Actualité > À la une
À la une
Droit des sociétés
Règles de vote de l’augmentation de capital d’une SAS : interdiction de la clause de minorité
Il se déduit des articles 1844, alinéa 1er, et 1844-10, alinéas 2 et 3, du Code civil et L. 227-9 du Code de commerce, que la décision collective d'associés d'une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite.
Cass. ass. plén., 15 nov. 2024, n° 23-16.670
Au sein d’une société par actions simplifiée, les décisions collectives doivent être prises à la majorité des voix exprimées, les statuts de la société ne pouvant prévoir une règle de vote contraire à ce principe. Telle est la solution de principe que vient d’adopter, en droit des sociétés, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation.
Lors d’une assemblée générale extraordinaire, une société par actions simplifiée (SAS) avait décidé d’une augmentation de son capital. Cette décision avait été prise alors que les actionnaires favorables à cette augmentation étaient minoritaires (229 313 voix « pour » / 269 185 voix « contre »), conformément aux statuts de cette société prévoyant la possibilité pour les associés de prendre des décisions collectives sans majorité, dès lors qu’un seuil de voix est atteint (ici, le tiers des droits de vote). Certains des associés hostiles à cette décision d’augmenter le capital en avaient demandé en justice l’annulation. Pour rejeter cette demande d'annulation de la délibération litigieuse, la cour d’appel de Paris (Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25967) considéra que celle-ci avait été adoptée avec 46% des voix, aucune abstention n'ayant été constatée, et qu'elle avait donc recueilli le tiers des droits de vote des associés présents ou représentés, conformément à ce que prévoyait l'article 17 des statuts de cette société qui, de façon claire et précise, stipulait que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ». Après le rejet de leur demande au fond, ces associés avaient formé un pourvoi en cassation. La chambre commerciale de la Cour de cassation censura l’arrêt des juges parisiens, considérant que l’augmentation de capital aurait dû être adoptée à la majorité simple des votes exprimés. Elle écarta en conséquence et par principe la possibilité de prévoir dans les statuts d’une SAS que les décisions collectives pourront être adoptées par un vote minoritaire, soit par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des voix exprimées, par exemple par le tiers des voix exprimées (Com. 19 janv. 2022 n° 19-12.696). Chargée de rejuger l’affaire, la cour d’appel de Paris n’a pas suivi la chambre commerciale : elle a une nouvelle fois rejeté la demande d’annulation de la délibération de l’AGE au motif que celle-ci était valable, les associés d’une SAS étant libres de déterminer les conditions dans lesquelles sont prises les décisions qui doivent l’être collectivement ; au cas d’espèce, il était donc loisible aux associés de définir dans les statuts une procédure d’adoption des décisions collectives qui n’applique pas une règle de majorité (Paris 4 avr. 2023 n° 22/05320). Fidèles à la liberté contractuelle qui s’attache à la rédaction des statuts des SAS, les juges du fond ont en ce sens souligné qu’aucune disposition législative n’interdisait l’adoption de décisions collectives des associés au moyen d’un simple seuil, serait-il minoritaire, et estimé que cette modalité d’adoption des décisions collectives ne portait atteinte ni au droit des associés de participer aux décisions collectives, ni à l’égalité entre associés, lesquels avaient accepté cette modalité. Une seconde fois déboutés de leur demande d’annulation, les associés ont alors de nouveau formé un pourvoi en cassation, continuant de soutenir que les délibérations des assemblées générales décidant d’une augmentation de capital ne peuvent être adoptées, en application d’une clause statutaire de minorité, par un nombre de voix inférieur à la majorité des votes exprimés. La résistance de la cour d’appel a conduit la Cour de cassation à examiner cette affaire en assemblée plénière (Com. 10 mai 2024 n° 23-16.670), et c’est donc en sa formation la plus solennelle que la Cour de cassation se rallie à la thèse des associés demandeurs au pourvoi.
