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Droit des obligations
Réparation intégrale du dommage : interdiction que la victime en profite !
En application du principe de la réparation intégrale, la victime d'un dommage ne peut obtenir deux indemnisations distinctes pour le même préjudice.
Civ. 2e, 16 déc. 2021, 19-11.294
Les parents d’une enfant atteinte d'une sclérose en plaque et se déplaçant en chaise roulante, avaient saisi le juge des référés afin d’enjoindre leur voisin de cesser l’obstruction d’un passage situé aux abords de leur maison d’habitation, son encombrement empêchant leur fille d’y accéder dans des conditions adaptées à son handicap.
Par ordonnance du 18 septembre 2014, confirmée en appel le 2 juin 2016, le juge des référés d’un tribunal de grande instance avait ordonné à leur voisin de remettre en état le passage litigieux sous astreinte. Par jugement du 24 octobre 2017, le juge de l'exécution avait liquidé l'astreinte à la somme de 18 000 euros et condamné le voisin récalcitrant à payer aux requérants la somme de 1 000 euros pour résistance abusive et une autre de 2 000 euros au titre de leurs préjudices de jouissance, d'agrément et moral.
Devant la Cour de cassation, le voisin fautif soutint que la cour d’appel a violé l'ancien article 1382 du Code civil (C. civ., art. 1240) et méconnu le principe de la réparation sans profit pour la victime en l’ayant condamné à payer à la fois aux requérants une première somme de 2 000 euros au titre de leur entier préjudice, résultant de l'impossibilité de recevoir leur fille dans des conditions adaptées à son handicap et des atteintes illicites portées à leur droit, ainsi qu’une seconde somme de 1 000 euros « pour résistance abusive », au prétexte que son comportement aurait démontré sa volonté de « continuer à nuire aux requérants », dès lors que le contentieux existait depuis de nombreuses années et s'était juridiquement soldé, en première instance comme en appel, à l'avantage des époux.
Cet argumentaire emporte l’adhésion de la Cour de cassation qui, au visa de l’article 1240 du Code civil et du principe de réparation intégrale sans perte ni profit la victime, rappelle que celle-ci ne peut obtenir deux indemnisations distinctes en réparation du même préjudice.
Commun aux deux ordres de responsabilité, contractuelle et extracontractuelle, le principe de la réparation intégrale du dommage commande de ne réparer que le préjudice subi par la victime sans qu'il n'en résulte, pour elle, ni perte, ni profit (Civ. 2e, 9 nov. 1976, n° 75-11.737 : « Attendu que l'auteur d'un dommage est tenu à la réparation intégrale du préjudice causé, de telle sorte qu'il ne puisse y avoir pour la victime ni perte ni profit »). Autrement dit, l'indemnisation doit réparer tout le dommage mais rien que le dommage. La réparation doit être intégrale sans excéder le montant du préjudice. Plus particulièrement, dans le cadre de la responsabilité délictuelle, naît dans le patrimoine de la victime au jour où elle subit un dommage une créance en réparation, qui doit être évaluée au jour du jugement définitif. L’indemnisation qui résulte de la liquidation de sa créance a pour objectif de replacer aussi exactement que possible la victime dans l’état où elle se trouvait avant que cet état fût atteint par le dommage survenu. En effet, par principe, la responsabilité civile a pour finalité de replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit sans qu'il en résulte donc pour elle ni perte, ni profit.
De cette règle découle, en premier lieu, une obligation de réparation intégrale sans perte pour la victime. Cette obligation signifie, d’une part, que tous les préjudices subis par la victime doivent être pris en considération dès lors qu'ils présentent les caractères juridiquement requis pour être réparables. D’autre part, que chacun de ces préjudices indemnisables doit être entièrement réparé, l'étendue de la réparation se mesurant, dans cette perspective, à l'aune exclusive du dommage réparable, sans prise en compte, par exemple, de la gravité de la faute commise par le défendeur (Cass. civ., 26 mai 1913), des situations de fortune respectives de la victime et du responsable (Crim., 17 déc. 1970, n° 69-93.478), ou encore des prédispositions de la victime au dommage (Civ. 2e, 15 déc. 1986, n° 85-15.516).
De cette même règle découle en second lieu, une obligation de réparation intégrale sans profit pour la victime, comme le rappelle le présent arrêt. L'indemnisation doit réparer tout le dommage mais rien que le dommage : si la réparation doit être égale à la totalité du préjudice, elle ne doit cependant pas le dépasser (Crim. 3 déc. 1985, n° 84-92.660 ; Civ. 2e, 6 janv. 1988, n° 86-16.192). En d’autres termes, le principe de la réparation intégrale ne peut justifier que l’indemnisation allouée excède le montant du préjudice considéré. La réparation ne doit donc jamais être supérieure au dommage réparable. Plus particulièrement, et en conséquence, le juge ne peut réparer deux fois le même préjudice (v. déjà, Civ. 1re, 20 nov. 1990, n° 87-19.564). Autre interdiction faite au juge à ce titre, ce dernier ne peut ordonner une mesure de réparation en nature allant au-delà du simple rétablissement du statu quo ante (Com. 9 mars 1993, n° 91-14.685 ; 5 mai 2015, n° 14-11.148). Or en l’espèce, les juges du fond avaient retenu d’un côté la volonté du voisin de « continuer à nuire aux requérants », le condamnant à ce titre à leur payer la somme de 1 000 euros pour résistance abusive, et d’un autre côté pris en compte, « de manière plus générale », leur entier préjudice né du fait qu’ils avaient « continué à subir régulièrement des atteintes illicites à leurs droits ».
Ainsi leur décision conduisait-elle à les indemniser deux fois du même préjudice. Plus encore, l’astreinte, liquidée à la hauteur de 18 000 euros, visait précisément à vaincre la résistance du débiteur pour l'inciter à appliquer la décision du premier juge et donc à faire cesser le dommage par une coercition d’ordre pécuniaire, qui suffisait en la circonstance à satisfaire l’exigence d’une réparation intégrale du préjudice alors que la réparation allouée par les juges du fond, opérant un doublon d’indemnisation, se révélait supérieure au dommage réparable.
Références :
■ Civ. 2e, 9 nov. 1976, n° 75-11.737 P.
■ Cass. civ., 26 mai 1913 : D. 1916, I, p. 171.
■ Crim., 17 déc. 1970, n° 69-93.478 P.
■ Civ.2e, 15 déc. 1986, n° 85-15.516 P.
■ Crim. 3 déc. 1985, n° 84-92.660 P.
■ Civ.2e, 6 janv. 1988, n° 86-16.192 P.
■ Com. 9 mars 1993, n° 91-14.685 P : D. 1993. 363, note Y. Guyon ; Rev. sociétés 1993. 403, note P. Merle ; RTD com. 1994. 617, étude D. Tricot.
■ Com. 5 mai 2015, n° 14-11.148 P : D. 2015. 1151 ; RTD com. 2015. 584, obs. B. Bouloc.
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