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[ 22 mai 2023 ] Imprimer

Contrats spéciaux

Réparation et conservation du véhicule : le contrat de dépôt est l’accessoire du contrat principal d’entreprise

Le contrat de dépôt constitue l’accessoire du contrat d’entreprise conclu en vue de la réparation d’un véhicule, même sans accord de gardiennage.

Civ. 1re, 19 avr. 2023, n° 22-11.331

Un artisan taxi avait acquis auprès d’un garagiste un véhicule d’occasion bénéficiant de la garantie constructeur. Trois ans plus tard, à la suite d’une panne, le véhicule avait dû être remorqué et immobilisé chez le garagiste. L’acquéreur avait signé un devis en vue du désassemblage du moteur pour constater les dommages et de la réalisation d’un devis de remise en état. Le constructeur avait refusé la prise en charge des réparations et l’acquéreur avait alors laissé son véhicule immobilisé chez le garagiste, lequel l’avait informé qu’il allait appliquer des frais de gardiennage. L’acquéreur assigna le garagiste afin d’obtenir la prise en charge des réparations au titre de la garantie contractuelle et l’indemnisation des préjudices liés à un manquement du garagiste à son obligation de réparation. Ses demandes ont été rejetées. Le garagiste, quant à lui, sollicita le paiement de la somme correspondant à son intervention au titre des réparations ainsi que des frais de gardiennage. La cour d’appel rejeta cette dernière demande, considérant qu’aucun contrat de gardiennage n’avait été conclu. Ainsi le garagiste ne pouvait-il réclamer le paiement des frais de parking dont ni le principe ni le montant n’avaient été acceptés par l’acquéreur et dont le caractère contractuel n’était pas démontré. En effet, selon les juges d’appel, le garagiste ne démontrait pas avoir porté à la connaissance de l’acquéreur ses conditions contractuelles relatives aux frais de gardiennage au moment où le véhicule avait été remorqué dans ses locaux. Devant la Cour de cassation, le garagiste faisait valoir que l’acquéreur ayant signé un devis pour faire désassembler le moteur dans ses locaux l’obligeant à payer le prix de cette prestation, un contrat d’entreprise avait été conclu entre les parties, dont le contrat de dépôt du véhicule était l’accessoire, indépendamment de tout accord de gardiennage. Adhérant à la thèse du pourvoi, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article 1915 du Code civil, qui définit le contrat de dépôt comme « l’acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de le garder et de la restituer en nature ». Elle rappelle qu’il résulte de ce texte que « le contrat de dépôt d’un véhicule auprès d’un garagiste existe, en ce qu’il est l’accessoire du contrat d’entreprise, indépendamment de tout accord de gardiennage ».

■ Eléments essentiels et accessoires du contrat – Au sein du contenu du contrat, il convient, dans le prolongement de la pensée romaine, de distinguer les éléments essentiels du contrat, sans lesquels celui-ci ne saurait accéder à la qualification juridique, les éléments naturels caractéristiques de l’opération contractuelle mais qu’une stipulation peut écarter et, enfin, les éléments accidentels, c’est-à-dire accessoires du contrat. Apparemment secondaires, ces derniers se retrouvent pourtant parfois étroitement liés à l’obligation principale, ou caractéristique, du contrat spécial, en vertu de la maxime accessorium sequitur principale.

■ L’affectation de l’accessoire au principal – Alors qu’une conception purement quantitative de l’accessoire suppose de considérer les éléments accessoires du contrat comme purement secondaires, insignifiants et partant, sans incidence sur la qualification et le régime du contrat considéré, une conception qualitative de l’accessoire est également retenue en jurisprudence comme en doctrine. Celle-ci conduit à prendre en compte le rapport entre l’accessoire et le principal qu’exprime l’adage précité (accessorium sequitur principale). L’accessoire est « affecté au service du principal ». Son but immédiat est de servir ce principal auquel il s’ajoute en lui apportant un complément. Le rapport hiérarchique entre les éléments principaux et accessoires du contrat ne tient donc pas, comme dans la conception quantitative, à une différence de valeur, mais « à la manière dont l’accessoire vient s’ajouter au principal » ; il est à son service (P. Puig, Contrats spéciaux, Dalloz, 8e éd., 2019, n°33 s.).

