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Reprise des biens propres : précisions sur le régime applicable aux sommes d’argent
Aux termes de l'article 1467, alinéa 1, du Code civil, la communauté dissoute, chacun des époux reprend ceux des biens qui n'étaient point entrés en communauté, s'ils existent en nature, ou les biens qui y ont été subrogés. Il en résulte que, saisie d'une demande de reprise de sommes d'argent, la juridiction doit vérifier que celles-ci existaient encore et étaient restées propres à l'époux demandeur à la date de la dissolution de la communauté.
Civ. 1re, 2 mai 2024, n° 22-15.238
Pour la première fois, la première chambre civile statue sur le droit de reprise de deniers propres d’un époux lors de la dissolution de la communauté légale pour cause de divorce. Les opérations de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux à l’issue de leur divorce débutant par ce qu’il est convenu d’appeler « la reprise des propres », étape préalable à la détermination de la masse à partager comprenant l’actif et le passif de la communauté, les contours ici tracés de ce droit de reprise concernant des sommes d’argent arguées de propres sont d’un intérêt pratique évident, a fortiori face aux lacunes antérieures, tant jurisprudentielles que doctrinales.
Un couple marié le 9 avril 1983 sans contrat préalable avait obtenu le 27 septembre 2010 un jugement de divorce ayant par ailleurs fixé la date des effets patrimoniaux de la dissolution du lien matrimonial à la date du 13 novembre 2007. L’ex-épouse avait demandé à reprendre la somme de 22 867 euros reçue par donation de ses parents durant le mariage. Accueillant sa demande aux motifs qu’en l’absence de preuve par l’époux que cette donation avait été consentie au bénéfice des deux époux, le caractère propre des fonds transmis par donation à son ex-femme durant le mariage (1405 alinéa 1er) suffisait à admettre son droit de reprise, en sa qualité de donataire exclusive des sommes perçues, l’existence de la donation n’étant pas en elle-même contestée.
Le demandeur au pourvoi faisait grief à l’arrêt d’avoir accueilli la demande de son ex-épouse à reprendre cette somme sans constater que celle-ci ait été identifiable et qu’elle l’était restée au jour de la liquidation, alors que la reprise d’une somme propre versée sur un compte bancaire par un époux suppose que cette somme puisse être identifiée et qu’elle le demeure jusqu’au jour de la liquidation, en raison de la fongibilité de la monnaie et de la présomption de communauté ; selon le demandeur, la cour d’appel aurait ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles 1402 (qui fonde la présomption de communauté des biens des époux) et 1467 du Code civil (qui fonde le droit de reprise des biens propres).
Ainsi posait-il à la Cour de cassation une question de droit nouvelle : la reprise d’une somme d’argent arguée de propre, en application de l’article 1467, alinéa 1er, du Code civil, suppose-t-elle que ces fonds soient identifiables jusqu’à la dissolution de la communauté ?
La première chambre civile répond par l’affirmative, reprochant à la cour d’appel d’avoir admis le droit de reprise de l’épouse au seul motif du caractère propre des fonds considérés sans avoir constaté au surplus que les sommes d'argent dont la reprise était demandée existaient encore et étaient demeurées propres à l’épouse à la date de la dissolution de la communauté.
Mécanisme de reprise des propres - L’article 1467 alinéa 1er du Code civil dispose ainsi que « (l)a communauté dissoute, chacun des époux reprend ceux des biens qui n’étaient point rentrés en communauté s’ils existent en nature ou les biens qui y ont été subrogés ». C’est seulement ensuite qu’aura lieu, en application du second alinéa du même article, la liquidation de la masse commune, active et passive, de laquelle seront les biens repris qui n’ont pas à être partagés.
La reprise vise donc l’opération par laquelle chaque époux récupère ses biens propres, c’est-à-dire les biens acquis avant le mariage ou pendant le mariage par donation ou succession (C. Civ, art. 1404 et 1408). Elle a lieu au moment de la liquidation de la communauté.
Techniquement, la reprise consiste à extraire du patrimoine commun des époux les biens propres à chacun. Elle suppose ainsi d’identifier ceux des biens des époux qui leur sont restés propres, mais l’article 1467 du Code civil dispose en outre que ces biens propres doivent, au stade de la dissolution de la communauté, exister en nature dans le patrimoine des époux (sauf subrogation, le bien subrogé devant cependant lui-même exister en nature à la dissolution), dans la mesure où la reprise ne se fait jamais en valeur
Reprise en nature et deniers propres – La règle de la reprise en nature veut en principe que le bien existant à la dissolution de la communauté soit le même que celui ayant par exemple été donné à l’un des époux pendant le mariage, ou que l’époux possédait avant de se marier. En cas de bien immeuble ou de bien meuble corporel, l’application de cette règle se confondra en pratique avec la détermination du caractère propre ou non du bien originel en cause, lors de son entrée dans le patrimoine des époux : on examine les biens présents lors de la dissolution, et on détermine à qui ils appartiennent en faisant application des règles des articles 1402 à 1408 du Code civil. Si le bien existant à la date de la dissolution de la communauté a été donné à l’un des époux, il sera repris par le donataire par l’effet conjugué des articles 1405 et 1467. Si le bien existant a été acquis au moyen d’un autre bien donné à l’un des époux avec respect des formalités d’emploi ou de remploi, il sera également repris, car subrogé à un bien propre de l’un des époux. Mais comment appliquer cette règle s’agissant d’une somme d’argent ? La fongibilité de ce type de bien ne paraît pas compatible avec la condition d’existence en nature du bien repris, sauf à exiger que les deniers propres aient été identifiables et le soient restés en tant que tels jusqu’au terme du régime. C’est cette interprétation de l’article 1467 du Code civil qui conduit ici la Cour à s’opposer à ce qu’une somme d’argent puisse être reprise en nature du seul fait qu’une somme équivalente existe au moment de la dissolution de la communauté. La reprise d’une somme d’argent revendiquée comme un bien propre suppose que cette somme soit identifiable, depuis sa perception jusqu’à la dissolution, afin de pouvoir la distinguer clairement des deniers communs.
