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[ 29 janvier 2020 ] Imprimer

Droit du travail - relations collectives

Représentation équilibrée des candidatures au CSE : la Cour de cassation fixe les lignes directrices

Depuis le 1er janvier 2020, le CSE a définitivement remplacé les DP, CE et CHSCT. Toutes les listes de candidats ont dû respecter la loi du 17 août 2015 imposant une représentation équilibrée des femmes et des hommes. Confrontée à différentes questions portant sur la méthode de calcul et ses enjeux, la chambre sociale a décidé de regrouper leur examen au cours d’une audience thématique donnant lieu à une série d’arrêts le 11 décembre 2019. 

I : La méthode de calcul

Le législateur impose désormais que les listes de candidats au CSE reflètent le genre du corps électoral. Aussi, le nombre de candidatures de chaque sexe doit correspondre à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale (C. trav., art. L. 2314-30). L’interprétation de ce texte est à l’origine d’un important contentieux. Il faut tout d’abord préciser qu’il ne s’applique évidemment pas si un seul siège est à pourvoir. Le choix entre un homme ou une femme est alors entièrement libre. Les difficultés n’apparaissent que lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir. Le calcul de proportionnalité oblige généralement à arrondir le score pour identifier le nombre de candidatures féminines et masculines. La loi précise qu’il faut arrondir à l'entier supérieur en cas de décimale supérieure ou égale à 5 et arrondir à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5. Ce système peut aboutir à ce qu’un sexe ne soit pas du tout représenté. Ainsi, si la liste électorale comprend 89 % d’hommes et 11 % de femmes pour deux postes à pourvoir, le calcul aboutit à 1,78 candidatures masculines, arrondies à 2 et 0,22 candidatures féminines arrondies à 0 (Soc. 11 déc. 2019, Faurecia, n° 18-26.568). Dans ce cas de figure, suite à une réserve du Conseil Constitutionnel (n° 2017-686 QPC du 19 janv. 2018), le législateur est venu précisé que « les listes de candidats pourront comporter un candidat du sexe qui, à défaut ne serait pas représenté » (C. trav., art. L. 2314-30). La difficulté consiste alors à identifier les options laissées à l’organisation syndicale, en particulier lorsqu’elle ne trouve pas de candidats des deux sexes. Ces options sont différentes selon que l’un des sexes est ultra-minoritaire ou que les deux sexes ont vocations à être représenté.

Hypothèse où l’un des sexes est ultra-minoritaire

Dans un arrêt du 9 mai 2018 (n° 17-14.088), la Cour de cassation a fortement limité la liberté syndicale en interdisant les listes comportant un nom unique lorsque plusieurs mandats sont à pourvoir. Selon la Cour, « deux postes étant à pourvoir, l'organisation syndicale était tenue de présenter une liste comportant nécessairement une femme et un homme, ce dernier au titre du sexe sous-représenté ». L’arrêt Faurecia (n° 18-26.568) revient sur cette lecture stricte. Lorsque l'application des règles de l'arrondi conduit à exclure totalement la représentation de l'un ou l'autre sexe, « les listes de candidats peuvent comporter un candidat du sexe sous-représenté, sans que les organisations syndicales y soient tenues ». D’obligatoire, la présentation d’une candidature du sexe ultra-minoritaire devient facultative. Ces règles sont qualifiées d’ordre public absolu et le protocole d’accord pré-électoral ne peut donc pas y déroger. En l’espèce, il n’y avait que deux mandats à pourvoir et les femmes ne représentaient que 11 % du collège, ce qui aboutit, en vertu de l’arrondi, à 0 candidature féminine. La Cour de cassation ouvre alors trois options aux organisations syndicales : présenter deux candidats du sexe majoritairement représenté, présenter un candidat de chacun des deux sexes, présenter un candidat unique du sexe surreprésenté. Dans un autre arrêt (Triverio Construction n° 19-10.855 du 11 déc. 2019), 6 mandats étaient à pourvoir et les femmes représentaient 4 % de la liste électorale, soit 0,24 candidatures féminines arrondies à 0. L’organisation syndicale avait présenté une candidature unique masculine et ce choix est donc validé par la Cour de cassation.