Ces derniers lui avaient soumis la question de savoir si les statuts d'une SAS peuvent prévoir que la décision d’augmenter le capital sera prise sans la majorité des votes, dès lors qu’un certain nombre de voix favorables à cette opération est atteint. Le problème de droit ainsi soulevé devait conduire la Haute juridiction à trancher entre deux thèses antinomiques. Tout d’abord, la thèse restrictive : la décision collective d'associés d'une société par actions simplifiée ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire revenant à admettre que la collectivité des associés peut adopter, lors d'un même scrutin, deux décisions contraires. Retenir un seuil d’approbation inférieur à la majorité des voix serait en effet susceptible d’aboutir à des décisions possiblement contradictoires : la même résolution pourrait être approuvée par une première décision minoritaire, puis supprimée par une nouvelle décision recueillant la majorité des voix, voire une minorité concurrente dès lors que le seuil requis par les statuts serait atteint. Autrement dit, l’exigence majoritaire et le refus qui en résulte d’admettre la validité d’une clause de minorité écartent le risque de décisions contradictoires adoptées successivement, le cas échéant par deux minorités opposées, situation génératrice d’une grande insécurité juridique, tant pour les associés que pour la société elle-même. Plus fondamentalement, se pose la question de la nature même d’une décision prise par la collectivité des associés, qui supposerait, par nature, une majorité des votes, en tous cas des votes exprimés, à l’exclusion d’un seuil réunissant des associés minoritaires. Ensuite, la thèse libérale : l’article L. 227-9 du Code de commerce accorde aux associés toute liberté pour fixer les formes et conditions d’adoption des décisions collectives. En l’absence de disposition légale contraire, les associés seraient donc libres de rédiger les statuts de leur société et de définir ainsi comme bon leur semble les règles d’adoption d’une décision collective. Dans certains cas, cette conception pourrait renforcer les pouvoirs de l’organe de direction qui se trouverait ainsi en mesure de faire adopter des décisions collectives en comptant sur un seuil minoritaire de voix.
Ecartant la dernière de ces deux thèses, l’Assemblée plénière consacre la règle majoritaire, qu’elle fonde sur le droit de tout associé de participer aux décisions collectives et de voter (C. civ., art. 1844, al. 1er). Au sein d’une société par actions simplifiée, la décision collective des associés d’augmenter le capital ne peut donc être adoptée que si elle recueille la majorité des voix exprimées. Les statuts d’une SAS ne peuvent prévoir d’exception à ce principe par une clause de minorité, sanctionnée par le réputé non-écrit (C. civ. 1844-10, alinéas 2 et 3). En effet, la loi impose sous peine de nullité que les augmentations de capital soient décidées collectivement par les associés (C. com., article L. 227-9, al.1 et 2). Or seul le scrutin majoritaire est en mesure de traduire concrètement cette exigence collective requise par la loi. Partant, la SAS n’a pas la liberté (contractuelle) de fixer un seuil d’approbation inférieur à la majorité. Ainsi l’Assemblée plénière écarte-t-elle le double risque que lors d'un même scrutin, deux décisions contraires soient adoptées et que la volonté d’une minorité prévale sur la vision que se fait la majorité des associés du devenir de leur société. La décision de cour d’appel est donc censurée.
Références :
■ Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25967
■ Com. 19 janv. 2022 n° 19-12.696 : D. 2022. 342, note A. Couret ; ibid. 1875, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2022. 493, note L. Godon ; RTD com. 2022. 99, obs. J. Moury
■ Paris 4 avr. 2023 n° 22/05320 : Rev. sociétés 2024. 36, note P.-A. Marquet et P. Lethenet
Autres À la une
-
Droit de la responsabilité civile
[ 12 décembre 2024 ]
Accident de la circulation : portée d’une transaction en présence d’une nouvelle demande d’indemnisation
-
Droit de la responsabilité civile
[ 11 décembre 2024 ]
Les conditions de la responsabilité contractuelle
-
Droit de la responsabilité civile
[ 10 décembre 2024 ]
Fondement et étendue de la responsabilité d’un architecte à raison d’un déficit de surface du bien construit
-
Droit des successions et des libéralités
[ 9 décembre 2024 ]
Un héritier peut réclamer personnellement le règlement de sa part de la créance indemnitaire du défunt
-
Droit des obligations
[ 5 décembre 2024 ]
Location financière : nullité du contrat pour défaut de contrepartie personnelle du dirigeant
- >> Toutes les actualités À la une