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[ 26 novembre 2020 ] Imprimer

Droit de la consommation

Rentabilité économique : même le consommateur n’a pas le droit à l’erreur !

Pour constituer la caractéristique essentielle d’une installation photovoltaïque et emporter, en cas d’erreur, la nullité du contrat, la rentabilité économique de l’opération doit être intégrée au champ contractuel par les parties.

Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 18-26.761

À la suite d’un démarchage à domicile, un couple avait fait l’acquisition d’une installation photovoltaïque, pour laquelle ils avaient emprunté. Se prévalant d’irrégularités affectant le bon de commande et soutenant que leur consentement avait été vicié en raison de manœuvres dolosives imputables au vendeur, le couple avait assigné le liquidateur de ce dernier, ainsi que la banque, en annulation des contrats de vente et de crédit affecté.

La cour d’appel rejeta leur demande au motif que l’information considérée comme manquante, relative à la rentabilité économique des biens acquis, ne pouvait avoir été déterminante de leur consentement et que le vendeur n’avait pas commis de dol. 

Au soutien de leur pourvoi en cassation, les acheteurs soutenaient tout d’abord qu’en ce qu’elle constitue l’un des résultats attendus de son utilisation, la rentabilité économique d’une installation photovoltaïque relève de ses caractéristiques et qu’elle entre, par nature, dans le champ contractuel. Ils faisaient ensuite valoir que la violation d’une disposition d’ordre public relative à l’information du consommateur, comme celle relative à la rentabilité escomptée de la pose de panneaux photovoltaïques, suffit à établir que le consentement du consommateur sur un élément essentiel du contrat a été vicié. Ils justifiaient enfin l’existence du dol allégué par l’élément intentionnel qui s’ajoutait, en l’espèce, à l’élément matériel tiré de la rétention d’information par le vendeur, qui se serait tu dans l’intention délibérée de provoquer dans leur esprit une erreur déterminante de leur consentement. 

La thèse de ce pourvoi ne convainc pas la Cour de cassation, qui juge qu’au sens de l’article L. 111-1 du Code de la consommation la rentabilité économique ne peut constituer une caractéristique essentielle de la vente d'une installation photovoltaïque à des consommateurs qu’à la condition que les parties aient intégré celle-ci dans le champ contractuel. La cour d’appel a retenu qu’il n’était pas établi que le vendeur « se serait engagé sur une rentabilité particulière qui serait inatteignable ou n’aurait obtenu le consentement des acquéreurs qu’en leur communiquant une étude économique fallacieuse ». Elle a ajouté « qu’il n’était pas prouvé que le vendeur aurait sciemment fait état d’un partenariat mensonger avec la société EDF ou dissimulé une information dont il savait le caractère déterminant et ainsi commis un dol ». Elle n’a pu qu’en déduire que le vendeur n’avait pas manqué à ses obligations contractuelles et que les demandes d’annulation des contrats fondées sur une erreur provoquée sur la rentabilité économique de l’installation devaient être rejetées.

Par souci de préserver un minimum de sécurité contractuelle, certaines erreurs sont jugées indifférentes, en sorte que même si la victime parvient à prouver celles-ci, elle ne pourra en aucun cas obtenir l’annulation du contrat conclu par erreur. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la vente conclue par erreur sur les motifs ou sur la valeur du bien acquis.

Pour emporter la nullité du contrat, l’erreur doit le plus souvent porter sur ce que la jurisprudence désignait traditionnellement comme la substance de la chose, désormais qualifiée par la loi comme les « qualités essentielles de la prestation due » (C. civ., art. 1132). Cette différence d’appellation laisse au demeurant inchangée l’appréciation de cette erreur, qui s’entend non seulement de celle qui porte sur la matière même dont la chose est objectivement composée, mais aussi voire surtout de celle qui a trait à une qualité subjectivement considérée comme substantielle par la victime de l’erreur, en considération de laquelle celle-ci a contracté. 

Concernant l’erreur sur la rentabilité économique, la jurisprudence fait le départ entre deux configurations : celle où la rentabilité économique constitue, au vu de l’économie du contrat, la finalité directe de la prestation contractuelle ou de l’usage de la chose et celle dans laquelle, au contraire, il ne ressort ni de la nature ni de l’objet de l’opération contractuelle que celle-ci est essentiellement destinée à produire un rendement financier. Logiquement, l’erreur ne peut être vue comme une erreur substantielle sanctionnée par la nullité du contrat que dans la première hypothèse. Dans la seconde, le fait qu’un contractant invoque un défaut ou une insuffisance de rentabilité ne peut être qu’indifférent puisque l’errans met en cause un dessein particulier qu’il a conféré au bien -dégager des bénéfices -, en sorte qu’il excipe d’une erreur personnelle, donc étrangère au champ contractuel, à la fois sur la valeur et sur les motifs de son engagement, ces deux types d’erreurs ne justifiant pas l’annulation du contrat. Dans un arrêt du 31 mars 2005 (Com., 31 mars 2005, n° 03-20-096), la chambre commerciale a jugé que l’acquisition d’un immeuble motivée par le seul potentiel locatif du bien que l’acheteur avait mal évalué constitue une erreur sur la valeur, par conséquent insusceptible d’être sanctionnée par la nullité du contrat : « l’appréciation erronée de la rentabilité économique de l’opération n’était pas constitutive d’une erreur sur la substance de nature à vicier le consentement de la SCI à qui il appartenait d’apprécier la valeur économique et les obligations qu’elle souscrivait » (v. dans le même sens, Civ. 3e, 27 avr. 2017, n° 16-15.560). En revanche, dans un arrêt du 4 octobre 2011 (Civ. 3e, 4 oct. 2011, n° 10-20.956), la même chambre a consacré le principe d’une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise sur la base d’un contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain est déterminante en raison, d’une part, de l’écart considérable entre les chiffres annoncés et les chiffres obtenus et, d’autre part, de la rapidité de la mise en liquidation judiciaire du franchisé (v. dans le même sens, Com. 10 juin 2020, n° 18-21-536 : l’écart entre les comptes provisionnels et les chiffres réalisés ayant dépassé la marge d'erreur inhérente à toute donnée prévisionnelle, ces prévisions avaient provoqué, dans l'esprit des cocontractants, une erreur sur la rentabilité de leur activité, portant sur la substance même du contrat de franchise ; adde, Com. 25 juin 2013, n° 12-20.815 ; contra, Com. 5 janv. 2016, n° 14-11.624 ; Com. 21 oct. 2014, n° 13-11.186).

