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[ 5 mars 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Régularisation de la vente : rien ne presse…

Une promesse synallagmatique de cession de parts sociales constatant un accord définitif sur la chose et le prix a valablement pu être exécutée plusieurs années après sa conclusion, dès lors que le dépassement du délai fixé pour la régularisation de la cession n'était pas sanctionné par la caducité de la promesse.

Civ. 1re, 14 janv. 2021, n° 19-13.675

Par protocole signé en 2005, la gérante de deux sociétés vend la totalité de ses parts à ses trois associés, pour un prix déterminé, sous diverses conditions suspensives à réaliser avant une certaine date, et à un terme stipulé pour la régularisation des cessions (15 jours après le délai prévu pour la réalisation des conditions suspensives). En 2013, soit huit ans après, les associés assignent la cédante en exécution de ce protocole. Les juges du fond rejettent cette demande et déclarent le protocole de vente caduc, aux motifs, d’une part, que le transfert de propriété et de jouissance des parts n'est pas intervenu avant la date fixée à cet effet par le protocole et, d’autre part, que les acquéreurs n'ont pas informé le cédant qu'ils étaient en mesure de payer le prix, ni demandé à ce dernier, pendant de nombreuses années, de s'exécuter.

Au visa de l’article 1583 du Code civil, cette décision est cassée en application du principe prévu par le texte précité selon lequel, sauf convention contraire, la vente est parfaite entre les parties, et la propriété acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'ils sont convenus de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée, ni le prix payé. Pour justifier la cassation, la première chambre civile relève trois éléments déterminants : 

- le protocole signé constatait l'accord des parties sur la chose vendue (les parts) et sur le prix ;

- les conditions suspensives avaient été levées ;

- les parties n'avaient pas prévu que le terme fixé par elles pour la régularisation des cessions par les acquéreurs serait sanctionné par la caducité du protocole.

On sait qu’une promesse synallagmatique de vente, à laquelle correspond le protocole litigieux, vaut vente à la condition d’un accord des parties sur la chose et sur le prix et qu’elle est, partant, susceptible d’exécution forcée en nature. La jurisprudence l’a toujours admis (Civ. 3e, 25 mars 2009, n° 08-12.237) et depuis 2016, les dispositions de l’article 1221 du Code civil le confirment. Dès lors, si comme en l’espèce, l’une des parties refuse de régulariser la vente, elle peut y être contrainte sous astreinte par le juge et, le cas échéant, un jugement sera publié tenant lieu d’acte notarié (Cass., ass. plén., 3 juin 1994, n° 92-12.157). 

La limpidité de cette règle n’empêche pas qu’un problème, d’une grande importance pratique, soit fréquemment posé sur l’efficacité de la promesse synallagmatique en cas d’inexécution. Comme en atteste l’arrêt rapporté, il intéresse plus particulièrement le délai pendant lequel l’exécution forcée peut être demandée. Que décider lorsque le compromis prévoit que la régularisation de la vente devra intervenir avant une certaine date ? Celle-ci dépassée, l’exécution forcée peut-elle encore être exigée ? Le présent arrêt permet d’y répondre. La promesse litigieuse, conclue le 2 décembre 2005 sous diverses conditions suspensives à réaliser dans un délai prévu, prévoyait de régulariser la cession au plus tard au 31 janvier 2006. Or huit ans après sa signature, les cessionnaires, justifiant de la réalisation des conditions suspensives dans le délai stipulé, assignent le cédant/promettant en réalisation forcée de la cession. Le protocole stipulant que la vente aurait dû être régularisée au plus tard le 31 janvier 2006, la caducité de la promesse semblait inévitable. Elle est pourtant écartée, justifiant que les cessionnaires puissent, huit ans après sa conclusion, obtenir son exécution forcée. La solution s’explique à la condition de faire le départ entre plusieurs situations et de ne pas confondre le délai de réalisation des conditions suspensives et celui fixé pour la régularisation de la vente. En effet, une fois arrivée à son terme, la promesse synallagmatique de vente connaît un sort variable selon que la réalisation de la condition suspensive est encadrée ou non dans un délai. Si, comme dans l’arrêt commenté, les parties ont encadré la réalisation de la condition suspensive dans un délai et qu’elle est accomplie à la date prévue pour la régularisation de la vente, l’exécution forcée doit pouvoir être obtenue ; au contraire, si elle n’est pas accomplie à la date prévue pour la régularisation de la vente par authentique, la promesse est caduque et donc insusceptible d’exécution forcée (Civ. 3e, 4  févr. 2021, n° 20-15.913 ; Civ. 3e, 9 mars 2017, n° 15-26.182 ; Civ. 3e, 29 mai 2013, n° 12-17.077 ).

De surcroît, une fois arrivée à son terme, la promesse connaît encore un sort variable selon que l’expiration du terme fixé pour la régularisation de la vente fait l’objet d’une stipulation conventionnelle qui en définit la sanction ou si la promesse reste, sur ce point, muette. Lorsque les parties n’ont, comme en l’espèce, rien prévu ou du moins, n’ont pas expressément prévu de sanctionner le dépassement de ce délai par la caducité, l’exécution forcée demeure possible. Cette date n’étant pas extinctive mais constitutive du point de départ à partir duquel l’une des parties pourrait obliger l’autre à s’exécuter, la Cour de cassation considère dans cette hypothèse la vente parfaite, dès la réalisation des conditions suspensives stipulées, même de nombreuses années plus tard (V. pour une promesse jugée définitive 6 ans après sa conclusion, Civ. 3e, 21 nov. 2012, n° 11-23.382). 

Ultérieurement confirmée (Civ. 3e, 3 avr. 2013, n° 12-15.148 ; Civ. 3e, 15 sept. 2016, n° 15-22.142), cette solution ici rappelée conduit à considérer que l’expiration du terme fixé pour la réitération de la vente par acte authentique ne rend pas, sauf clause contraire, la promesse caduque et ne s’oppose pas, dès lors, à son exécution forcée.

Références

■ Civ. 3e, 25 mars 2009, n° 08-12.237 P : D. 2009. 1020 ; ibid. 2010. 224, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2010. 72, obs. S. Prigent

■ Cass., ass. plén., 3 juin 1994, n° 92-12.157 P : D. 1994. 395, concl. M. Jeol ; AJDI 1995. 44 ; ibid. 45, obs. C. Giraudel ; RTD civ. 1995. 177, obs. J. Normand ; ibid. 367, obs. J. Mestre

■ Civ. 3e, 4  févr. 2021, n° 20-15.913 

■ Civ. 3e, 9 mars 2017, n° 15-26.182 P : D. 2017. 646 ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; RDI 2017. 286, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2017. 226, obs. Y. Dagorne-Labbe ; RTD civ. 2017. 393, obs. H. Barbier

■ Civ. 3e, 29 mai 2013, n° 12-17.077 P : D. 2013. 1407 ; ibid. 2014. 630, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; AJDI 2013. 231, obs. F. Cohet ; RTD civ. 2013. 592, obs. H. Barbier

■ Civ. 3e, 21 nov. 2012, n° 11-23.382 P : DAE 20 déc. 2012 ; D. 2012. 2800 ; ibid. 2013. 391, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; AJDI 2013. 704, obs. F. Cohet-Cordey

■ Civ. 3e, 3 avr. 2013, n° 12-15.148

■ Civ. 3e, 15 sept. 2016, n° 15-22.142

 

Auteur :Merryl Hervieu


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