Actualité > À la une
À la une

Procédure pénale
Recours contre un placement à l’isolement : le juge judiciaire davantage tortue que lièvre ?
Saisi d’une QPC portant sur l’article 145-4-1 du Code de procédure pénale, qui permet de placer à l’isolement la personne placée en détention provisoire, le Conseil constitutionnel estime que la disposition, qui prévoit un recours devant le président de la chambre de l’instruction sans l’assortir d’un bref délai, ne méconnaît ni le droit à un recours juridictionnel effectif, ni droit à la sûreté et la liberté individuelle.
Cons. constit., 14 févr. 2025, n° 2024-1122 QPC
En l’espèce, un mis en examen a été placé en détention provisoire et à l’isolement par une ordonnance du juge d’instruction. Cette ordonnance a été confirmée par le président de la chambre de l’instruction. Le détenu a alors présenté une QPC par laquelle il alléguait l’inconstitutionnalité de la disposition en raison de l’absence de précision quant au délai dans lequel le président de la chambre d’instruction doit statuer. Seul l’article D. 43-6 du Code de procédure pénale impose au président de la chambre d’instruction de statuer dans un « délai raisonnable ». Le requérant et l’Observatoire international des prisons estimaient que le placement à l’isolement étant une privation de liberté, l’absence d’obligation pour le président de la chambre de l’instruction de statuer à bref délai méconnaissait la liberté individuelle, le droit à un recours juridictionnel et le droit à la sûreté. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel énonce que le placement à l’isolement est une modalité d’exécution de la détention que le détenu peut contester par un recours juridictionnel effectif.
■ Le placement à l’isolement : une modalité de la détention
Le premier enjeu de la décision est relatif à la notion même de placement à l’isolement. Alors que le requérant estimait que le placement à l’isolement est une mesure privative de liberté, le représentant du Premier ministre arguait que seule la détention provisoire est une mesure privative de liberté, le placement à l’isolement en étant une modalité. La distinction est fondamentale. La mesure privative de liberté obéit à un régime particulier, davantage protecteur que celui des mesures non-privatives de liberté, en atteste l’article 194 du Code de procédure pénale. Selon cette disposition, en matière de détention provisoire, la chambre de l’instruction a l’obligation de statuer dans « les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours de l’appel lorsqu’il s’agit d’une ordonnance de placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas ». Le code prévoit donc un délai déterminé, à condition que le contentieux relève de la détention provisoire.
La différence d’interprétation se comprend aisément. Le placement à l’isolement peut être décidé par le juge lors du placement en détention provisoire, mais il peut également être décidé par une ordonnance distincte. Lorsqu’il est requis par la même ordonnance que celle de placement en détention, le placement à l’isolement s’apparente davantage à une modalité de la détention provisoire. En revanche, lorsque le juge décide d’un placement à l’isolement alors que le suspect est d’ores-et-déjà en détention provisoire, l’isolement apparaît comme une nouvelle privation de liberté. Dans l’un de ses rapports, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a pu estimer que « les mesures de mise à l’écart ou d’isolement au sein d’un lieu d’enfermement entraînent un risque d’atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique des personnes concernées » (Recommandations minimales du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privée de liberté, 4 juin 2020, § 229). Si le détenu placé à l’isolement bénéficie toujours de ses droits à l’information, aux visites, à la correspondance écrite et téléphonique, à l’exercice du culte et à l’utilisation de son compte nominatif, il ne peut cependant pas participer aux promenades et activités collectives (art. R. 213-18 Code pénitentiaire). En conséquence, le détenu ne bénéficie pas des activités sportives, culturelles, scolaires et ne peut pas non plus exercer une activité professionnelle (I. Fouchard et A. Simon, Droit de l’incarcération, PUF, coll. « Thémis droit », 2024, n° 336, p. 302). De ce fait, l’isolement pourrait être considéré comme une mesure privative de liberté dont le prononcé est conditionné par la mise en œuvre d’une première mesure privative de liberté qu’est la détention provisoire.
Telle n’est pas la position qu’adopte le Conseil constitutionnel. Dans sa décision, ce dernier affirme que le placement à l’isolement est une « mesure d’exécution de la détention provisoire [qui] n’entraîne pas, per se, une privation de liberté » (§ 9). Cette position se justifie aisément puisqu’il n'est pas possible de placer à l’isolement une personne qui ne serait pas privée de liberté. Pour autant, le placement à l’isolement a des effets majeurs sur certains droits des détenus. Dès lors, le régime des mesures non-privatives de liberté peut sembler inadapté, notamment quant au délai auquel un juge est soumis lorsqu’il est saisi d’un recours contre ladite mesure.
Une telle distinction a des effets directs sur la constitutionnalité de l’article 145-4-1 du Code de procédure pénale, notamment quant au recours juridictionnel contre l’ordonnance de placement à l’isolement par le juge judiciaire.
■ Le placement à l’isolement : un recours possible dans un délai raisonnable
Après avoir affirmé que le placement en isolement doit être qualifié de modalité d’exécution de la détention provisoire, le Conseil constitutionnel énonce que « la personne placée à l’isolement peut saisir à tout moment le président de la chambre de l’instruction aux fins d’obtenir la mainlevée de la mesure » (§ 10). En effet, l’article 145-4-1 du Code de procédure pénale dispose qu’en cas de placement à l’isolement, « la décision du juge d’instruction peut faire l’objet d’un recours devant le président de la chambre de l’instruction ». Le détenu peut donc contester l’ordonnance de placement à l’isolement par un recours juridictionnel. Le contentieux se concentre alors sur le délai dans lequel le président de la chambre de l’instruction doit statuer. Plus précisément, la difficulté puise sa source dans le silence de la loi puisque l’article 145-4-1 du Code de procédure pénale ne comporte aucune mention quant au délai dans lequel le juge doit statuer. Afin d’appréhender ce silence, il est possible de mobiliser le contentieux administratif du placement à l’isolement.
