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Procédure civile
Requête en déféré : son délai de recevabilité n’empêche pas l’accès au juge
L'irrecevabilité frappant le déféré formé au-delà d’un délai de quinze jours ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge dès lors que les parties sont tenues de constituer un avocat.
Les dirigeants d’une société ainsi que la société, en qualité de personne morale, avaient relevé appel d’un jugement rendu par un tribunal de grande instance qui avait débouté la société appelante d'une demande dirigée contre une société tierce et condamné les appelants au paiement de diverses sommes au profit de cette société. Par une requête en date du 27 avril 2017 et remise au greffe le lendemain, les appelants avaient, dans le cadre de cette procédure d’appel, déféré à la cour d'appel saisie une ordonnance du conseiller de la mise en état, rendue le 5 avril 2017, ayant déclaré caduque la déclaration d'appel.
Au motif qu’il résulte des dispositions de l'article 916 du Code de procédure civile que les ordonnances du conseiller de la mise en état peuvent être déférées par simple requête à la cour dans les quinze jours de leur date lorsqu'elles ont pour effet de mettre fin à l'instance, la cour d’appel, après avoir constaté qu'il s'était écoulé 23 jours entre l'ordonnance et le recours, déclara la requête irrecevable pour cause de tardiveté.
Au soutien de leur pourvoi en cassation, les demandeurs affirmaient que les conditions de recevabilité d'un acte de procédure ne peuvent restreindre l'exercice du droit à un tribunal, dont le droit d'accès concret et effectif constitue un aspect au point de l'atteindre dans sa substance même, et qu’en conséquence, le délai imparti à un justiciable pour accomplir un acte conditionnant l'accès au juge ne peut courir à compter de la date d'un jugement que si le justiciable en a eu effectivement connaissance à cette date, ce qui n’avait pas été leur cas, l'ordonnance déférée ne leur ayant été notifiée que le 13 avril 2017.
La Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond et rejette le pourvoi. Rappelant qu'en application de l'article 916 précité, la requête en déféré doit être formée dans les quinze jours de la date de l'ordonnance du conseiller de la mise en état déférée à la cour d'appel, la deuxième chambre civile souligne que cette disposition poursuit un but légitime de célérité de traitement des incidents affectant l'instance d'appel, en vue du jugement de celui-ci dans un délai raisonnable, en sorte que l'irrecevabilité frappant le déféré formé au-delà de ce délai ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge dès lors que les parties sont tenues de constituer un avocat, professionnel avisé, en mesure d'accomplir les actes de la procédure d'appel, dont fait partie le déféré, dans les formes et délais requis.
« La requête en déféré est un acte de procédure qui s’inscrit dans le déroulement de la procédure d’appel », et non une voie de recours « ouvrant une instance autonome » (Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-23.992). Nécessairement intégrée à la procédure d’appel, sans laquelle elle ne pourrait être adressée, la requête en déféré est en conséquence soumise au régime des « actes accomplis par les parties dans la procédure d’appel avec représentation » (Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-18.361).
Elle se démarque cependant, sous plusieurs aspects, de l’appel ordinaire. Unique voie offerte à la contestation, selon l’article 916 du Code de procédure civile, de certaines ordonnances du conseiller de la mise en état (celles ayant pour effet de mettre fin à l’instance, celles constatant son extinction, celles ayant trait à des mesures provisoires en matière de divorce ou de séparation de corps, de celles statuant sur une exception de procédure ou un incident mettant fin à l’instance et enfin, celles prononçant l’irrecevabilité des conclusions en vertu des art. 909 et 910 C. pr. civ.), le déféré n’est pourtant pas considéré comme une véritable voie de recours, comme en atteste son absence de l’article 527, qui les énumère. Aussi bien, s’agissant des délais, celui ouvert pour déférer une ordonnance du conseiller de la mise en état est exorbitant (C. pr. civ., art. 916) et le point de départ de ce délai l’est également, comme le confirme ici la Cour de cassation (V. déjà Civ. 2e, 21 janv. 1998, n° 96-16.751), ce dernier étant fixé au jour du prononcé de l’ordonnance, les parties ne pouvant donc invoquer le fait qu’elles n’ont pas eu connaissance de la date de son prononcé. C’est précisément cette règle que contestaient les demandeurs au pourvoi, au nom du droit d’accès au juge garanti par l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Rappelons en effet le droit fondamental européen à toute personne d’avoir accès à un tribunal : « la prééminence du droit ne se conçoit guère sans la possibilité d’accéder aux tribunaux » ; ce « droit d’accès constitue un élément inhérent au droit qu’énonce l’article 6, § 1 » (CEDH, 21 févr. 1975, Golder c/ RU, n° 4451/70). A l’occasion de cette affaire, dans laquelle un détenu, qui souhaitait intenter une action en diffamation contre un gardien de prison et s’était vu refuser par un officier ministériel le droit de consulter un avocat au prétexte que son action n’aurait que très peu de chances d’aboutir, la Cour européenne avait alors condamné le Royaume-Uni en précisant que n’importe quel obstacle au droit d’accéder à un tribunal, juridique ou factuel, était susceptible d’enfreindre la Convention.