Double condition de la reprise des fonds propres - Pour renverser la présomption de communauté des fonds déposés sur le compte bancaire d’un époux (ces fonds étant présumés, dans les rapports entre époux, être des acquêts, v. Civ.1re, 9 juill. 2008, n° 07-16.545), il convient non pas simplement de démontrer qu’une somme d’argent d’un certain montant a été reçue en propre à l’un des époux, mais il est encore nécessaire de prouver que cette somme existe encore en qualité de propre au jour de la dissolution de la communauté, ce qui suppose que celle-ci soit identifiable depuis son entrée dans le patrimoine de l’époux jusqu’à la date de la liquidation.
Il en résulte que la reprise en propre d’une somme d’argent suppose d’établir, d’une part, une somme intrinsèquement propre, notamment par son origine, ce qui correspond au cas d’espèce d’une libéralité de somme d’argent consentie pendant le mariage mais au seul époux demandeur à la reprise ; d’autre part, la traçabilité des sommes reçues, par exemple en les isolant sur un compte dédié (comp., à propos de sommes déposées sur un compte commun aux deux époux, Civ. 1re , 4 mai 2011, n° 10-11.576). À défaut d’une telle traçabilité, c’est sur le terrain des récompenses que l’époux concerné devrait agir, et non sur celui des reprises, la communauté ayant, par l’encaissement de ces sommes, tiré profit de biens initialement propres mais qui ne le seraient plus au stade de la liquidation du régime. Lorsqu’une reprise en nature est demandée, la traçabilité des fonds suppose concrètement que ceux-ci aient été déposés sur un compte distinct de celui servant à assumer les charges du ménage, et soient restés intacts durant tout le mariage, ce qui revient en outre à vérifier leur usage (ex : fonds placés sur un livret d’épargne).
Exigence probatoire - Sur le plan de l’objet de la preuve, l’époux demandeur à la reprise ne peut donc se contenter d’établir avoir reçu des deniers en propres. Ainsi, en l’espèce, l’épouse ne pouvait reprendre la somme en rapportant la seule existence de la donation consentie à son profit, et l’existence de liquidités d’un montant équivalent aux deniers reçus en propre au moment de la dissolution : elle devait également démontrer la distinction de ces fonds propres des deniers communs, depuis leur perception jusqu’à la dissolution du régime. C’est la première fois que la solution est affirmée aussi nettement bien que dans le même sens, mais sans viser explicitement l’article 1467 du Code civil, la Cour de cassation a déjà approuvé une cour d’appel d’avoir considéré qu’un portefeuille de valeurs mobilières acquis par l’épouse et provenant de la succession de son père devait être inclus dans l’actif commun (et donc excluant en miroir toute reprise de propres), aux motifs que la distinction entre les titres acquis par succession et ceux acquis pendant la communauté, avant et après le règlement de la succession, était impossible à établir (Civ. 1re, 30 avr. 2014, n° 13-13.579, 13-14.234, Bull. 2014, I, n° 74).
Étendant cette solution rendue à propos de biens incorporels à la reprise d’une somme d’argent, la Cour de cassation exige d’individualiser les fonds argués de propres à la date de la dissolution, le risque afférent à cette preuve incombant au demandeur à la reprise (la preuve reposant, en raison de la présomption de communauté, sur celui qui invoque ce caractère propre (Civ. 1re, 17 oct. 2018, n° 17-26.713). La Cour de cassation en déduit l’obligation pour la juridiction du fond de vérifier l’administration de cette preuve. Or en l’espèce, aucun examen de la destinée des fonds n’avait été opéré par les juges d’appel pas plus que la vérification du fait qu’une telle somme serait existante à la date de la dissolution de la communauté. La cassation est alors prononcée.
Références :
■ Civ.1re, 9 juill. 2008, n° 07-16.545 : AJ fam. 2008. 438, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2009. 158, obs. B. Vareille
■ Civ. 1re, 4 mai 2011, n° 10-11.576
■ Civ. 1re, 30 avr. 2014, n° 13-13.579, 13-14.234 : D. 2015. 287, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2014. 383, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2015. 681, obs. B. Vareille ; ibid. 683, obs. B. Vareille
■ Civ. 1re, 17 oct. 2018, n° 17-26.713 : DAE, 22 nov. 2018, note Merryl Hervieu, D. 2018. 2137 ; AJ fam. 2018. 700, obs. P. Hilt
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