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[ 17 juin 2015 ] Imprimer

Droit de l'entreprise en difficulté

Redressement judiciaire du preneur : le refus du bailleur de renouveler le contrat demeure possible

Mots-clefs : Bail rural, Refus de renouvellement, Preneur ayant atteint l'âge de la retraite, Plan de redressement judiciaire, Possibilité de donner congé (oui)

Après l’adoption d’un plan de redressement, les contrats en cours se poursuivent conformément aux règles qui leur sont applicables de sorte que le bailleur peut, au cours de l’exécution de ce plan, exercer son droit de refuser, pour le motif prévu à l’article L.411-64 du code rural et maritime, le renouvellement du bail rural consenti au débiteur et ainsi, valablement donner congé aux preneurs ayant atteint l’âge de la retraite pendant l’exécution de ce plan. 

Une société propriétaire de terres données à bail rural à un couple avait délivré à ces derniers un congé à effet au 31 octobre 2012. Soutenant que ce congé était incompatible avec le jugement du 23 novembre 2006 ayant arrêté, pour une durée de onze ans, le plan de redressement judiciaire des preneurs, ces derniers avaient demandé en justice l’annulation de ce congé. La cour d’appel le valida au motif que le plan de continuation homologué par jugement du 23 novembre 2006 n'interdit pas la délivrance d'un congé aux preneurs ayant atteint l'âge de la retraite pendant l'exécution de ce plan. 

Les preneurs formèrent un pourvoi en cassation, soutenant que, « lorsqu'il existe une possibilité sérieuse pour l'entreprise d'être sauvegardée, le Tribunal arrête dans ce but un plan de continuation qui met fin à la période d'observation, ce plan rendant ses dispositions applicables à tous en sorte que le bailleur rural, créancier du preneur en redressement judiciaire, ne pouvait, antérieurement à la fin du plan de continuation qui lui était opposable, exercer son droit de reprise qui aboutit à l'éviction du preneur aux motifs que celui-ci avait atteint l'âge de la retraite, sauf à violer les articles L. 626-1 et suivants du Code de commerce, qui sont d’ordre public ». 

Leur pourvoi est rejeté par la Cour de cassation qui par un attendu de principe,  juge « qu'après l'adoption d'un plan de redressement, les contrats en cours se poursuivent conformément aux règles qui leur sont applicables de sorte que le bailleur peut, au cours de l'exécution de ce plan, exercer son droit de refuser, pour le motif prévu à l'article L. 411-64 du Code rural et de la pêche maritime, le renouvellement du bail rural consenti au débiteur ; que dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le plan de continuation homologué par jugement du 23 novembre 2006 n'interdit pas la délivrance d'un congé aux preneurs ayant atteint l'âge de la retraite pendant l'exécution de ce plan ». 

En vertu de l’article L. 411-64 du Code rural et de la pêche maritime, le bailleur est fondé à refuser le renouvellement de la location au preneur ayant atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, tout comme il est en droit de limiter le renouvellement du bail à l'expiration de la période triennale au cours de laquelle le preneur atteindra cet âge. 

La particularité de l’espèce rapportée réside dans le fait que le bailleur a délivré congé à un preneur qui, certes, avait bien atteint l'âge de la retraite, mais après avoir été placé en redressement judiciaire. Or ce dernier soutenait que, dans ces circonstances, le congé n'était pas valable. Autrement dit, selon lui, les règles relatives aux procédures collectives rendraient inapplicables celles relatives aux baux ruraux. 

Cet argument est balayé par la Cour qui, pour la première fois, affirme au contraire que les dispositions du Code de commerce relatives aux procédures collectives sont insusceptibles de faire échec aux règles applicables au statut du fermage, lesquelles sont d’ordre public et, notamment, à la faculté du bailleur de donner congé au preneur en application de l’article L. 411-64. 

Concernant l'article L. 411-64 du Code rural et de la pêche maritime, qui est au cœur de la décision rapportée, précisons que la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 mars 2011, a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité qu’entendait poser la demanderesse au pourvoi, celle-ci invoquant la contrariété de ce texte au principe de l'égalité des citoyens devant la loi et à la liberté d'entreprendre. La Haute juridiction avait notamment motivé son refus de transmettre la question posée par l’estimation que celle-ci « ne présente pas un caractère sérieux dès lors que la disposition critiquée, qui autorise le bailleur à refuser le renouvellement du bail ou à en limiter la durée pour un preneur ayant atteint l'âge de la retraite, sous réserve de la conservation d'une exploitation de subsistance, s'applique sans discrimination à l'ensemble des preneurs à bail rural, qu'elle répond à un motif d'intérêt général de politique agricole et que sa mise en œuvre est entourée de garanties procédurales et de fond suffisantes » (Civ. 3e, 16 mars 2011, n° 10-23.962 – V. dans le même sens Civ. 3e, 17 juin 2011, n  11-40.013 ; Civ. 3e, 13 juill. 2011, n  11-40.026 ; Civ. 3e, 10 juill. 2013, n  13-11.429).

Com., 19 mai 2015, n° 14-10.366

Références

■ Code rural et de la pêche maritime

Article L. 411-64

« Le droit de reprise tel qu'il est prévu aux articles L. 411-58 à L. 411-63, L. 411-66 et L. 411-67 ne peut être exercé au profit d'une personne ayant atteint, à la date prévue pour la reprise, l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, sauf s'il s'agit, pour le bénéficiaire du droit de reprise, de constituer une exploitation ayant une superficie au plus égale à la surface fixée en application de l'article L. 732-39. Si la superficie de l'exploitation ou des exploitations mises en valeur par le preneur est supérieure à cette limite, le bailleur peut, par dérogation aux articles L. 411-5 et L. 411-46:

-soit refuser le renouvellement du bail au preneur ayant atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles ;

-soit limiter le renouvellement à l'expiration de la période triennale au cours de laquelle le preneur atteindra cet âge.

Le preneur peut demander au bailleur le report de plein droit de la date d'effet du congé à la fin de l'année culturale où il aura atteint l'âge lui permettant de bénéficier d'une retraite à taux plein.

Dans les cas mentionnés aux deuxième et troisième alinéas, le bailleur doit prévenir le preneur de son intention de refuser le renouvellement du bail ou d'y mettre fin par acte extrajudiciaire signifié au moins dix-huit mois à l'avance.

Les dispositions du présent article sont applicables que le propriétaire entende aliéner ou donner à bail à un preneur dont l'âge est inférieur à l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles ou exploiter en faire-valoir direct. Dans ce dernier cas, sauf s'il s'agit pour le bailleur de constituer une exploitation dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article, il ne doit pas avoir atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles.

Le preneur évincé en raison de son âge peut céder son bail à son conjoint, ou au partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, participant à l'exploitation ou à l'un de ses descendants ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipé, dans les conditions prévues à l'article L. 411-35. Le bénéficiaire de la cession a droit au renouvellement de son bail.

A peine de nullité, le congé donné en vertu du présent article doit reproduire les termes de l'alinéa précédent. »

Civ. 3e, 16 mars 2011, n° 10-23.962 : AJDI 2011. 540, obs. S. Prigent ; RD rur. 2011, comm. 68, note S. Crevel.

■ Civ. 3e, 17 juin 2011, n  11-40.013.

■ Civ. 3e, 13 juill. 2011, n  11-40.026.

■ Civ. 3e, 10 juill. 2013, n  13-11.429.

 

Auteur :M. H.

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