L’obstacle de droit, dont il était ici seulement question, provient généralement de la complexité des modalités de mise en œuvre d’une procédure (CEDH 16 déc. 1992, Geouffre de la Pradelle c/ France, n° 12964/87) ou des limitations prévues par la loi (CEDH 30 oct. 1998, F. E. c/ France, n° 382112/97). Ainsi l’appréciation déraisonnable par un juge des règles de procédure pour juger de la recevabilité de la demande peut-elle être sanctionnée. Ce fut le cas de la France, en 2006, condamnée par la Cour européenne pour violation du droit au procès équitable (CEDH 26 sept. 2006, Labergère c/ France, n° 16846/02) : en l’espèce, un ressortissant français condamné, le 9 octobre 2001, à une peine de 18 ans de réclusion criminelle pour homicide volontaire, avait été interné, du 12 au 19 octobre de la même année, dans un centre psychiatrique. Son avocat avait fait appel de la condamnation le 24 octobre, en précisant que son client, qui était à l’isolement, n’avait concrètement pas pu respecter le délai légal de 10 jours. L’appel, puis le pourvoi formé à sa suite, avait été jugé irrecevable comme tardif. Le juge européen estima alors qu’en raison de l’enjeu du pourvoi pour le requérant et de la nécessaire prise en compte de sa situation médicale, l’application excessivement stricte du délai légal prévu portait une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge de l’intéressé.
La reconnaissance de telles entraves reste néanmoins marginale : le droit à un procès équitable n’étant ni absolu ni intangible, le droit d’accès au juge qui en découle peut être limité, encadré, notamment par des conditions de recevabilité, dès lors que ce cadre, quoique restrictif, ne concerne que les modalités d’exercice de ce droit, sans porter atteinte à sa substance, et qu’il soit justifié, à l’issue du contrôle de proportionnalité qui s’impose.
En l’espèce, l’atteinte portée au droit d’accéder à un tribunal est jugée raisonnable compte tenu de la légitimité de l’objectif poursuivi de célérité de la justice que soutient le délai de recevabilité requis, et de la représentation obligatoire du justiciable dans le cadre de la procédure considérée, censée garantir son respect, par la diligence attendue des avocats.
Civ. 2e, 21 févr. 2019, n° 17-28.285
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 6, § 1
« Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.3
■ Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-23.992 P : D. actu, 22 janv.2018, comm. A. Danet ; D. 2018. 121 ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2018. 479, obs. P. Théry.
■ Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-18.361 P : D. 2017. 1196.
■ Civ. 2e, 21 janv. 1998, n° 96-16.751 P.
■ CEDH, 21 févr. 1975, Golder c/ RU, n° 4451/70
■ CEDH 16 déc. 1992, Geouffre de la Pradelle c/ France, n° 12964/87: AJDA 1993. 105, chron. J.-F. Flauss ; D. 1993. 561, note F. Benoît-Rohmer ; RFDA 1993. 963, chron. V. Berger, C. Giakoumopoulos, H. Labayle et F. Sudre
■ CEDH 30 oct. 1998, F. E. c/ France, n° 38212/97 : D. 1999. 269, obs. N. Fricero et S. Perez ; RTD civ. 1999. 490, obs. J.-P. Marguénaud
■ CEDH 26 sept. 2006, Labergère c/ France, n° 16846/02.
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