Mais cette ouverture est strictement limitée aux hypothèses où l’un des sexes est ultra-minoritaire et n’a donc droit à aucun candidat parce qu’il est en dessous de 0,5. Lorsque le score est égal ou supérieur à 0,5, les solutions diffèrent. 

Hypothèse où les deux sexes ont vocation à être représenté

Les marges de manœuvre des organisations syndicales sont inexistantes si deux mandats sont à pourvoir et limitées dans les autres situations.

Lorsque deux mandats sont à pourvoir et que chaque sexe a vocation à être représenté en vertu des règles de calcul, l’organisation syndicale n’a pas le choix, la parité s’impose. Dans l’arrêt Locanor (n° 18-23.513 du 11 déc. 2019), deux postes étaient à pourvoir et les femmes représentaient 30,56 %, soit 0,6 candidatures féminines arrondies à 1. Une organisation syndicale avait présenté une liste composée d’un seul candidat masculin. Cette solution est censurée. Le sexe sous-représenté doit obligatoirement figurer sur la liste. L’organisation syndicale ne peut pas présenter une candidature unique, la liste incomplète est donc interdite. En revanche, lorsque plus de deux mandats sont à pourvoir, la question des listes incomplètes devient beaucoup plus épineuse. Précisons tout d’abord que la présentation d’un seul n’est pas possible dès lors que le score théorique ouvre droit à une représentation de chaque sexe. Ainsi, pour 3 mandats à pourvoir, il faut au moins un homme et une femme (Soc. 11 déc. 2019, Lebronze-Alloys n° 18-19379). L’organisation syndicale doit donc présenter plusieurs candidats. Toutefois, elle peut être incomplète. Pour 5 mandats à pourvoir, la liste peut comprendre 2, 3, 4 ou 5 candidats. Toutefois, la Cour de cassation exige que la liste reflète tout de même le genre du corps électoral. Le syndicat doit respecter les proportions d'hommes et de femmes en fonction du nombre de candidats qu'il présente. Il faut donc procéder à un nouveau calcul au regard du nombre de candidatures figurant sur la liste. Si 5 mandats sont à pourvoir et que les hommes représentent 68,87 % du corps électoral, les femmes 36,13% mais que le syndicat ne présente que 4 candidats, ces pourcentages doivent s’appliquer au nombre de candidatures. La liste avec 4 candidatures doit comprendre 2,75 candidatures masculines arrondies à 3 et 1,45 candidatures féminines arrondies à 1 (Soc. 17 avr. 2019, n° 17-26.724). Or dans l’arrêt Fiducial (11 déc. 2019, n° 19-10.826), 4 mandats sont à pouvoir. Les femmes représentent 85 % soit 3,4 candidatures féminines arrondies à 3. Les hommes représentent 15 % soit 0,6 candidatures masculines arrondies à 1. Une liste complète comprendrait donc nécessairement un homme. L’organisation syndicale fait le choix de présenter une liste incomplète avec 2 candidatures. Si on procède au recalcul, 2 candidatures rapportées à 85 % aboutit un score de 1,7 arrondi à 2. A ce titre, le syndicat estimait pouvoir présenter deux candidatures féminines. Cette analyse est réfutée par la Cour de cassation au motif que les règles de mixité des candidatures sont d’ordre public absolu. Dès lors que le calcul théorique ouvre droit, pour une liste complète, à un représentant de l’un et l’autre sexe, la liste syndicale incomplète doit nécessairement comprendre au moins un homme et une femme. 

Si ce système complexe demeure contraignant pour les organisations syndicales, cette série d’arrêts révèle la volonté de la Cour de cassation de trouver un compromis entre l’exigence légale de mixité des candidatures et les difficultés pratiques des syndicats de trouver des candidats. Il serait en effet regrettable que les règles de mixité aboutissent à appauvrir la présence syndicale dans les entreprises voire à des PV de carence, faute de pouvoir constituer des listes. Les solutions de la Cour de cassation relatives au sexe ultra-minoritaire ou aux listes incomplètes ouvrent de réelles perspectives aux organisations syndicales.

