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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Remontées mécaniques et droit à la propriété
Une société exploitante de remontées mécaniques voit, à l’issue de la convention de concession de service public, la propriété de ses installations transférée à la collectivité territoriale sans recevoir le paiement d’une somme à la hauteur de la valeur de celles-ci. Examinant l’affaire sous l’angle de la protection de la propriété (art. 1 du Protocole n°1 à la Conv. EDH), la CEDH conclut à la non-violation de la Convention, étant donné que la privation de propriété est fondée sur une base légale, proportionnée au but légitime d’assurer la continuité du service public et que les coûts des installations ont été amortis par l’exploitant.
CEDH 5 oct. 2023, SARL. Couttolenc Frères c/ France, n° 24300/20
La requérante est une société de droit français, propriétaire et exploitante de remontées mécaniques (téléski, télésiège) dans des stations de sports d’hiver. Avec la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, les remontées mécaniques sont devenues un service public à la charge des communes, groupements de communes ou départements. L’article 47 (abrogé) de la loi prévoyait une période transitoire de quatre ans (al. 3), afin de permettre aux collectivités territoriales et aux exploitants privés de conclure une convention de concession de service public. Si une telle convention n’avait pas pu être conclue du fait de la collectivité territoriale, le délai était prolongé de dix ans, soit au total quatorze ans (al. 4).
La société a continué d’exploiter les installations pendant la période transitoire de quatorze ans. Elle a ensuite choisi de conclure une convention de délégation de service public, et a pu exploiter les remontées mécaniques pendant quinze années supplémentaires. À l’expiration de la convention, la collectivité a décidé de reprendre l’exploitation. La propriété des équipements a par conséquent été transférée à la collectivité. Or, en application de la règle des biens de retour, la société n’a pas été indemnisée à la hauteur de la valeur vénale des biens transférés (pt. 74).
■ Règle des biens de retour : une notion importante dans les délégations de service public et contrats de concession. Selon la jurisprudence du Conseil d’État (21 déc. 2012, n° 342788), les biens de retour sont des biens meubles ou immeubles indispensables à l’exécution du service public. Ils se caractérisent par trois attributs : ils reviennent obligatoirement à la collectivité concédante en fin de contrat ; ce retour se fait en principe à titre gratuit ; enfin, la collectivité territoriale est propriétaire de ces biens, non pas à l’issue du contrat, mais dès leur affectation au service public. Ce régime vise à assurer l’équilibre financier du contrat de concession, et éviter que l’administration soit privée de biens indispensables à l’exécution de la mission de service public.
■ Protection de la propriété. La société requérante se plaint d’avoir été privée de biens dont elle était propriétaire avant la signature de la convention, en raison de l’application de la règle des biens de retour, sans qu’une indemnisation couvrant leur valeur n’ait été versée. Après un recours devant le juge administratif et le Conseil d’État, la société saisit la CEDH sur le fondement de l’article 1 du Protocole n° 1 qui garantit à toute personne le droit au respect de ses biens. Toute ingérence à ce droit n’est toutefois pas illicite, si elle répond à certaines conditions. En vertu de l’alinéa premier, « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ». Il en ressort que, toute privation de propriété est examinée par la Cour sous l’angle de la légalité, et du but d’intérêt général poursuivi.
■ Légalité et but légitime. La question de la légalité ne pose guère de difficultés. En effet, la Cour constate que cette règle est établie depuis longtemps par la jurisprudence du Conseil d’État (v. par ex. CE 9 nov. 1895, n° 81383). Les remontées mécaniques sont qualifiées de service public depuis la loi du 9 janvier 1985. En résulte que « la société requérante ne pouvait ignorer que le régime de la délégation de service public, qui comprend la règle des biens de retour, s’appliquerait dans son cas » (pt. 59). Le but légitime est également admis : « la règle des biens de retour, visait à assurer la continuité du service public. Un tel but relève sans conteste de l’intérêt public (…), il se rattache à l’objectif de développement équitable et durable des territoires de montagne » (pt. 62).
■ Proportionnalité. La Cour examine ensuite si l’atteinte au droit de propriété pouvait constituer une « atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du Protocole n° 1 » (pt 63 ; v. aussi CEDH 21 févr. 1986, plén., James et autres c/ Royaume Uni, n° 8793/79, § 54). Elle note que les États bénéficient, concernant le développement et l’aménagement du territoire, d’une large marge d’appréciation (pt. 64). Sur le fond, les juridictions françaises ont estimé que, bien que nul versement couvrant la valeur vénale des biens n’ait été effectué, la valeur des installations a été bien amortie au cours de la concession (pt. 71). Elle constate donc que la valeur des remontées mécaniques litigieuses a été intégrée au calcul initial de l’équilibre économique, à la signature du contrat (pt. 79), et a fait l’objet d’une compensation, eu égard notamment à l’exploitation de vingt-huit ans après l’entrée en vigueur de la loi (pts. 74 et 80). De surcroît, en cas de déséquilibre économique du contrat, le délégataire peut obtenir du juge administratif, au terme du contrat, une indemnisation destinée à rétablir l’équilibre (pt. 80). Elle conclut, à l’unanimité, la non-violation de l’article 1 du Protocole n° 1 de la Convention.
Références :
■ CE, ass., Commune de Douai, 21 déc. 2012, n° 342788 A : AJDA 2013. 7 ; ibid. 457, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; ibid. 724, étude E. Fatôme et P. Terneyre ; D. 2013. 252, obs. D. Capitant ; AJCT 2013. 91, obs. O. Didriche ; RFDA 2013. 25, concl. B. Dacosta ; ibid. 513, étude L. Janicot et J.-F. Lafaix.
■ CE 9 nov. 1895, Ville de Paris, n° 81383
■ CEDH 21 févr. 1986, plén., James et autres c/ Royaume Uni, n° 8793/79
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