En l’espèce, il était question de savoir, sous l’angle du droit de la consommation, si la rentabilité économique de l’installation photovoltaïque pouvait être considérée comme relevant de ses « caractéristiques essentielles », traduction consumériste de la qualification civiliste des « qualités essentielles » du bien. 

Dans l’affirmative, la rétention d’informations reprochée au professionnel tenu, avant de faire souscrire au consommateur un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, de l’informer des caractéristiques essentielles du bien ou du service proposé (C. consom., art. L. 111-1, 1°), aurait été fautive et sous réserve du caractère intentionnel de cette réticence, dolosive, justifiant ainsi l’annulation de la vente ainsi que du contrat de crédit l’ayant financé. 

Faisant fi de la finalité par essence protectrice des règles du droit de la consommation, justifiant de fréquentes entorses à celles plus libérales relevant du droit commun contractuel, la Cour de cassation répond à cette question par la négative, conformément à sa jurisprudence antérieure rendue sur le fondement de la théorie des vices du consentement telle qu’elle est prévue par les textes du code civil. Ainsi prolonge-t-elle son analyse sur le terrain du droit de la consommation pour juger qu’en soi, la rentabilité économique ne constitue pas une caractéristique essentielle d’une installation photovoltaïque au sens de l’article L. 111-1 du Code de la consommation. Il est vrai qu’au regard de l’économie du contrat principal et du crédit affecté au financement de l’installation, la finalité directe de l’opération contractuelle ne résidait pas dans sa profitabilité (comp. Com. 2 oct. 2019, n° 17-14.423, concernant l'acquisition de panneaux photovoltaïques servant à l'exploitation d'une centrale devant permettre aux acheteurs, dans un but d’optimisation fiscale, de percevoir des revenus en revendant à EDF l'électricité produite). Contrairement à ce que prétendaient les demandeurs au pourvoi, la rentabilité économique de l’opération ne relevait pas, par nature, de son champ contractuel. Celle-ci constituait seulement l’un des buts escomptés par les acheteurs de son utilisation, en sorte que leur erreur, portant sur leurs mobiles, ne pouvait suffire à faire prospérer leur demande en nullité. L’erreur sur les motifs est, rappelons-le, indifférente. 

De surcroît, cet objectif n’avait pas été intégré dans le champ contractuel par la volonté réciproque des parties, comme le releva la cour d’appel, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments produits, lesquels devaient conduire à écarter l’hypothèse, par ailleurs admise, dans laquelle les parties fixent dans le contrat un rendement particulier et chiffré à atteindre. À cette condition, comme le précise la Cour pour tempérer sa précédente affirmation, la rentabilité économique entre dans le champ contractuel, non pas objectivement, en considération de la nature de l’opération, mais subjectivement, par la seule volonté des parties telle qu’elle est exprimée dans le contenu du contrat. Dans ce cas, l’erreur commise ou provoquée sur cette caractéristique rendue essentielle, ayant alors nécessairement déterminé le consentement de sa victime, justifie l’annulation du contrat. 

En l’espèce, le vendeur ne s’étant pas contractuellement engagé sur une rentabilité particulière ou chimérique, ni fait en sorte d’obtenir le consentement des acheteurs par la communication d’une étude économique faussement prometteuse, il n’avait donc, en aucune façon, fait entrer la rentabilité économique de l’opération dans le champ contractuel (comp., dans le même sens, Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-16.617, inéd. : si le bon de commande garantissait aux consommateurs un rendement à hauteur de 90 % sur vingt-cinq ans, il ne comportait pas de précisions chiffrées engageant le vendeur en sorte que, la rentabilité économique n'était pas entrée dans le champ contractuel). 

Le couple de consommateurs devait ainsi être débouté de sa demande d’annulation des contrats pour dol. 

Références :

■ Com. 31 mars 2005, n° 03-20-096 P: D. 2006. 2082, note C. Boulogne-Yang-Ting

■ Civ. 3e, 27 avr. 2017, n° 16-15.560 

■ Civ. 3e, 4 oct. 2011, n° 10-20.956D. 2011. 3052, note N. Dissaux ; ibid. 2012. 459, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; ibid. 577, obs. D. Ferrier

■ Com. 10 juin 2020, n° 18-21-536 P: AJ contrat 2020. 447, obs. N. Dissaux

 Com. 25 juin 2013, n° 12-20.815 P

■ Com. 5 janv. 2016, n° 14-11.624https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CASS_LIEUVIDE_2016-01-05_1411624

■ Com. 21 oct. 2014, n° 13-11.186: AJCA 2015. 44, obs. A. Lecourt

■ Com. 2 oct. 2019, n° 17-14.423RTD civ. 2020. 85, obs. H. Barbier

■ Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-16.617

 

Auteur :Merryl Hervieu

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