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Recours à la guerre et respect des droits interne et international : remarques autour du cas syrien
Mots-clefs : Guerre, Conseil de sécurité, Veto, Guerre froide, Armes chimiques
Quelles sont les conditions garantissant la légalité d’une guerre ?
La question est à nouveau posée après les annonces américaine et française d’une intervention militaire ciblée contre le régime de Bachar Al-Assad. Le président de la République française prend position, dans un premier temps, sur le terrain de la légitimité et de la morale : une action punitive doit être menée contre le régime syrien responsable de l’utilisation de l’arme chimique contre les populations civiles. Cette déclaration intervient dans un contexte particulier : il s’agit de contourner le Conseil de sécurité qui est dans l’impossibilité de décider d’une intervention armée. L’action militaire devient incertaine voire improbable lorsque, le 9 septembre, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, de manière inattendue, propose de placer les armes chimiques syriennes sous contrôle international en vue de leur destruction. La diplomatie russe donne ainsi une suite à la déclaration imprudente de John Kerry qui affirmait que les frappes pourraient être évitées si l’arsenal chimique syrien était restitué. La diplomatie est, depuis lors, à nouveau à l’œuvre même si les principaux acteurs semblent avoir bien du mal à s’entendre.
Les incertitudes autour du dossier syrien appellent une mise en lumière des conditions posées par le droit international et le droit interne pour entrer en guerre. Du point de vue du droit international, la légalité de la guerre est une problématique contemporaine, apparue au xxe siècle. La réglementation du recours à la force n’est intervenue qu’à une époque récente et, longtemps, la guerre a été pratiquée comme une évidence. Elle a constitué un instrument des relations internationales, à côté des échanges commerciaux et des relations diplomatiques, avant d’être réglementée. On s’est d’abord préoccupé de définir ses modalités, en instaurant, par exemple, la déclaration de guerre. C’est de manière progressive, ensuite, que des restrictions sont apportées au droit de se faire la guerre : la convention concernant la limitation de l’emploi de la force pour le recouvrement de dettes contractuelles, adoptée à La Haye en 1907, marque une première étape en interdisant le recours à la force armée pour obtenir le recouvrement de dettes contractuelles. Le Pacte de la Société des Nations prohibe essentiellement la guerre d’agression (art. 10) et ne marque pas d’avancée significative faute d’une procédure et d’une organisation institutionnelle efficaces pour enrayer la guerre. Par le Pacte du 27 mars 1928, dit « Briand-Kellogg », du nom des ministres des Affaires étrangères français et américain qui ont initié sa négociation, les nombreux États parties renoncent à la guerre « en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles ». La légitime défense reste licite.
Les limites du droit de recourir à la force sont aujourd’hui posées par la Charte des Nations unies, adoptée à San Francisco le 26 juin 1945 et ressortent de la lecture conjointe de plusieurs articles de la Charte. L’article 2 paragraphe 4 dispose que « [l]es membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». L’article 51 réaffirme le droit naturel de légitime défense mais surtout la Charte met en place un système de sécurité collective qui confère une place exceptionnelle au Conseil de sécurité. Lorsque l’organe principal de l’organisation constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, il peut décider d’une palette de mesures allant jusqu’aux mesures coercitives. L’article 42 stipule que le Conseil de sécurité peut « (…) entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix ». Une telle décision suppose qu’aucun des cinq membres permanents du Conseil de sécurité n’oppose son veto. De fait, la période de la Guerre froide a été marquée par la paralysie du Conseil de sécurité : lorsque le recours à la force dans le cadre fixé par la Charte a été envisagé, l’opposition des deux blocs s’est traduite par l’utilisation du droit de veto, tantôt par l’URSS, tantôt par les États du bloc occidental. Ce n’est qu’une fois la Guerre froide achevée que, dans certains conflits, le Conseil de sécurité a pu assumer pleinement son rôle.
Concernant une éventuelle intervention armée en Syrie, le positionnement actuel des membres permanents du Conseil de sécurité est à la fois conforme au passé et profondément ancré dans le présent. Classiquement, on retrouve une logique de solidarité entre alliés russe et syrien et l’opposition entre les deux Grands d’autrefois conduisant à la paralysie du Conseil de sécurité. L’opposition russe, de même que l’opposition chinoise, ont toutefois changé : le droit de veto n’est pas utilisé dans ce cas précis — il n’a d’ailleurs été utilisé que trois fois en deux ans sur le dossier syrien — et le désaccord s’exprime indépendamment de la soumission au vote d’une résolution. Cet usage parcimonieux du droit de veto s’explique aisément. Les anciens ennemis, dont les privilèges de membres permanents sont aujourd’hui contestés dans le cadre des discussions sur la réforme du Conseil de sécurité, n’ont pas intérêt à affaiblir un peu plus l’organe restreint de l’ONU en formalisant une nouvelle fois leur opposition. L’action militaire dans le cadre des Nations unies étant écartée, la Russie tente de convaincre qu’une opération militaire, même limitée, qui s’affranchirait du respect de la Charte doit être évitée. Le président Poutine a alors beau jeu de s’adresser directement aux Américains, dans le New York Times, pour appeler les États-Unis d’Amérique au respect de la Charte des Nations unies.
Le précédent de la guerre en Irak déclenchée par une coalition menée par les États-Unis d’Amérique sans autorisation du Conseil de sécurité, en violation du droit international, est bien sûr dans tous les esprits. Les bourbiers irakien et afghan pèsent lourd dans l’opinion américaine comme pour les membres du Congrès. Chaque constitution nationale définit les conditions dans lesquelles les forces armées peuvent déclarer la guerre ou s’engager dans une opération extérieure. La bonne volonté du président Obama, commandant en chef des forces armées américaine et pourtant prêt, selon ses propres déclarations, à se soumettre au vote du Congrès s’il s’opposait à une intervention en Syrie, témoigne d’un malaise. Elle peut apparaître comme une porte de sortie commode mais elle est aussi une tentative de donner une légitimité à l’action projetée. Le report de la consultation du Congrès américain, à la suite de la proposition russe de placer sous contrôle l’arsenal chimique syrien, laisse planer le doute. Dans ce contexte, un projet de résolution porté par la France et qui autoriserait une action militaire en cas de non-respect des engagements syriens en matière d’armes chimiques réenclenche une routine bien connue au Conseil de sécurité et suscite, sans surprise, l’hostilité de la Russie et de la Chine.
Références
■ Convention concernant la limitation de l’emploi de la force pour le recouvrement de dettes contractuelles, dite « Convention Drago-Porter », adoptée à La Haye le 18 octobre 1907.
■ Pacte de la Société des Nations signé le 28 juin 1919.
« Les Membres de la Société s'engagent à respecter et à maintenir contre toute agression extérieure l'intégrité territoriale et l'indépendance politique présente de tous les Membres de la Société. En cas d'agression, de menace ou de danger d'agression, le Conseil avise aux moyens d'assurer l'exécution de cette obligation. »
■ Pacte de Paris, dit « Pacte Briand- Kellogg », du 27 mars 1928.
■ Charte des Nations Unies adoptée à San Francisco le 26 juin 1945
« Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. »
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