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Droit des obligations
Réserve de propriété : une sûreté sans incidence sur la fermeté de la vente
La clause de réserve de propriété ne remet pas en cause le caractère ferme et définitif de la vente intervenue dès l’accord des parties sur la chose et sur le prix.
Un casino est placé en liquidation judiciaire. Se prévalant d'une clause de réserve de propriété, une société de commercialisation d'appareils automatiques revendique un certain nombre de machines à sous et leurs kits de jeu.
Invoquant l'article 68-7 de l'arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos, selon lequel les machines à sous doivent faire l'objet d'une vente ferme et définitive à l'exclusion de toute autre forme de cession, le casino demande reconventionnellement l'annulation de la clause de réserve de propriété.
La cour d’appel rejette cette demande au motif que la vente conclue l’étant de manière définitive, nonobstant l'existence d'une clause de réserve de propriété et l'absence de paiement, par le casino, du prix de cession, la société titulaire de cette garantie peut donc invoquer cette clause pour revendiquer la propriété de ces machines.
Le casino forme un pourvoi en cassation. Soutenant qu'une clause de réserve de propriété ayant pour effet de subordonner le transfert de propriété au complet paiement du prix, une vente assortie d’une telle stipulation ne peut être définitive dès sa conclusion, mais seulement au jour du paiement intégral du prix, en sorte que les sociétés de fourniture et de maintenance des machines à sous, qui ne peuvent fournir aux casinos que des machines à l'état neuf devant faire l'objet d'une vente ferme et définitive, à l'exclusion de toute autre forme de cession, ne peuvent donc conclure une vente assortie d'une clause de réserve de propriété.
A la question de savoir si le transfert conventionnellement retardé de la propriété remet en cause le caractère ferme et définitif de la vente ainsi conclue, la Cour de cassation répond par la négative. Elle rejette le pourvoi, approuvant la cour d’appel d’avoir retenu que la clause de réserve de propriété est une sûreté suspendant l'effet translatif de propriété du contrat de vente jusqu'à complet paiement du prix sans qu'une telle suspension ne remette en cause le caractère ferme et définitif de la vente intervenue dès l'accord des parties sur la chose et sur le prix, et d’en avoir exactement déduit que la clause litigieuse, prévue dans les conditions générales d'une vente portant sur des machines à sous et des kits de jeu intégrés, n'était pas contraire aux dispositions de l'article 68-7 de l'arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos.
Cette décision rappelle une règle aussi simple qu’essentielle du droit de la vente : en application de l'article 1583 du Code civil, une vente est parfaite entre les parties et la propriété en est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas été livrée ni le prix payé. Ce principe du transfert solo consensu, fondateur du régime légal supplétif applicable à la vente, revient à considérer qu’à compter du moment où les parties se sont entendues sur les éléments essentiels du contrat de vente, la chose et le prix, donc dès l’instant de la rencontre des volontés, le transfert de propriété s’opère instantanément, immédiatement, et fictivement. En effet, l’obligation de livrer la chose étant parfaite par la seule rencontre des volontés des parties contractantes », celle-ci « rend le créancier propriétaire encore que la tradition, c’est-à-dire la remise matérielle de la chose (comme en droit romain chez nous, historiquement), n’en ait point été faite. L’échange des consentements rend donc simplement (solo consensu) et fictivement parfaite la tradition nécessaire au transfert de propriété, la fiction reposant sur la dissociation de la propriété et de la possession, peu important que la chose n’ait pas encore été concrètement livrée, ni le prix effectivement payé. L’acheteur devient immédiatement propriétaire de la chose, en quelque lieu où elle se trouve, en sorte que celle-ci tombe immédiatement dans son patrimoine et devient donc le gage de ses créanciers, qui peuvent la saisir. Cependant, comme le rappelle la décision rapportée, cette règle n’étant que supplétive de la volonté, les contractants ont la liberté d’y déroger en différant le transfert de la propriété. Ainsi le transfert de la propriété du bien vendu peut-il être conventionnellement retardé, notamment par une clause de réserve propriété, par laquelle le vendeur, tout en livrant la chose, en retient la propriété jusqu'au complet paiement du prix. Elle se présente comme une technique de crédit avantageuse pour l’acquéreur, qui peut utiliser la chose alors qu’il ne l’a pas encore intégralement payée, faute de financement suffisant, de même qu’elle offre une sûreté efficace pour le vendeur, titulaire d’une action en revendication en sa qualité de propriétaire demeurant, par l’effet de cette clause, inchangée. Cette stipulation « gagnant-gagnant » est à la fois d’un grand intérêt pour l’acquéreur, qui peut utiliser et exploiter la chose comme s’il en était déjà le propriétaire, en même temps qu’une garantie efficace offerte au vendeur ; la propriété de son bien ainsi réservée étant l’accessoire de sa créance dont elle garantit le paiement (C. civ., art. 2367, al. 2), ce dernier peut, « à défaut de complet paiement à l’échéance, (…) demander la restitution du bien afin de recouvrer le droit d’en disposer » (C. civ., art. 2371, al. 1er).
La possibilité de retenir ainsi, à titre de garantie, la propriété du bien vendu, n’a cependant pas d’incidence sur le caractère parfait de la vente, dont la fermeté dépend par principe du seul accord des volontés et ne peut en conséquence être affectée par le seul aménagement conventionnel des effets qu’elle produit entre les parties.
La Cour le rappelle ici clairement : si le vendeur peut retenir la propriété du bien cédé en garantie du paiement du prix par l'effet de la clause de réserve de propriété, sûreté suspendant l'effet translatif du contrat jusqu'à complet paiement du prix, ce transfert retardé de propriété n’est pas de nature à modifier les effets du contrat qui est une vente ferme et définitive par le seul accord des parties sur la chose et le prix.
La clause en l’espèce contenue dans les conditions générales de vente des machines à sous n'est donc pas entachée de nullité, en sorte que la venderesse n'ayant pas été réglée du prix de cession convenu à l'ouverture de la procédure collective, la demande de revendication des machines à sous et des kits de jeux qu’elle avait régulièrement présentée, en se prévalant de la clause de réserve de propriété après avoir déclaré sa créance au passif de la procédure collective, devait être accueillie.
Com. 17 oct. 2018, n° 17-14.986
Référence
■ Fiche d’orientation Dalloz : Réserve de propriété
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