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Droit du travail - relations individuelles
Requalification de 769 CDD en un CDI à temps plein : modalités de calcul du rappel de salaire
Mots-clefs : CDD, Temps partiel, Requalification, Périodes interstitielles, Allocation d’assurance chômage
Le calcul des rappels de salaire consécutifs à la requalification de contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée, qui s'effectue selon les conditions contractuelles fixant les obligations de l'employeur telles qu'elles résultent de cette requalification, n'est pas affecté par les sommes qui ont pu être versées au salarié par l'organisme compétent au titre de l'assurance chômage.
769 : c’est le nombre de CDD successifs qu’un travailleur a conclu avec la société France Télévision pendant près de 26 ans ! Comme on le pressent, le salarié, chef opérateur son et vidéo, agit en requalification de ses CDD en un CDI. Cette demande ne pose pas de réelles difficultés et le salarié finit par obtenir 5000 euros au titre de la requalification et 95 000 euros pour licenciement injustifié devant la cour d’appel de Paris. Plus délicate est la question de la requalification en contrat à temps complet. Le salarié estime que l’ensemble de la relation de travail, requalifiée en un seul CDI, doit être aussi reconnu à temps plein, alors même que les différents CDD ne se sont pas succédé immédiatement et ont donc connu des périodes interstitielles. Qui plus est, il demande que les sommes qu’il a perçues au titre de l’assurance chômage entre les différents CDD ne soient pas prises en compte pour venir amoindrir le rappel de salaire. Il réclame en conséquence un rappel de salaire sur cinq ans de plus de 130 000 euros, congés payés inclus.
Si l’affaire est hors norme en elle-même, elle l’est aussi par la procédure à laquelle elle donne lieu. Ayant agi fin 2008, le salarié, dont le dernier contrat prit fin en 2009, obtient la requalification en CDI devant la cour d’appel de Paris le 15 février 2011. Débouté toutefois de sa demande de rappel de salaire pour travail à temps plein, il se pourvoit en cassation. La Haute juridiction annule alors l’arrêt d’appel par une décision en date du 9 janvier 2013 (n° 11-16.433). Saisie sur renvoi, la cour d’appel de Paris, autrement composée, se prononce le 26 novembre 2014. Après avoir alloué les indemnités au titre de la requalification en CDI, la cour d’appel de Paris reconnaît cette fois-ci le travail à temps plein. L’employeur ne souhaitant pas en rester là, l’affaire se retrouve à nouveau devant la Cour de cassation. Nous voici dès lors en présence d’un second arrêt de la Haute juridiction, rendu le 16 mars 2016 après 26 ans de carrière, 769 contrats à durée déterminée et plus de 7 ans de procédure !
La requalification en temps plein paraissait acquise depuis le premier arrêt de la Cour de cassation en date du 9 janvier 2013 (n° 11-16.433). Dès lors qu’il est admis qu’un seul contrat a lié les parties et que celui-ci ne prévoyait pas, faute d’écrit, la durée et la répartition du travail, la présomption de travail à temps plein ne peut être renversée par l'employeur qu’en rapportant la preuve que le salarié connaissait la durée de travail exacte, mensuelle ou hebdomadaire. En constatant au contraire que le salarié devait se tenir effectivement et constamment à disposition de l'employeur, pendant les périodes interstitielles, la cour d’appel de Paris a légalement justifié sa décision de requalification. Encore faut-il relever que la Cour de cassation n’évoque plus dans ce second arrêt de 2016 la présomption de travail à temps plein. Elle rejette le pourvoi en affirmant que la cour d’appel n’a pas inversé la charge de la preuve.
Dans un arrêt du 16 septembre 2015 (n° 14-16.277), la Cour de cassation a en effet abandonné la référence à la présomption de temps plein s’agissant des périodes interstitielles : c’est au salarié de démontrer qu’il s’est tenu à disposition de l’employeur pour obtenir un rappel de salaire sur ces périodes. Le présent arrêt du 16 mars 2016 semble confirmer implicitement cette analyse.
Mais son apport principal, qui lui vaudra publication au bulletin, réside dans les modalités de calcul du rappel de salaire suite à la requalification en un CDI à temps complet. La Cour de cassation approuve ainsi l’arrêt d’appel d’avoir admis comme principe de calcul que le rappel de salaire ne doit pas être affecté par les sommes perçues par le salarié au titre de l'assurance chômage entre deux CDD.
Comment justifier pareille exclusion ? La cour d’appel de Paris apporte la réponse suivante : « par le système de contrats à durée déterminée qui lui était appliqué, le salarié a consommé ses droits à allocation chômage au fil des années, perdant ainsi le bénéfice de ces droits alors que, s'il avait bénéficié ab initio d'un contrat à durée indéterminée, il aurait accumulé au fil des années des droits à allocations chômage qu'il aurait pu faire valoir dans leur intégralité, lors de la rupture de son contrat de travail ». L’argumentation paraît cohérente mais imposerait de constater concrètement l’écart entre les droits que le salarié aurait pu se constituer et ceux dont il a réellement bénéficié…
La Cour de cassation, quant à elle, se contente de relever que le calcul du rappel de salaire « s'effectue selon les conditions contractuelles fixant les obligations de l'employeur telles qu'elles résultent de cette requalification ». On comprend alors que seules les sommes déjà versées par l’employeur à titre de rémunération doivent être retenues. Mais les allocations chômage ne constituent-elles pas, selon le Code du travail lui-même, un « revenu de remplacement » ? La solution a en tout cas le mérite de la simplicité. Le salarié s’étant tenu à disposition de l’employeur, en application d’un contrat requalifié en CDI à temps plein, le salaire aurait dû être versé en contrepartie de toutes les périodes considérées. Reste que les sommes reçues au titre de l’assurance chômage pourraient être considérées comme indues et fonder une action en répétition …
Soc. 16 mars 2016, n° 15-11.396
Références
■ Soc. 9 janv. 2013, n° 11-16.433 P, D. 2013. 182 ; ibid. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2013. 576, chron. S. Tournaux.
■ Soc., 16 sept. 2015, n° 14-16.277 P, Dr. soc. 2016. 9, chron. S. Tournaux.
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