                

 

En résumé : 

 

 

·       1 seul mandat à pourvoir = libre choix du sexe du candidat

 

 

·       2 mandats à pourvoir ET un calcul théorique qui ouvre droit à une candidature des deux sexes : liste incomplète impossible – un homme et une femme obligatoire

 

 

·       2 mandats à pouvoir ET un calcul qui n’ouvre pas droit à une candidature de l’un ou l’autre sexe : liste avec un nom unique du sexe majoritaire ou liste mixte ou liste avec deux candidatures du sexe majoritaire

 

 

·       3 mandats et plus à pourvoir : liste incomplète possible, recalcul au regard du nombre de candidature présentée MAIS au moins une candidature de chaque sexe si le calcul théorique pour une liste complète y ouvre droit.

 

II : Les enjeux

Divers arrêts du 11 décembre font également le point sur les conséquences de la présentation d’une liste irrégulière. Là encore, on constate une recherche de compromis de la part de la Cour régulatrice. Si certains arrêts se montrent inflexibles sur le respect des règles de mixité des candidatures, d’autres vont dans le sens d’une sécurisation du processus électoral et du respect de la liberté syndicale.

L’employeur, les organisations syndicales concurrentes, les candidats voire les salariés du collège concerné peuvent demander l’annulation du ou des mandats surnuméraires obtenus par une liste qui ne se conforme pas aux règles de calcul de mixité. Il en est de même du candidat élu mais mal positionné au titre de la règle d’alternance de présentation des deux sexes (C. trav., art. L. 2314-30). Certes, la Cour de cassation a admis qu’une liste comportant la bonne proportion d’hommes et de femmes mais ne respectant pas l’alternance dans l’ordre des candidats pouvait être validée si en définitive toute la liste était élue (Soc. 9 mai 2018, n° 17-60.133). Mais cette solution n’est pas transposable lorsque c’est le système des ratures sur la personne mal positionnée qui permet, a posteriori, de respecter l’alternance. L’arrêt Vente-privée (11 déc. 2019, n° 19-12.596) illustre cette question. Ainsi, une liste présentant Mme A, M. B, M. C et Mme D est irrégulière car elle ne respecte pas la présentation alternée de chaque sexe. A l’issue des élections, cette liste obtient deux mandats et, par le jeu des ratures, M. B est écarté (C. trav., art. L. 2314-29). Autrement dit, Mme A et M. C sont élus. L’employeur peut alors obtenir l’annulation du mandat de M. C car il était mal positionné sur la liste. Peu importe qu’au regard des résultats, la mixité soit satisfaite. La Cour refuse toute interprétation téléologique du texte. Cet arrêt révèle une nouvelle fois que l’obligation de présentation équilibrée des listes de candidats n’aboutit pas nécessairement à une représentation équilibrée des élus. 

