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Droit de la responsabilité civile
Réparation du préjudice moral de la famille indirecte de la victime
Les ayants droit, même éloignés, n’ont pas à apporter la preuve de liens affectifs particuliers qui les unissaient à la victime principale pour obtenir la réparation de leur préjudice d’affection, si son caractère personnel, direct et certain est admis.
A la suite du meurtre d’une adolescente, la mère, le beau-père ainsi que les deux sœurs de la victime avaient saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (la CIVI), laquelle leur avait alloué diverses sommes en réparation de leurs préjudices, notamment moraux. L'auteur de l'infraction avait ensuite été condamné par le juge pénal à les indemniser en réparation de leur préjudice moral et à verser également, au titre de ce même poste de préjudice, à neuf autres membres de la famille qui s'étaient constitués parties civiles, dont les tante et oncles de la victime, ainsi que les cousines germaines de celle-ci. Devant le juge civil, l’indemnisation de ces membres éloignés de la famille de la victime fut d’abord confirmée, puis infirmée en appel au motif qu'il appartient aux personnes qui n'ont pas un lien familial direct avec la victime décédée d'apporter la preuve de la relation affective étroite qui les unissait à la défunte. Or en l’espèce, les quelques photographies produites ne permettaient pas, à elles seules, de caractériser des liens d'affection particuliers qui auraient uni les oncles et tante à leur nièce à l'époque de l'infraction, ainsi que les cousines de la victime, respectivement âgées de 6 à 11 ans au moment du drame, qui ne partageaient donc pas nécessairement les jeux ou activités de leur aînée, alors âgée de 16 ans. Ces derniers formèrent un pourvoi en cassation, soumettant donc à la Cour la question des conditions auxquelles, en cas de décès de la victime principale, sa famille indirecte peut prétendre, en qualité de victime par ricochet, à la réparation de son préjudice d’affection. Au visa de l'article 706-3 du Code de procédure pénale (selon lequel toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non, qui présentent le caractère matériel d’une infraction, peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne lorsque ces faits ont entraîné la mort ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois), ainsi que du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond ayant violé le texte et le principe susvisés en trahissant l’objet de la preuve requise en cette matière, « la seule preuve exigible éta(n)t celle d'un préjudice personnel direct et certain ».
En cas de mort de la victime principale, la jurisprudence traditionnelle exigeait, pour reconnaître la qualité de victime par ricochet, qu’un lien de parenté ou d’alliance existât entre elle et le demandeur (Req., 2 févr. 1931). Cette position restrictive se fondait sur l’idée que l’obligation alimentaire n’existait qu’au profit des parents et alliés, et poursuivait également le but d’écarter l’indemnisation du concubin. Cette solution apparaissait néanmoins peu conforme à la logique gouvernant l’indemnisation du préjudice moral, l’affection éprouvée ne dépendant pas forcément de la nature familiale du lien unissant deux personnes. Partant, la réparation du préjudice d’affection n’avait pas à être subordonnée à l’existence d’un lien de droit préalable avec la victime directe. Tant inique qu’illogique, cette solution fut ainsi délaissée (Ch. mixte, 27 févr.1970, n° 68-10.276). Certaines juridictions du fond y restent néanmoins sensibles, comme en témoigne la décision ici rendue par la cour d’appel, jugeant qu’il appartient aux personnes qui n’ont pas un lien familial direct avec la victime principale d’apporter la preuve de la relation affective étroite qui les unissait à la défunte.
Pourtant, incompatible avec cette idée selon laquelle l’indemnisation des ayants droits éloignés devrait rester exceptionnelle et donc réservée à ceux pouvant justifier avoir eu une proximité affective particulière avec la victime directe, la jurisprudence contemporaine, bien plus libérale, admet par principe d’indemniser la victime par ricochet chaque fois que celle-ci parvient à prouver l’existence d’un préjudice certain et personnel (v. pour une gouvernante, Crim. 20 mars 1973, n° 72-90.866). Les juges apprécient donc désormais au cas par cas la réalité du préjudice allégué, sans exiger un lien de droit, qu’il soit de parenté ou d’alliance, préalable. En pratique cependant, seules les personnes appartenant au cercle familial restreint de la victime directe (enfants, parents, frères et sœurs, conjoint ou concubin) obtiennent généralement réparation, notamment parce qu’en fait, ils se pensent ou se savent en droit de la demander, contrairement à des membres plus éloignés, tels que ceux, oncles, tante et cousines, l’ayant en l’espèce sollicitée.
Comme permet de le rappeler la décision rendue par la juridiction d’appel, l’existence d’un lien de parenté ne suffit pas, toutefois, à obtenir réparation : en effet, en seront privés ceux qui, malgré l’existence objective de leur lien de parenté avec la victime, n’entretenaient avec elle aucune relation. A contrario, une personne extérieure au cercle familial de la victime pourra être indemnisée si elle prouve l’existence d’un lien d’affection particulier avec le défunt (v. aussi, pour une personne devenue extérieure, le cas d’un ex-conjoint, Crim. 1er avr. 2003, n° 01-82.908). Cette preuve n’a pas en revanche à être exigée d’un parent, même éloigné. Tel est l’enseignement de la décision rapportée. Sous la réserve d’une absence totale de relation entretenue avec la victime directe de son vivant, résultant d’un fort éloignement géographique, d’une mésentente ou d’un conflit, ce qui pourra justifier le refus du juge d’indemniser le demandeur, le préjudice, quand il est admis, ouvre droit à réparation de tous les proches qui en justifient et, notamment, aux membres de la famille indirecte de la victime. C’est la raison pour laquelle devait être cassé l’arrêt d’appel exigeant des « liens affectifs particuliers », alors que « la seule preuve exigible était celle d'un préjudice personnel direct et certain » (v. déjà, Civ. 2e, 16 avr. 1996, n° 94-13.613), en l’espèce établi par le sentiment de perte et de tristesse des demandeurs causé par le décès d’un membre de leur famille avec laquelle des relations, sans être étroites, existaient.
Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-15.827
Références
■ Req., 2 févr. 1931, DP 1931, 1, 38, rapp. Pilon
■ Ch. mixte, 27 févr. 1970, n° 68-10.276 P
■ Crim. 20 mars 1973, n° 72-90.866 P
■ Crim. 1er avr. 2003, n° 01-82.908
■ Civ. 2e, 16 avr. 1996, n° 94-13.613 P : D. 1997. 31, obs. P. Jourdain ; RTD civ. 1996. 627, obs. P. Jourdain
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