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Droit de la consommation
Relevé d’office des clauses abusives : l’étendue de l’obligation judiciaire
Le principe selon lequel l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte pas sur l’objet principal du contrat ne s’applique au juge qu’à la condition que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Civ. 2e, 14 oct. 2021, n° 19.11.758
Un assuré adhère à un contrat collectif d’assurance sur la vie.
Constatant une baisse du montant de la rente annuelle susceptible de lui être versée et estimant que l’application par l’assureur d’une table « unisexe » de conversion du capital en rente, pour se mettre en conformité avec le principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, ne lui est pas opposable, l’assuré assigne l’assureur et le souscripteur devant un tribunal aux fins d’exécution de leurs engagements contractuels et, subsidiairement, d’indemnisation.
La cour d’appel rejette ces demandes, retenant que l’application de la table de mortalité unisexe en vigueur au moment où l’assuré a demandé le calcul de la rente était l’exacte application des dispositions contractuelles, le souscripteur et l’assureur ayant décidé de se soumettre volontairement au nouveau dispositif légal.
La deuxième chambre civile rend cependant un arrêt de cassation. Elle rappelle, au visa de l’article L. 132-1, devenu L. 212-1 du Code de la consommation que « 5. La Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose (CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08). 6. Selon le texte susvisé, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible ».
En l’espèce, « alors qu’il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle, d’une part, que la clause X définissait l’objet principal du contrat, en ce qu’elle prévoyait les modalités de la transformation en rente de l’épargne constituée par l’adhérent, d’autre part, qu’elle renvoyait, sans autre précision, au « tarif en vigueur », il incombait [à la cour d’appel] d’examiner d’office la conformité de cette clause aux dispositions du Code de la consommation relatives aux clauses abusives en recherchant si elle était rédigée de façon claire et compréhensible et permettait à l’adhérent d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlaient pour lui, et, dans le cas contraire, si elle n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du non-professionnel ou consommateur».
En droit de la consommation, la distinction entre les clauses illicites et abusives (v. pour une dernière application, Civ. 26 sept. 2019, n° 18-10.891) n’est pas seulement d’ordre théorique, elle présente également un enjeu d’ordre procédural : l’article R. 632-1 du Code de la consommation dispose en effet que « Le juge peut relever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application. Il écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat ». L’alinéa 1er de ce texte est issu de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et l’alinéa 2 a été ajouté par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation afin de consacrer, comme le rappelle ici la Cour, la jurisprudence européenne (CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05 ; CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08). Aussi surprenant que cela puisse paraître, le juge est donc tenu de soulever le caractère abusif d’une clause, mais pas l’illicéité, à propos de laquelle il ne jouit que d’une simple faculté.
Cette obligation est néanmoins limitée par l’objet du contrôle à opérer : ainsi les clauses portant sur l’objet principal du contrat sont-elles, en principe soustraites au contrôle du juge (C. consom., art. L. 212-1, al. 3). La Cour vient cependant ici utilement rappeler « l’exception à l’exception » apportée par la jurisprudence européenne quant à l’appréciation du caractère abusif des clauses portant sur la définition de l’objet principal du contrat : si ces clauses ne sont pas en principe concernées par le contrôle du juge, c’est sous réserve qu’elles soient claires et compréhensibles à l’effet de permettre au consommateur, notamment lorsqu’il souscrit un contrat d’assurances, d’évaluer sur le fondement de critères précis et intelligibles les conséquences économiques et financières qui en découlent pour lui (v., à propos de la clause dite « coma », CJUE 23 avr. 2015, Jean-Claude Van Hove / CNP Assurances SA, aff. C-96/14). Par le présent arrêt, la Cour de cassation applique donc les critères formels dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne tenant à la clarté et à l’intelligibilité des clauses du contrat liant l’assuré à son assureur et justifiant que celles qui n’y répondent pas soient soumises d’office au contrôle judiciaire des clauses abusives, même lorsqu’elles portent sur l’objet principal du contrat. Ainsi incombait-il en l’espèce aux juges du fond d’examiner d’office, en raison de son imprécision et en dépit de son objet (fixant la prestation essentielle du contrat d’assurance), la conformité de la clause litigieuse aux critères précités requis pour en sanctionner l’éventuel abus.
Références :
■ CJCE 4 juin 2009, Pannon GSM Zrt (Sté) c/ Erzsébet Sustikné Gyorfi, C-243/08: D. 2009. 2312, note G. Poissonnier ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; Rev. prat. rec. 2020. 17, chron. A. Raynouard ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais
■ CJCE 26 oct. 2006, Mme Mostaza Claro c/ Centro Movil Milenium SL, aff. C-168/05: D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d'Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 633, obs. P. Théry
■ CJUE 23 avr. 2015, Jean-Claude Van Hove / CNP Assurances SA, aff. C-96/14, : D. 2015. 972 ; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
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