fond. On voit mal, en effet, comment il pourrait en être autrement : ce n’est qu’au cas par cas, par le recours à une appréciation in concreto, que l’intérêt de l’enfant peut être identifié ;
- enfin, elle admet que l’intérêt de l’enfant n’est pas nécessairement de faire primer la filiation biologique. En l’espèce, elle estime « qu’il était de l’intérêt supérieur de l’enfant de lui procurer un milieu familial stable, sans attendre une hypothétique reconnaissance ». Le père, qui ne s’est pas intéressé à l’enfant au moment de sa naissance et n’a pas agi avant son placement en vue d’adoption, ne peut donc, à la faveur d’une reconnaissance tardive, anéantir la procédure d’adoption qui s’est déroulée dans le respect des prescriptions légales.
Là réside d’ailleurs sans doute le principal intérêt de ces arrêts : le principe de la subsidiarité de l’adoption par rapport à la filiation par le sang et la circonstance que la famille visée par la convention de New York soit prioritairement la famille d’origine doivent s’effacer lorsqu’ils ne sont pas conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Civ. 1re, 1er juin 2011, nos 10-19.028 et 10-20.554
Références
« Assemblée de parents et de personnes qualifiées chargée, sous la présidence du juge des tutelles, d’autoriser certains actes graves accomplis au nom d’un mineur ou d’un majeur en tutelle, et de contrôler la gestion du tuteur. »
« Adoption provoquant une rupture de tout lien juridique entre la famille d’origine et l’enfant adopté et assimilant ce dernier à un enfant légitime dans la famille adoptive. »
« Déclaration contenue dans un acte authentique par laquelle une personne affirme être le père ou la mère d’un enfant.
Cette déclaration unilatérale vaut établissement de la filiation naturelle à l’égard de son auteur uniquement ; elle peut être faite avant ou après la naissance. »
Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
« Peuvent être adoptés :
1° Les enfants pour lesquels les père et mère ou le conseil de famille ont valablement consenti à l'adoption ;
2° Les pupilles de l'État ;
3° Les enfants déclarés abandonnés dans les conditions prévues par l'article 350. »
■ Article 7 de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant
« 1. L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.
2. Les États parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride. »
■ Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme
Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ Civ. 1re, 7 avr. 2006, nos 05-11.285 et 05-11.286, Bull. civ. I, n° 195.
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