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[ 24 janvier 2017 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Réparation intégrale de la perte d’une chance

Mots-clefs : Avocat, Faute, Perte de chance, Caractérisation, Indemnisation, Droit, Frais exposés, Réparation intégrale

Toute perte de chance ouvre droit à réparation et l’ensemble des frais engagés par la cliente d’un avocat en raison de la faute de ce dernier doivent être indemnisés.

Un avocat avait commis la faute de ne pas produire les pièces requises par un juge-commissaire pour faire admettre la créance de sa cliente au passif de la liquidation judiciaire ouverte après le décès de son concubin. Cherchant à engager la responsabilité civile professionnelle de son avocat, sa cliente, ayant par la suite consulté deux autres conseils pour finalement confier son dossier à un troisième, avait finalement obtenu l'admission de sa créance en cause d'appel mais vu, quoique la faute de son avocat ait été établie, le montant de son préjudice limité et la perte de chance consécutive à cette faute écartée. Les juges du fond avaient, en effet, estimé que la cliente n’était pas parvenue à démontrer que les fautes commises par son avocat lui avaient fait perdre une chance réelle et sérieuse d'avoir pu obtenir, ne serait-ce que partiellement, le remboursement de sa créance et que l’indemnisation de son préjudice devait être cantonné au montant des seuls honoraires versés à son avocat, à l'exclusion des divers frais de consultation, de constitution de dossier et de plaidoirie en appel.

La Haute juridiction censure l'arrêt d'appel au motif que, quoique la requérante ait fini par obtenir l'inscription de sa créance au passif de son débiteur, la perte de chance consécutive à la faute de son premier avocat était bien indemnisable, toute perte de chance ouvrant droit à réparation, et que son indemnisation devait être totale, au regard de l'absence de diligence de l'avocat fautif, laquelle l’avait contrainte à engager des frais supplémentaires pour parvenir à l'accueil de sa prétention. 

La chance est la probabilité que survienne un événement favorable. La jurisprudence accepte d’indemniser la chance perdue par la victime qu’un événement futur favorable ait pu lui profiter dès lors que la survenance de cet événement n'était pas simplement hypothétique, mais réelle et sérieuse. Les juges du fond sont donc conduits à apprécier le caractère réel et sérieux de la chance perdue invoquée par la victime, sans lequel celle-ci ne peut être réparée. Lorsque, comme dans l’affaire rapportée, les événements invoqués sont proches dans le temps (G. Durry, obs., RTD civ. 1976, p. 778) et qu’en outre, la victime avait entrepris des démarches de nature à favoriser la réalisation de l'événement empêché, les juges se montrent généralement enclins à considérer la réalité de la perte de chance alléguée par la victime. En effet, l'indemnisation de la perte d'une chance ne déroge pas au principe de certitude du dommage, lequel réside ici dans la certitude « de l'interruption du processus de chance » (C. Ruellan, La perte de chance en droit privé ; RRJ 1999, p.740, n° 26).

En l’espèce, la perte de chance d’avoir pu intervenir dans le cadre d’une instance devait être indemnisée dès lors qu’il était démontré que l’action qui n’avait pu être engagée présentait une chance raisonnable d’aboutir, ce que la victime avait su démontrer en justifiant avoir été privée de la chance réelle et sérieuse d’avoir pu obtenir, ne serait-ce que partiellement, le remboursement de sa créance. Si une fois caractérisée, la perte de chance est indemnisable, l'indemnisation de la chance perdue ne doit cependant pas se confondre avec le bénéfice que la victime aurait retiré de la survenance de l'événement favorable. La chance étant par nature aléatoire, la réparation de la perte d'une chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut jamais être égale à l'avantage qu'elle aurait procuré si elle s'était réalisée (Civ. 1re, 27 mars 1973, n° 71-14.587 – Com., 19 oct. 1999, 97-13.446 - Civ.1re, 4 nov. 2003, n° 02-17.063).

L’aléa pris en compte, l’étendue de l’indemnisation dépend donc des chances de succès qu'avait la victime, cette appréciation relevant du pouvoir souverain des juges du fond. Les dommages-intérêts ne doivent donc représenter qu'une fraction, plus ou moins importante selon la probabilité de sa réalisation, de l'avantage escompté. La Cour de cassation casse donc systématiquement toutes les décisions du fond qui font correspondre l’indemnisation à la totalité du gain espéré. Ainsi, en cas de faute de l'avocat dans la conduite du procès, il n'est pas possible d'indemniser son client comme s'il avait gagné le procès (Civ. 1re, 9 avr. 2002, n° 00-13.314). Cependant, la nécessité de prendre en compte l’aléa pour moduler l’indemnisation signifie uniquement que cette dernière ne doit prendre en compte qu'une fraction de l'avantage espéré, mais nullement que le préjudice n'a pas à être intégralement réparé. Le principe de la réparation intégrale s'applique en effet à la perte de chance, qui constitue un préjudice distinct (la chance perdue) de celui relatif à la réalisation de l'événement qui, lui, ne sera pas réparé puisqu'il ne s'agit pas d'un préjudice certain (Civ. 1re, 4 avr. 2001, n° 98-23.157). La perte d'une chance, en tant que préjudice indemnisable, doit donc être réparée intégralement. Ainsi les juges ne peuvent-ils pas se contenter d’allouer à la victime une simple indemnité forfaitaire (Civ. 1re, 22 oct. 1996, n° 94-19.828). Enfin, la Cour de cassation juge inopérant le motif avancé par les juges du fond pour refuser d’indemniser la victime des autres frais d’avocat qu’elle avait engagés, lesquels lui auraient permis de triompher dans sa prétention en cause d’appel ; au contraire, ces frais, engagés inutilement par la faute de son premier avocat, sont en lien de causalité direct avec celle-ci, et ouvrent droit, également, à une réparation intégrale du préjudice ainsi subi.

Civ.1re, 14 décembre 2016, n°16-12.686

Références 

■ Civ. 1re, 27 mars 1973, n° 71-14.587

■ Com., 19 oct. 1999, n° 97-13.446 PD. 2001. 624, obs. J.-L. Navarro ; RTD com. 2000. 120, obs. C. Champaud et D. Danet

■ Civ.1re, 4 nov. 2003, n° 02-17.063

■ Civ. 1re, 9 avr. 2002, n° 00-13.314 P, D. 2002. 1469, et les obs.

■ Civ. 1re, 4 avr. 2001, n° 98-23.157 P, D. 2001. 1589, et les obs.

■ Civ. 1re, 22 oct. 1996, n° 94-19.828 P

 

Auteur :M. H.


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