« La prépondérance du principal par rapport à l’accessoire apparaît au niveau des buts qui leur sont fixés : le principal poursuit une certaine fin. C’est ce but qui est essentiel et qu’il importe d’atteindre. C’est pour faciliter la réalisation de cet objectif qu’un accessoire est adjoint au principal. L’ensemble formé par la réunion du principal et de l’accessoire vise alors le but qui était déjà celui du principal seul. L’accessoire a donc en définitive la même fin que le principal mais il ne peut atteindre ce but qu’indirectement, au travers du principal dont le service est son but direct » (G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, 1969, n°20).

Soulevant un enjeu majeur de qualification, cette conception qualitative de la règle de l’accessoire trouve en droit des contrats spéciaux plusieurs illustrations, notamment à propos du contrat de garage.

■ Contrat de garage : l’alternative du dépôt et de l’entreprise – L’hypothèse de l’espèce du propriétaire d’un véhicule qui confie ce dernier à un garagiste en vue d’une réparation ou d’une révision soulève un problème de qualification. Dans la mesure où il n’est pas rare que le véhicule soit confié au garagiste pour un temps excédant le temps nécessaire à la réparation, le garagiste se trouve dans ce cas tenu de surveiller et de conserver la chose comme un dépositaire. Le contrat d’entreprise devient-il pour autant un contrat de dépôt ? Si la figure du contrat mixte est parfois suggérée, préférence est généralement donnée à une qualification unitaire du contrat par la règle de l’accessoire. Cette orientation est, au demeurant, parfaitement justifiée par la finalité du contrat : le propriétaire escompte la réparation de son véhicule, non sa restitution à l’identique comme dans un contrat de dépôt classique. La conservation et la surveillance sont donc au service de la réparation, non l’inverse. La garde n’est qu’un moyen de fournir le service final recherché par la conclusion du contrat d’entreprise. Le dépôt est alors nécessairement l’accessoire de l’opération entreprise.

■ Dépôt accessoire au contrat d’entreprise – Ainsi, en concluant un contrat d’entreprise en vue de la réparation du véhicule par un garagiste, les parties avaient en l’espèce également conclu un contrat de dépôt, ce qui impliquait pour le propriétaire du véhicule l’obligation de payer les frais de gardiennage. La solution n’est pas nouvelle. Partant du postulat que l’existence d’un contrat d’entreprise portant sur une chose remise à l’entrepreneur n’exclut pas que celui-ci soit aussi tenu des obligations du dépositaire, la Cour de cassation reconnaît depuis longtemps l’existence d’un contrat de dépôt d’un véhicule auprès du garagiste réparateur, en ce qu’il est l’accessoire au contrat d’entreprise, indépendamment de tout accord de gardiennage (Civ. 1re, 11 juill. 1984, n° 83-13.754 ; Civ. 1re, 8 oct. 2009, n° 08-20.048 ; Civ. 1re, 5 avr. 2005, n° 02-16.926). Partant, même non expressément conclu, un contrat de dépôt liant, à titre accessoire, les parties au contrat principal d’entreprise, fondait en l’espèce le droit du garagiste de demander le règlement des frais de gardiennage qu’il avait exposés. Point de contrat mixte donc, mais un régime partiellement emprunté au contrat de dépôt sur le fondement de la règle de l’accessoire.

Références :

■ Civ. 1re, 11 juill. 1984, n° 83-13.754 P

■ Civ. 1re, 8 oct. 2009, n° 08-20.048 P : D. 2010. 480, obs. X. Delpech, note C. Mouly-Guillemaud.

■ Civ. 1re, 5 avr. 2005 n° 02-16.926 P : D. 2005. 1049 ; RTD com. 2006. 185, obs. B. Bouloc.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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