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[ 10 juillet 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Refus de la force majeure « financière » : la Cour de cassation persiste et signe !

Le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. Il en résulte que l'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19 ne peut exonérer un locataire à bail commercial du paiement des loyers.

Civ. 3e, 15 juin 2023, n° 21-10.119 B

Alléguée par de nombreux preneurs à baux commerciaux qui, durant la crise sanitaire, furent empêchés de régler leurs loyers par le dispositif gouvernemental de fermeture des lieux accueillant du public, la prétendue « force majeure financière », résultant de la difficulté éprouvée par le débiteur à payer une somme d'argent, n'existe pourtant pas. Non pas que l'impécuniosité soit purement rhétorique ni même qu'il soit toujours possible, en pratique, de se procurer de l'argent. L'adage genera non pereunt procède en ce sens de la fiction juridique. La raison d'être de la règle tient à l’exigence, fondatrice de la théorie générale du contrat, du respect de la parole donnée, qui empêche de reconnaître au débiteur la possibilité de se soustraire à ses obligations au motif qu'il serait dans l’impossibilité de payer.

En effet, quel crédit accorder à celui qui promet à son cocontractant de le payer… mais seulement dans la mesure du possible ? Par-delà l’argument de la ratio legis, la règle s'explique aussi par l'existence d'autres mécanismes juridiques permettant de protéger le débiteur confronté à des difficultés de payer. Inutile, donc, d’en appeler à la force majeure, laquelle suppose une véritable impossibilité d'exécuter, quand le droit consacre également le traitement du surendettement des particuliers, les procédures collectives, ou encore la révision pour imprévision.

On ne s'étonnera donc pas de la décision rendue le 15 juin dernier par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. En cause, un preneur à bail commercial de deux appartements situés dans une résidence touristique, qui n'avait pas payé ses loyers au titre des premier et deuxième trimestres 2020, soit ceux échus pendant la crise sanitaire, alors que les mesures gouvernementales d’interdiction de recevoir du public afin de lutter contre la propagation du virus covid-19 étaient en vigueur. Alors que son bailleur l’avait assigné en paiement de son arriéré locatif, le preneur soutenait que « l'impossibilité pour une société de location touristique d'exercer son activité, en raison des interdictions prononcées par les autorités publiques dans le cadre des mesures sanitaires prises pour la lutte contre la pandémie de covid-19 » constituait un cas de force majeure propre à l'exonération de son obligation de loyers. En ce sens, il avançait qu’outre l’extériorité de telles circonstances, leur caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution, caractérisait l’impossibilité d’honorer son obligation (de paiement), caractéristique de la notion de force majeure (Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168).

L'argument est toutefois rejeté par la Cour de cassation au visa de l'article 1148 ancien du Code civil, « l'irrésistibilité n'étant pas caractérisée si l'exécution est seulement rendue plus difficile ou onéreuse ». L’on sait en effet que difficulté et impossibilité d’exécuter ne se confondent pas. Telle est la différence de degré dans l’inexécution qui fonde la distinction entre imprévision et force majeure. Par suite, la Cour rappelle sa jurisprudence classique selon laquelle le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure (Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306). Elle en infère que « l'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19, ne pouvait exonérer la locataire du paiement des loyers échus pendant les premier et deuxième trimestres 2020 ». Certes rigoureuse, la solution est justifiée par la volonté de la Cour de cantonner la force majeure à une impossibilité d'exécuter son obligation, sans que celle-ci puisse être étendue même à l’extrême difficulté de la mettre en œuvre, celle-là même à laquelle le débiteur s’était, en l’espèce, trouvé confronté.

Références :

■ Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168 P D. 2006. 1577, obs. I. Gallmeister, note P. Jourdain ; ibid. 1566, chron. D. Noguéro ; ibid. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2638, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2006. 775, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2006. 904, obs. B. Bouloc.

■ Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306 P D. 2014. 2217, note J. François ; Rev. sociétés 2015. 23, note C. Juillet ; RTD civ. 2014. 890, obs. H. Barbier.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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