Lorsqu’un détenu est placé à l’isolement par une décision administrative, il peut contester la décision par un référé-suspension, ce qui nécessite de démontrer l’urgence de la suspension demandée (art. L. 521-1 CJA). Saisi d’un tel contentieux, le Conseil d’État a estimé qu’« eu égard à son objet et à ses effets sur les conditions de détention, la décision plaçant d’office à l’isolement une personne détenue ainsi que les décisions prolongeant éventuellement un tel fondement […] portent en principe […] une atteinte grave et immédiate à la situation de la personne détenue, de nature à créer une situation d’urgence » (CE, 7 juin 2019, n° 426772, § 4). Pour le Conseil d’État, le placement à l’isolement entraîne per se une situation d’urgence pour le détenu, justifiant qu’un juge statue dans les plus brefs délais. L’interrogation persistait quant au délai auquel le président de la chambre de l’instruction est astreint pour statuer lorsqu’il est saisi, sur le fondement de l’article 145-4-1 du Code de procédure pénale, d’une décision judiciaire de placement à l’isolement.
En réponse, le Conseil constitutionnel énonce qu’« en l’absence de délai déterminé par la loi, le juge doit toujours statuer dans un délai raisonnable » (§ 11). Le rappel est salutaire. Si la disposition contestée ne prévoit aucun délai déterminé, le juge n’en reste pas moins lié par une obligation de statuer dans un délai raisonnable. Outre le droit interne, le juge est soumis au droit de la Convention européenne des droits de l’Homme, lequel garantit un droit d’accès au juge. Un détenu placé à l’isolement doit donc pouvoir bénéficier d’un droit d’accès au juge, y compris afin de contester une mesure d’isolement (CEDH, 4 juill. 2006, Ramirez Sanchez c. France, n° 59450/00). Ce droit d’accès au juge doit être effectif. Or, « l’effectivité s’enracine dans le délai raisonnable » (S. Guinchard et al, Droit processuel. Droit commun et droit comparé du procès équitable, Dalloz, coll. « Précis », 13e éd., 2025, n° 393, p. 785). -. Cette obligation conduit le Conseil constitutionnel à affirmer que la disposition n’est pas contraire au droit à un recours juridictionnel effectif. La solution est cohérente dès lors que le placement à l’isolement n’est pas qualifié de mesure privative de liberté. Cependant, la mesure réduit considérablement les droits d’un détenu, ce qui aurait peut-être pu justifier que la loi exige expressément du juge qu’il statue à bref délai. Par ailleurs, cette option aurait permis d’harmoniser davantage le régime juridique du placement à l’isolement. En précisant que le juge doit simplement statuer dans un délai raisonnable, le Conseil permet à différents délais de recours de perdurer, alors même que ces recours ont un même objet. Comme le relève le Conseil, « lorsque la chambre de l’instruction est saisie de l’appel d’une ordonnance statuant tant sur la détention provisoire que sur le maintien à l’isolement, elle doit se prononcer dans les plus brefs délais » (§ 7). Il ne peut en être autrement dès lors qu’est contestée la détention provisoire, l’isolement en étant l’accessoire. Cette différence de régime entre les recours, d’une part, à l’égard du seul placement à l’isolement et, d’autre part, à l’égard de la détention provisoire et de l’isolement invite les détenus à contester tant la détention provisoire que l’isolement afin de bénéficier des délais brefs imposés en matière de détention provisoire.
Références :
■ CE, 7 juin 2019, n° 426772 : AJDA 2019. 1190 ; ibid. 2137, concl. A. Iljic ; D. 2020. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans ; AJ pénal 2019. 459, obs. J. Falxa
■ CEDH, 4 juil. 2006, Ramirez Sanchez c. France, n° 59450/00 : AJDA 2006. 1709, chron. J.-F. Flauss ; D. 2006. 2210 ; RSC 2007. 350, chron. P. Poncela
■ S. Guinchard et al, Droit processuel. Droit commun et droit comparé du procès équitable, Dalloz, coll. « Précis », 13e éd., 2025, n° 393, p. 785
■ I. Fouchard et A. Simon, Droit de l’incarcération, PUF, coll. « Thémis droit », 2024, n° 336, p. 302
Autres À la une
-
[ 18 avril 2025 ]
Vacances printanières !
-
Droit constitutionnel
[ 16 avril 2025 ]
QPC/élu local/ peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire/procédure de démission d’office
-
Droit des obligations
[ 15 avril 2025 ]
Relation commerciale établie : rappel des critères de qualification et d’évaluation du préjudice réparable
-
Droit des obligations
[ 14 avril 2025 ]
Contrat de franchise : le projet du franchisé de créer une activité concurrente à celle du franchiseur n’emporte pas violation de la clause de non-concurrence
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 11 avril 2025 ]
Usage de grenades anti-émeutes entrainant le décès d’un manifestant : violation du droit à la vie
- >> Toutes les actualités À la une