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Procédure civile
Relever appel d’un jugement ne constitue pas un abus du droit d’ester en justice
Mots-clefs : Procédure civile, Action en justice, Liberté, Limite, Abus de droit, Faute
L’abus du droit d’agir en justice nécessite de caractériser une faute du plaideur que le seul fait, pour le défendeur, de relever appel d’un jugement d’expulsion rendu à son encontre ne suffit pas à constituer.
Le vendeur d’un immeuble d’habitation avait précisé à l’acheteuse, dans l’acte de vente, qu’y résidait un occupant, sans droit ni titre. L’acheteuse avait assigné ce dernier en expulsion, lequel lui avait opposé être le véritable propriétaire de l'immeuble. L’acheteuse avait alors demandé aux juges de constater sa qualité de propriétaire et de condamner l’occupant au versement de dommages-intérêts pour résistance abusive. Après lui avoir reconnu sa qualité de propriétaire de l’immeuble, la cour d’appel condamna l’occupant à indemniser l’acheteuse pour résistance abusive au motif que tout en sachant ne pas être le propriétaire de l'immeuble, il avait néanmoins contesté la qualité à agir de sa véritable propriétaire dans le cadre de l'action en expulsion engagée par celle-ci à son encontre. Cette analyse ne convainc pas la Cour, qui reproche aux juges du fond de ne pas avoir caractérisé une faute de l’occupant faisant dégénérer en abus son droit de relever appel de la décision de première instance rendue dans cette affaire.
Facultative, l'action en justice est également libre. Affirmer que chacun est libre d'agir en justice signifie qu'en principe, l'exercice de cette liberté ne constitue pas une faute, quelle que soit l’issue du procès. Cette liberté, qui offre notamment le droit d'avoir tort en justice, doit permettre à chacun de défendre ses droits sans craindre de se voir reprocher le simple fait d'avoir voulu soumettre ses prétentions à un tribunal en prenant l'initiative d'agir ou en souhaitant se défendre face à la partie adverse. Toutefois, cette liberté de principe doit être tempérée dans le cas où le plaideur aurait commis une faute soit parce que, dans une intention dilatoire, il a tardé à agir ou retardé le cours du procès (par ex., C. pr. civ. art. 118 et 123) soit parce que, plus généralement, il a commis un abus de son droit d’agir en justice. Autrement dit, si le droit d'ester en justice est libre, il n'est point discrétionnaire, en sorte que la jurisprudence a naturellement appliqué, en cette matière, la théorie de l'abus du droit. C'est d’ailleurs en ce sens qu'il convient d'interpréter l'article 32-1 du Code de procédure civile, qui prévoit que « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 €, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés », disposition applicable tant au demandeur qu’au défendeur.
Cependant, pour ne pas excéder les limites apportées à la liberté de principe d’agir en justice, la jurisprudence considère que l'exercice d'une action judiciaire ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif (Civ. 2e, 2 juin 2016, n° 14-18.032). Le plus souvent, une faute caractérisée du plaideur est recherchée : ce n’est pas une conception objective liée au simple excès dans l'exercice du droit d’agir, mais une conception subjective, impliquant une faute déterminée, qui a été retenue par la jurisprudence (Civ. 3e, 1er avr. 2009, n° 07-21.833). Ainsi, à plusieurs reprises, la Cour de cassation a-t-elle affirmé que « l'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute susceptible d'entraîner une condamnation à des dommages-intérêts que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou, s'il est, tout au moins, le résultat d'une erreur grossière équipollente au dol » (V. par ex., Civ. 1re, 3 mars 2009, n° 07-19.577).
La jurisprudence donne cependant, également, des exemples d'abus du droit d'agir en justice sanctionnant un plaideur n'ayant commis ni une faute grossière ni une faute dolosive. Par exemple, dans un arrêt du 11 septembre 2008, la Cour de cassation a décidé que « toute faute dans l'exercice des voies de droit est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur » (Civ. 2e, 11 sept. 2008, n° 07-18.483 ; Civ. 1re, 13 déc. 1994, n° 92-20.780). Le plus souvent, l'abus est commis à l'occasion d'une demande introductive d'instance, alors que le demandeur a conscience du caractère infondé de sa demande (Civ. 2e, 11 sept. 2008, n° 07-16.972).
Mais l'abus peut aussi être le fait du défendeur Il a ainsi été jugé que « qu'ayant relevé les considérables déploiements de moyens de défense opposés (…), parmi lesquels nombre sont purement dilatoires quand ils ne sont pas artificiels, pour mettre en échec l'exécution de titres anciens de plus de vingt ans, joints à la profusion sans cesse renouvelée dans le même dessein de procédures plus ou moins incidentes, la cour d'appel a souverainement retenu que cette attitude excédait les limites de l'exercice normal des droits de la défense et traduisait un abus de procédure et une intention de nuire à ses créanciers, qui étaient fondés à en demander réparation » (Civ. 2e, 25 sept. 2014, n°13-15.597).
De l'abus du droit d'agir comme demandeur ou comme défendeur, on peut sans doute rapprocher l'abus de procédure. Cette notion s'appliquerait ainsi à celui qui emploie une procédure trop lourde par rapport à l'objet du litige (Civ. 2e, 1er déc. 1982) ou à celui qui multiplie les incidents de procédure dans le but de retarder sa condamnation. Au contraire, en l’espèce, la Cour considère que le seul fait que le défendeur ait contesté la qualité à agir de la propriétaire dans le cadre de l'action en expulsion engagée par celle-ci à son encontre, sans relever aucun autre fait de nature à faire dégénérer en abus l'exercice de son droit de se défendre en justice, ne suffit pas à caractériser une faute de sa part.
Civ. 3e, 27 oct. 2016, n° 15-25.948
Références
■ Civ. 2e, 2 juin 2016, n° 14-18.032.
■ Civ. 3e, 1er avr. 2009, n° 07-21.833 P ; D. 2009. 1140, obs. Y. Rouquet ; RTD com. 2009. 529, obs. F. Kendérian.
■ Civ. 1re, 3 mars 2009, n° 07-19.577.
■ Civ. 2e, 11 sept. 2008, n° 07-18.483 .
■ Civ. 1re, 13 déc. 1994, n° 92-20.780 P; D. 1995. 496 ; RTD civ. 1995. 659, obs. J. Patarin ; ibid. 1997. 168, obs. F. Zenati.
■ Civ. 2e, 11 sept. 2008, n° 07-16.972.
■ Civ. 2e, 25 sept. 2014, n° 13-15.597 P; RTD civ. 2014. 942, obs. P. Théry.
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