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Droit pénal des affaires
Remboursement de la créance née d’un chèque sans provision : le débiteur, rien que le débiteur !
Mots-clefs : Chèque sans provision, Action civile, Remboursement de la créance, Nature de l’action, Action en paiement, Débiteur de la somme
L'action civile en remboursement de la créance que la remise du chèque prétend éteindre ne peut être dirigée que contre le débiteur lui-même.
Un dirigeant de société avait, pour régler l’achat de parts sociales à une société, émis un chèque de 54 000 euros, sous la signature de sa gérante. A la suite de l'opposition formée par cette dernière, le chèque avait été présenté à l'encaissement le 2 mai 2006 et était revenu impayé, faute de provision. Après que le président du tribunal de commerce, saisi en référé, eut ordonné la mainlevée de l'opposition, le chèque, présenté une seconde fois à l'encaissement, était à nouveau revenu impayé, la gérante en ayant bloqué la provision. Cette dernière avait alors été citée par le dirigeant de la société, qui s’était constitué partie civile, sur le fondement de l'article L. 163-2 du Code monétaire et financier, la société litigieuse ayant été citée en qualité de civilement responsable.
Le tribunal correctionnel, après avoir retenu la culpabilité de la gérante, l'avait condamnée solidairement avec la société au paiement de la somme de 54 000 euros en réparation du préjudice matériel, outre celle de 5 000 euros, pour le préjudice moral. La prévenue, la société civilement responsable et le ministère public avaient interjeté appel de ce jugement. La cour d'appel le confirma en ses dispositions civiles à l'encontre de la seule prévenue. Les dispositions civiles du jugement furent en conséquence confirmées à l'encontre de la gérante seule, la société cessionnaire, ne pouvant plus, depuis son placement en liquidation judiciaire, faire l'objet d'une condamnation.
A l’appui de son pourvoi en cassation, la gérante rappelait la règle selon laquelle l'action en paiement du montant d'un chèque sans provision ne peut être dirigée que contre le débiteur de l'obligation que ce chèque prétendait éteindre et qu’en conséquence, les juges du fond ne pouvaient la condamner, en qualité d’auteur du délit de retrait de la provision, qu'à réparer le dommage causé par l'infraction mais non à rembourser le montant d'une créance dont elle n'était pas personnellement débitrice.
Au visa des articles L. 163-9 du Code monétaire et financier, 2 et 3 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation, après avoir rappelé que l'action civile en remboursement de la créance que la remise du chèque était destinée à éteindre, ne peut être dirigée que contre le débiteur lui-même, casse la décision des juges du fond, lesquels, pour condamner la gérante au paiement d'une somme égale au montant du chèque litigieux en remboursement de la créance contractuelle résultant de la convention initialement conclue entre les sociétés cédante et cessionnaire, ce dont il résultait que cette dernière, placée postérieurement en liquidation judiciaire, était la seule débitrice de ladite créance, ont méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.
L’action civile de la victime de l’infraction d’émission de chèque sans provision obéit à des règles dérogatoires autorisant la victime du délit à solliciter du tribunal correctionnel non seulement des dommages et intérêts, mais aussi la condamnation du tireur au paiement d’une somme égale au montant du chèque. La victime n’a donc pas à user de deux procédures distinctes, l’une en dommages et intérêts devant le juge répressif, l’autre en paiement du chèque devant le juge civil. Cependant, la jurisprudence a toujours affirmé que l’action en paiement de la créance représentée par le chèque reste indépendante par rapport à l’action en dommages-intérêts de droit commun qui subsiste, à côté d’elle.
L’arrêt rapporté en fournit une nouvelle illustration, en rappelant que la seule débitrice de la créance à rembourser était la société cessionnaire, en liquidation judiciaire, et que la gérante, quant à elle, ne pouvait être tenue qu’à l’indemnisation du dommage causé par le délit qu’elle avait commis. Ainsi l’action en paiement ne peut-elle donc être dirigée que contre le débiteur de la somme représentée par le chèque, et non contre un tiers. La décision est conforme à la jurisprudence traditionnelle de la chambre criminelle en la matière, qui avait déjà refusé de condamner au remboursement du montant de la créance dont il n’était pas personnellement débiteur le prévenu, dirigeant de société, condamné comme tireur du chèque sans provision, au motif que « l’action civile en remboursement de la créance que la remise du chèque prétend éteindre, ne peut être dirigée que contre le débiteur » (Crim., 18 oct. 1972, n° 72-90.717). Elle avait encore rappelé que « l’action en réparation du dommage causé par le délit, dirigée contre l’auteur de l’infraction, ne peut être assimilée à l’action civile en remboursement de la créance », pour en déduire que, même si le chèque avait été émis postérieurement à la cessation des paiements de la société, le bénéficiaire, sans pouvoir percevoir le montant de sa créance, peut néanmoins être indemnisé par l’auteur de l’émission de chèque sans provision (Crim., 9 janv. 1984, n° 81-91.195). Et dans le même sens que la décision rapportée, la Cour avait de nouveau estimé que l'action civile en remboursement de la créance que la remise de chèque prétendait éteindre ne pouvant être dirigée que contre le débiteur lui-même, une cour d’appel ne pouvait pas condamner personnellement le gérant d'une société, déclaré coupable de l'émission d'un chèque sans provision de 30 627 francs à l'ordre d'un fournisseur de ladite société, à payer à la partie civile une somme de 31 000 francs à titre de dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice particulier causé par l'infraction, en ce qu’elle ordonnait ainsi, en réalité, le remboursement d'une créance contractuelle préexistante, dont la seule débitrice était la société placée en liquidation judiciaire (Crim., 7 oct. 1991, n° 90-87.210).
Crim., 22 septembre 2015, n° 14-83.787.
Références
■ Code monétaire et financier
■ Code de procédure pénale
■ Crim., 18 oct. 1972, n° 72-90.717, Bull. crim. n° 292
■ Crim., 9 janv. 1984, n° 81-91.195, Bull. crim. n° 9
■ Crim., 7 oct. 1991, n° 90-87.210, D. 1992. 337, obs. M. Cabrillac ; RSC 1993. 338, obs. P. Bouzat ; RTD com. 1993. 191, obs. P. Bouzat.
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