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Droit des biens
Réforme de la prescription civile : tout n’a pas changé !
L’action en nullité pour défaut d’objet doit être introduite dans les cinq ans de l’acte et la réforme de la prescription civile n’a pas eu pour effet de modifier le point de départ du délai ayant commencé à courir avant son entrée en vigueur.
En 2004, un couple avait concédé à un voisin un droit de passage sur une voie séparant leur propriété, moyennant le versement d’une indemnité. En 2011, soit sept ans plus tard, le bénéficiaire de ce droit de passage avait découvert, à la lecture d’un jugement rendu par un tribunal administratif, que la servitude préexistait à la convention signée. Arguant alors du défaut d’objet de la convention, il avait assigné, en 2013, les propriétaires du fonds servant pour obtenir l’annulation de la convention et le remboursement de l’indemnité qu’il avait versée.
La cour d’appel déclara sa demande en nullité irrecevable comme prescrite puisque l’action en nullité de l’acte de 2004 avait été introduite, pour défaut d’objet, en 2013.
Le voisin forma alors un pourvoi devant la Cour de cassation, par lequel il présenta les deux moyens suivants : la prescription trentenaire de l’action en nullité pour défaut d’objet, qui courait à compter de l’acte, a été réduite à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, de sorte qu’un nouveau délai de cinq ans aurait commencé à courir le 19 juin 2008 ; en outre, le point de départ de ce délai aurait dû être reporté au jour où le demandeur avait eu connaissance d’une servitude préexistante.
La Cour de cassation rejette ces deux arguments en affirmant que « la nullité d’un acte pour défaut d’objet, laquelle ne tend qu’à la protection des intérêts privés des parties, relève du régime des nullités relatives » ; sous l’empire de l’ancien article 1304 du Code civil, « le point de départ du délai de prescription d’une action en nullité d’un contrat pour défaut d’objet se situait au jour de l’acte » ; que « la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile n’a pas eu pour effet de modifier le point de départ du délai de la prescription extinctive ayant commencé à courir antérieurement à son entrée en vigueur ». En conclusion, l’action était prescrite.
Tempérant les effets de la distinction entre nullité absolue et nullité relative, la loi du 17 juin 2008 opérant réforme de la prescription a soumis toutes les nullités au délai de prescription quinquennale, prévu à l’ancien article 2224 du Code civil. Cette solution est par ailleurs rappelée, dans le cas particulier de la nullité relative, à l’article 1304 anc. du Code civil. Concernant le point de départ de la prescription, cette uniformisation doit en revanche être plus nuancée.
La règle générale veut que la prescription ne commence à courir que du jour où les parties peuvent agir, c’est-à-dire, aux termes de l’article 2224 du Code civil « du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Dans le cas de la nullité, le point de départ du délai de prescription paraît donc être fixé au jour où le titulaire de l’action a connaissance de la cause de nullité. Cette solution modifie, dans certaines hypothèses, les solutions antérieurement retenues concernant la nullité absolue. Dans ce type de nullité, en effet, la solution antérieure à la loi du 17 juin 2008 fixait le point de départ de la prescription au jour de la conclusion du contrat, puisque l’on considérait alors que l’intérêt général était atteint dès cet instant et devait être défendu. Désormais, le point de départ devrait, avec certaines nuances et selon les différentes causes de nullité absolue, être reporté à la connaissance effective de la cause de nullité par chacun des contractants. C’est pourquoi, si la solution demeure inchangée pour certaines causes de nullité absolue telles que l’illicéité ou l’immoralité de la cause car ainsi que le veut l’adage, « nul n’est censé ignorer la loi », son application est plus incertaine dans d’autres cas où la connaissance de la cause de nullité peut difficilement être présumée, dans le cas par exemple d’une absence totale de consentement (Sur ce point, V. S. Porchy-Simon, Les Obligations, Dalloz, n° 330 s.). Quoiqu’il en soit, en l’espèce, le délai de prescription de l’action engagée, soumise au droit antérieur, courait sans aucun doute à compter du jour de la passation de l’acte. Et la Cour d’affirmer que la réforme de la prescription civile n’a pas fait repartir le nouveau délai à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (comp. Com. 3 avr. 2013, n° 12-15.492, anc. art. 2222 C. civ.).
La même règle doit, par principe, être affirmée pour les nullités relatives. L’existence de l’objet du contrat, ou plus précisément, de l’objet de l’obligation du débiteur, ce à quoi il s’engage, relevant de l’intérêt privé des contractants, doit entrer dans cette catégorie. Mais au sein de celle-ci, une règle particulière est posée par les articles 1304 anc. et 1144 nouv. du Code civil, que le demandeur au pourvoi avait tenté d’exploiter : dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans, que ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts. Ainsi la loi ne prend-elle de dispositions particulières que pour les nullités sanctionnant les vices du consentement ; au cas général comme en l’espèce, l'article 2224 doit recevoir application, la réforme n’ayant pas modifié le point de départ de la prescription extinctive ayant commencé à courir antérieurement à son entrée en vigueur. Dès lors que ce texte prévoit pour point de départ, le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, il en découle que dans le cadre d'une action en nullité, le point de départ normal du délai de prescription est la date de l'acte attaqué en nullité. En l'occurrence, la nullité de la convention litigieuse n'était pas fondée sur un vice du consentement, quoique ce fondement aurait pu, au vu des faits, être avancé, mais sur un défaut d'objet de la convention, en sorte qu'il ne pouvait pas être argué de la prétendue date de découverte de la servitude de passage à la suite d'un jugement du tribunal administratif datant de 2011. La prescription courait dès lors à compter du jour où l'acte argué de nullité a été passé, soit le 26 novembre 2004.
Civ. 3e, 24 janv. 2019, n° 17-25.793
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Prescription extinctive
■ Com. 3 avr. 2013, n° 12-15.492 P :D. 2013. 1384, et les obs., note B. Dondero ; Rev. sociétés 2013. 560, note A. Reygrobellet
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