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Droit des obligations
Relations commerciales : une rupture brutale mais non discriminatoire
Une décision fondée sur le mode d’expression d’une opinion mais non sur son contenu n’est pas discriminatoire. La responsabilité prévue en cas de rupture brutale d’une relation commerciale établie transcende la distinction des responsabilités contractuelle et délictuelle et donc l’interdiction de leur cumul.
Souhaitant participer au congrès annuel organisé par une association professionnelle dentaire, avec laquelle elle entretenait des relations commerciales depuis treize ans, une société avait adressé à l’association, plusieurs mois avant la date prévue, une « demande d'admission » au congrès assortie d'un acompte ; bien qu'elle eût payé l'acompte exigé, la société s’était vu notifier un refus de participation au congrès. Reprochant à l'association d'avoir manqué à son engagement contractuel en refusant, de manière discriminatoire, de lui fournir un stand et invoquant, en outre, la rupture brutale de leur relation commerciale, la société l'avait assignée en indemnisation de ses préjudices. La cour d’appel la débouta de ses demandes. Elle jugea d’une part, pour écarter le grief tiré du caractère discriminatoire du refus, que le règlement de l'association conférait à celle-ci un droit discrétionnaire d'admission, dont le refus était en outre justifié non pas par les opinions, contraires à celles défendues par l’association et soutenues par la société mais par la manière dont celle-ci exprimait cette opinion, sur un mode vindicatif et agressif. Elle rejeta d’autre part la demande indemnitaire présentée au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, au motif que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce institue une responsabilité de nature délictuelle et qu'en raison du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, la société, qui avait agi sur le terrain de la responsabilité contractuelle ne pouvait former une demande indemnitaire fondée sur la responsabilité délictuelle à raison des mêmes faits, à savoir le refus d'attribution d'un stand.
La Cour de cassation casse partiellement cette décision. Si elle confirme qu'aucune discrimination n'était en l’espèce établie, le motif d'exclusion de la société n’ayant pas été fondé sur ses opinions, au demeurant non politiques, mais sur leur mode d’expression, elle juge que le principe de non-option des responsabilités délictuelle et contractuelle interdit seulement au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle, mais ne s’oppose pas à la présentation d'une demande distincte, fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais de la rupture brutale d'une relation commerciale établie.
Le premier intérêt de la décision rapportée réside dans la précision qu’elle apporte au principe de non-discrimination à raison de l'exercice des libertés d'opinion et d'expression : la discrimination ne peut être retenue lorsque le motif de la différence de traitement opérée, traduite en l’espèce par l’exclusion d’un membre d’une association, repose non pas sur le contenu ou l’objet de l’opinion mais sur la forme de son expression. Outre le fait que l’association jouissait d'un pouvoir discrétionnaire pour choisir les participants au congrès et que les opinions de la société exclue n’avaient pas de caractère politique, la Cour souligne qu’en toutes hypothèses, la décision de l’association n’était pas discriminatoire pour la seule raison que ce n'était pas le discours tenu par la société qui avait justifié son éviction mais la manière contestable dont elle l’avait exprimé. Ainsi la forme supplante-t-elle le fond sur ce point, évinçant en l’espèce le caractère discriminatoire de la décision d’exclusion.
Le second tient à l’articulation du mécanisme spécifique de responsabilité instauré par l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce avec le principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle. Si ce principe interdit au créancier d'une obligation contractuelle de demander au débiteur de cette obligation qui ne l’a pas exécutée réparation sur le fondement des règles de la responsabilité délictuelle, il ne fait pas obstacle à ce qu'une partie contractante sollicite l'indemnisation du dommage causé par la rupture brutale de relations commerciales établies lorsqu'une telle demande repose sur des faits distincts de celle procédant de la rupture de la relation contractuelle proprement dite, ce qui était le cas en l’espèce, le dommage ayant résulté de la privation illicite de la durée d'un préavis nécessaire et auquel la société avait droit compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales établies. La cour d’appel avait jugé que le principe de non-cumul des responsabilités s'opposait à l'examen de la demande au titre de la rupture de relations commerciales établies car elle avait à tort considéré le refus d'attribution du stand, en violation du contrat conclu entre la société et l’association, comme constitutif de la rupture alléguée. Or la spécificité du mécanisme de responsabilité ici visé tient au fait que, même s’il peut concerner une relation commerciale nouée entre des parties par un ou plusieurs contrat(s), ce mécanisme transcende la notion de contrat en ce qu'il vise le courant d'affaires les liant au sens économique du terme, dont il sanctionne la rupture brutale, au-delà donc de la seule rupture du lien contractuel. Sous la réserve que la demande d’indemnisation repose sur un fait générateur distinct de la seule rupture du contrat liant les deux partenaires commerciaux, et qu’il soit constitutif d’une rupture illicite au regard du texte de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ne peut faire échec à la responsabilité légale d'ordre public imposant la réparation de la rupture brutale de relations commerciales établies.
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