En revanche, la cour régulatrice a conscience des enjeux d’une annulation des mandats. Aussi, ouvre-t-elle la porte à un contentieux pré-électoral. Le tribunal judiciaire peut désormais être saisi, avant l’élection, d’une contestation relative à la composition des listes de candidats ne respectant pas les exigences de mixité. Le juge peut alors déclarer la liste irrégulière. Il doit toutefois statuer avant l’élection, en reportant le cas échéant la date de l’élection pour permettre sa régularisation (Soc. 11 déc. 2019, Faurecia, n° 18-26.568). Reste à savoir si cette décision judiciaire permet de proroger automatiquement les mandats en cours. Toujours dans un souci de sécurisation des élections, la Cour de cassation reprend sa jurisprudence relative à la portée de la signature du protocole d’accord pré-électoral mais en l’étendant à la question de la représentation équilibrée. On sait que pour limiter le contentieux électoral, la Cour estime depuis longtemps qu’un syndicat qui a signé le protocole d’accord pré-électoral ou qui a présenté des candidats conformément à ce protocole sans faire de réserve n’est pas autorisé à contester ensuite le déroulement des élections (Soc. 19 sept. 2007, n° 06-60.222). La Cour reprend cette idée pour interdire à un syndicat signataire de présenter des candidatures en contradiction avec les règles de mixité prévues par le protocole. Dans l’affaire Vauban (11 déc. 2019, n° 18-20.841), le protocole d’accord préélectoral indiquait une proportion de 17,54 % de femmes pour 3 mandats à pourvoir, soit un score de 0,52 candidatures féminines arrondies à 1. Or la proportion indiquée dans le protocole était fausse et en réalité, les femmes représentaient 14 % soit 0,42 candidatures féminines arrondies à 0. Un syndicat avait donc respecté la loi en proposant une liste composée de 3 hommes. L’employeur contestait la régularité de cette liste car elle était contraire aux prescriptions du protocole d’accord préélectoral. Faisant prévaloir la loi, le tribunal avait débouté l’employeur. Cette solution est cassée au motif que l’organisation syndicale « avait signé sans réserve le protocole préélectoral ayant recueilli la double majorité et avait présenté des candidats aux élections sans émettre de réserves ». La solution parait surprenante alors que la Cour de cassation martèle que « les dispositions de l’article L. 2314-30 du code du travail étant d’ordre public absolu, le protocole préélectoral ne peut y déroger ». Il faut sans doute y voir une volonté d’imposer aux organisations syndicales un peu de cohérence afin d’éviter qu’elles ne jouent sur plusieurs tableaux selon les circonstances.

Enfin, un dernier arrêt entend limiter l’impact du non-respect des règles de mixité pour les candidats dont le mandat est annulé. L’élection ne sert pas seulement à identifier les titulaires d’un mandat au CSE, elle permet également d’identifier les salariés pouvant en priorité prétendre à un mandat de délégué syndical. Pour être désigné, il faut en effet avoir obtenu individuellement un score d’au moins 10 % sauf diverses exceptions mentionnées à l’article L. 2143-3 du Code du travail. Dans l’affaire Lebronze-Alloys précitée, l’organisation syndicale avait présenté une candidature unique alors que les règles de mixité imposaient au moins deux candidatures, de l’un et l’autre sexe. La salariée avait été élue et dans la foulée, désignée comme déléguée syndicale d’établissement et déléguée syndicale centrale. Son employeur avait obtenu l’annulation de son mandat au CSE et l’annulation de ses mandats syndicaux au motif que son score électoral devait être annihilé. Selon le tribunal, elle ne remplissait plus la condition de légitimité d’au moins 10 %. Cette solution est cassée par la Cour régulatrice, le non-respect des règles de mixité doit être sanctionné par l’annulation du mandat au CSE. En revanche, cette solution est sans effet sur le score électoral personnel requis pour prétendre à un mandat de délégué syndical. La solution, soucieuse du respect de la liberté syndicale et également particulièrement protectrice pour le salarié qui conserve ainsi un mandat et le statut protecteur qui en est assorti. 

Soc. 11 déc. 2019, Sté Lebronze-Alloys, n° 18-19.379  

Soc. 11 déc. 2019, Sté Vauban, n° 18-20.841 

Soc. 11 déc. 2019, Sté Locanor, n° 18-23.513 

Soc. 11 déc. 2019, Sté Faurecia intérieur industrie n° 18-26.568 

Soc. 11 déc. 2019, Sté Outsourcing Performance, n° 19-10.826 

Soc. 11 déc. 2019, Sté Triverio, n° 19-10.855 

Soc. 11 déc. 2019, Sté Vente-privée, n° 19-12.596 

Références

■ Cons. const. 9 janv. 2018, n° 2017-686 QPC : D. 2018. 119 

■ Soc. 9 mai 2018, n° 17-14.088 P : D. 2018. 1018 ; ibid. 1706, chron. N. Sabotier et F. Salomon ; Dr. Soc. 2018, p. 921 note F. Petit 

■ Soc. 17 avr. 2019, n° 17-26.724 P : D. 2019. 2153, obs. P. Lokiec et J. Porta

■ Soc. 9 mai 2018, n° 17-60.133 P :  D. 2018. 1018

■ Soc. 19 sept. 2007, n° 06-60.222 P : D. 2007. 2473, obs. B. Ines

 

Auteur :Chantal Mathieu


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